Parasha – 99 Balak 5783

 

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La Paracha Balak, qui ne comporte aucune Mitsva comme le souligne Rav Chalom Chapira (HaMaor ChèbaTorah, p.182), semble n’être, à première vue qu’un simple récit historique.

Comme nous l’avons fréquemment mentionné, la Torah n’est pas un livre d’histoire…

Aussi, il convient de voir l’enseignement pratique que la Torah nous apporte dans les péripéties des efforts de Bil’am pour maudire les Bené Israël, contre la volonté de Hachem.

Tâchons de cerner la complexité de la personnalité de Bil’am, personnage central de cette Paracha.

Nos ‘Hakhamim (Sifré, Berakha, 39) ont comparé Bil’am à Moché Rabénou : “Et il ne s’est pas levé encore un prophète dans Israël comme Moché ; et qui est-ce ? c’est Bil’am Ben Beor.

Sauf qu’il y a une différence entre la Nevoua (Prophétie) de Moché, et la Nevoua (prophétie) de Bil’am …”.

La première contradiction qui nous frappe chez Bil’am est celle qui apparait des versets eux-mêmes. Lorsque Bil’am reçoit les messagers de Balak qui l’invitent à venir maudire les Bené Israël (Bamidbar 22, 5-8), il leur répond aussitôt : “Passez la nuit ici et je vous répondrai une parole, comme me parlera Hachem …”.

Bil’am se présente donc sous la facette d’un serviteur fidèle de Hachem !

De plus, dans les Berakhot qu’il adresse aux Bené Israël, Bil’am se présente par deux fois comme : “Parole de celui qui entend les paroles de Dieu, qui voit l’apparence de Chadaï (Dieu) … (24, 4 ; 24, 16) “.

Et lorsque Bil’am arrive chez Balak, il le prévient : “la parole que Dieu mettra dans ma bouche c’est elle que je dirai” (22, 38).

A chaque échec de ses tentatives pour maudire les Bené Israël, il se justifie face à Balak en disant qu’il ne peut rien faire d’autre que ce que Hachem lui dictera : “Ce que Hachem mettra dans ma bouche, cela je veillerai à le dire !” (23, 12). “Ne t’ai-je pas parlé en disant : tout ce que Hachem me parlera, cela je ferai” (23,26). “Si Balak me donnerait son palais plein d’argent et d’or, je ne pourrai pas passer outre à la “Bouche” de Hachem pour faire du bien ou du mal selon mon cœur ; ce que me dira Hachem, c’est ce que je dirai” (24,13).  

Et pourtant c’est le même Bil’am qui cherche la “faille” (le moment où Hachem “se met en colère”, c’est-à-dire lorsqu’Il donne libre cours à la justice stricte ; voir la Guemara Berakhot 7a) où il pourra glisser une parole de Kelala (Malédiction) à l’encontre du Peuple que Hachem a choisi comme le Sien, et qu’Il a sorti d’Egypte. Quelle “belle” illustration de fidélité à Hachem “son Dieu” !?…

Et c’est encore le même Bil’am qui s’enorgueillit de son lien avec Hachem et qui se sépare de Balak en ayant bien soin de lui conseiller ce qui pourra mettre à mal le lien entre Hachem et les Bené Israël : les faire fauter dans la débauche et l’idolâtrie de Baal Peor (25, 1-9). La Torah attribue ce conseil à Bil’am (31, 16).

Ajoutons encore au “tableau” la relation immonde de Bil’am avec son ânesse (voir 22, 30 avec commentaire de Rachi, basé sur l’analyse de la Guemara Avoda Zara 7b).  

Il nous incombe de saisir et intégrer la dimension réelle de la Nevoua dans notre analyse. Il ne s’agit aucunement d’une “extase” spirituelle accompagnée d’une excitation et d’expressions “ésotériques”, comme l’imagerie populaire du monde étranger à la Torah nous a accoutumés à nous la représenter.

La Nevoua est un degré de conscience aigu des vérités du Monde, à laquelle un homme ne peut accéder qu’au terme d’un travail considérable sur lui-même, comme le décrit le Rambam (Hilkhot Yessodé HaTorah, chapitre 7). Un tel homme sort de la norme générale vers un niveau “surhumain” !

Comment comprendre le contraste entre les deux extrêmes dans Bil’am : un être bestial, simultanément à un être proche du “Divin” ?!

Comment ce même Bil’am a-t-il pu accéder à la Nevoua, au plus haut niveau, comme nos ‘Hakhamim nous l’ont enseigné dans Sifré ?!

A propos de la Nevoua de Bil’am, nos Maitres ont abondamment développé la différence entre un niveau spirituel acquis par un vrai travail personnel et un niveau octroyé “gratuitement” par Hachem. Une élévation reçue en cadeau pour une cause extérieure ne dure que le temps de la nécessité… Par contre lorsqu’un homme investit toutes ses forces pour s’élever, le niveau acquis devient alors une part indéfectible de sa personne. Bil’am était conscient de tout ce que représente la dimension de Yachar et son impact sur la relation avec Hachem. C’est vers cette grandeur que tendait sa prière de mourir comme les Avot. Toutefois, comme son niveau de Navi résultait seulement d’un “cadeau” gratuit de Hachem, il n’était prêt qu’à mourir comme les Yecharim, et non à vivre en accord avec cette dimension. (Voir Si’hot Moussar de Rav ‘Haïm Chmoulewitz, 32, 27).

Comment comprendre ce tissu de contradictions ?!

Comment comprendre que nos ‘Hakhamim aient envisagé d’instituer la lecture de cette Paracha quotidiennement avec le Chema, et n’y ont renoncé que pour ne pas “fatiguer” la communauté (Berakhot 12b) ?!

Quel enseignement cette Paracha est-elle destinée à nous communiquer, à nous qui ne nous identifions en rien à un personnage aussi abject ?!

Rav Chimchon Raphaël Hirsch résume la réponse à ces questions en un paragraphe concis qui commente le verset (23, 10) :”Que mon âme meure de la mort de ceux qui sont “droits”, et que ma fin soit comme lui !”. Rav Hirsch écrit : “Je souhaite mourir comme eux, et que ma fin soit comme eux. Leur mort est plus pleine de bonheur que notre existence, car ils sont droits. Ils correspondent pleinement au but pour lequel les hommes sont des “hommes”, et ils aspirent à ce but dans une ligne “droite”, sans dévier”. (Leur mort n’est donc pas une rupture, mais un passage dans la continuité).

Rav Hirsch résume ensuite la première “intervention” de Bil’am ainsi : Bil’am a pointé la différence entre Israël et tous les peuples de l’Histoire. Il a dévoilé à Balak que l’avenir de ce Peuple n’est pas conditionné par les conditions matérielles dont la réussite des autres peuples dépend. C’est pourquoi Israël n’est pas atteint par les influences nocives sous lesquelles les autres peuples ploient.

Rav Hirsch conclut que ce discours de Bil’am dépasse ainsi les limites du cas isolé auquel il s’applique (Moav face à Israël … et Bil’am lui-même …). Il enseigne une vérité générale applicable à tous les cas.

Rav ‘Haïm Benattar (Or Ha’Haïm, 23,10) remarque que ce verset : “Que je meure de la mort de ceux qui sont droits” n’est pas inclus dans les paroles inspirées par Hachem. Ce sont les propres paroles de Bil’am. Lorsque Bil’am voulait prononcer des paroles qui ne seraient pas néfastes aux Bené Israël, Hachem le laissait dire ce qu’il souhaitait.

Rav Naftali Tsvi Yehouda Berlin (Haamèk Davar) explique le choix du terme “Yecharim” (droits) par Bil’am lorsqu’il souhaite mourir comme les “Yecharim”. Le terme “Yachar” – droit, s’applique à un comportement droit dans les relations humaines.

Le Haamèk Davar avait déjà mentionné dans son introduction au Séfer Beréchit que les Avot (Patriarches) étaient qualifiés de Yecharim en raison de leur droiture sans faille dans leurs relations, y compris avec les idolâtres. L’attitude d’Israël dans ce domaine est exceptionnelle : elle inclut de pratiquer le ‘Hessed (don gratuit) même face aux non-juifs ; les Neviim (Prophètes) d’Israël ont manifesté leur souffrance lorsqu’ils prévoyaient les malheurs des nations.

A l’opposé, Bil’am voulait éliminer Israël qui ne lui avait jamais nui en rien. C’est pourquoi, étant conscient de son défaut profond, il souhaitait arriver à mourir comme les Yecharim, les Avot (Patriarches) comme le souligne la Guemara (Avoda Zara 25a).

Rav Zalman Sorotskin (Oznaïm LaTorah) rapporte au nom du ‘Hafets ‘Haïm que celui qui veut mourir comme un juif doit vivre comme un Juif !

Le Racha, quant à lui, veut vivre comme un “Goy”, et mourir comme un Juif !

Le même propos est cité dans le recueil ‘Hafets ‘Haïm Ha’Hadach : on rapporta au ‘Hafets ‘Haïm que les juifs assimilés ne s’étaient pas tant éloignés du Judaïsme. Bien qu’ils transgressaient allègrement toute la Torah, ils demandaient à être enterrés dans le cimetière Juif. Alors qu’ils avaient délibérément détaché leurs enfants du Judaïsme, ils voulaient payer quelqu’un pour dire Kaddish pour eux, ce qui était un signe que toute étincelle juive n’était pas éteinte en eux.

Le ‘Hafets ‘Haïm répondit : Bil’am les a déjà devancés ! Il vivait comme une bête, et a accompli toutes les abominations… et bien qu’il se soit acharné à déraciner totalement le Peuple de Hachem du Monde, il souhaitait “mourir comme ceux qui sont droits”.

Ce souhait stérile, sans concrétisation dans sa vie, ne l’a pas empêché d’être compté parmi ceux qui n’ont pas part au Monde à venir.

Ces quelques éléments ne se limitent bien sûr pas à nous permettre de fustiger ceux qui sont “de l’autre côté de la barrière”, même s’il est clair que ces notions s’appliquent pleinement à eux…

Revenons à la Guemara (Berakhot, 12b) qui dit que les ‘Hakhamim voulaient inclure la Paracha de Bil’am dans la lecture quotidienne du Chema. La Guemara s’interroge sur la raison de vouloir associer ce passage au Chema matin et soir.

La Guemara explique que c’est du fait du verset de cette Paracha (24,9) : “Il (Israël) s’incline et se couche comme un lion et comme une lionne, qui pourrait le faire lever ?!”.

Rachi rapproche ces termes des mots “Ouvechokhbékha ouvekoumèkha” (et à ton coucher, et à ton lever) dans le Chema, qui prescrivent de réciter le Chema matin et soir, au lever et au coucher.

Le Maharcha explique que de même que le lion n’a personne qui le fasse lever, mais il se lève de lui-même avec empressement. Ainsi chaque Juif doit se lever avec entrain pour réciter le Chema à temps, et pareillement ne pas se coucher sans avoir récité le Chema.

Nous pouvons comprendre que c’est là la base de la différence entre vivre comme un Juif, et seulement aspirer à mourir comme un Juif !

Le Or Ha’Haïm dit avoir vu des Rechaïm qui disaient clairement que s’ils savaient qu’ils mourraient instantanément après avoir fait Techouva, ils l’auraient fait. Mais ils savaient qu’ils ne seraient pas capables de tenir leur Techouva un long moment. C’est ce qu’exprimait Bil’am dans son souhait de mourir comme les Yecharim, mais sans avoir à vivre durablement comme eux !

C’est si facile de “promener” de beaux rêves de grandeur “à l’avenir” !

Mais c’est toute autre chose de vivre à chaque instant de façon droite, comme Hachem nous le demande.

 

Dans ses Drachot, le Rav Chalom Schwadron faisait rire son auditoire aux éclats par ses descriptions des turpitudes humaines. Puis il ajoutait : “Riez bien ! Mais ensuite réfléchissez sur qui vous avez ri… “

De même, nous pouvons nous gausser à satiété de Bil’am et de tous les Rechaïm qui tournent le dos à la Torah !

Toutefois, l’essentiel de notre responsabilité sur Terre est de faire le point de notre propre situation, et pour cela, mettons à profit la leçon de Bil’am.

Les enseignements de nos Maitres relativement au comportement de Bil’am sont précieux pour chacun d’entre nous.