Parasha – 96 Chela’h 5783

בס”ד

La Paracha Chela’h qui est riche en péripéties, commence avec la mission des Meraglim (les explorateurs), dont le rapport défavorable a amené au désastre de la condamnation à l’errance pendant 40 ans dans le désert. Et la génération qui a participé à l’épisode des Meraglim sera condamnée à mourir dans le désert et n’entrera pas en Erets Israël (Bamidbar 13, 1-14, 45).

Cette faute a entraîné le décret de deuil perpétuel à Tich’a BeAv (9 Av), et de ce fait, est devenue la date à laquelle sont survenus de nombreux malheurs dans l’Histoire du Peuple Juif, principalement la destruction des deux Beth HaMikdach, ainsi que de nombreux évènements tels que le décret d’expulsion des Juifs d’Espagne et tant d’autres…

Ces souffrances ne sont en rien des punitions fortuites, “vindicatives”, de la part de Hachem.

Hachem détermine soigneusement chaque instant de notre Histoire dans le but de nous amener à l’épanouissement ultime de la Création.

Il reste difficile à comprendre en quoi consistait la faute initiale des Bené Israël d’avoir demandé l’envoi d’explorateurs préalablement à leur entrée en Erets Kenaan. Et comment ces Meraglim, Tsadikim remarquables même dans une génération aussi exceptionnelle ont-ils pu trébucher ainsi ?!

La Paracha qui commence par cette faute dramatique s’achève sur le passage relatif à la Mitsva des Tsitsit que nous suspendons aux quatre coins de nos vêtements.

Ce passage complète chaque jour notre lecture du Chema qui comprend trois paragraphes :

– le premier paragraphe : Chema Israël (Devarim 6, 4-9) proclame la conscience fondamentale de notre lien avec Hachem.

– le second : “Vehaya im Chamo’a” (Devarim 11, 13-21) complète notre engagement avec l’acceptation totale du “joug” des Mitsvot.

– le troisième : “Vayomer” (Bamidbar 15, 37-41), qui conclut notre Paracha, vient “raviver” notre mémoire “défaillante” au moyen des Tsitsit, afin que nous nous souvenions en permanence des Mitsvot.

Le verset dit : “Et ce sera pour vous comme des “Tsitsit” et vous le verrez, et vous vous souviendrez de toutes les Mitsvot de Hachem, et vous les accomplirez ; et vous n’explorerez pas à la suite de votre cœur et à la suite de vos yeux, que vous errez à leur suite Afin que vous vous souveniez et que vous accomplissiez toutes Mes Mitsvot, et que vous soyez “Kedochim” (“saints”) pour votre Dieu” (Bamidbar 15, 39-40).

Ce n’est certainement pas un “hasard” qui amène le “souvenir” des Tsitsit dans la Paracha des Meraglim ! Mais pour voir l’incidence, considérons tout d’abord ce qu’est le “souvenir”, ce qu’est la mémoire.

Dans le monde de la politique, la notion de “souvenir” qui est abondamment utilisée, sert à canaliser les élans de la population dans les directions choisies par les gouvernants pour asseoir leur influence sur la nation.

C’est également la méthode employée par les communautés “traditionnalistes” et autres… de resserrer les liens de leurs membres avec des accents émus sur les “disparus”, visite émue aux grand-mères dans la section des dames à Yom Kippour jadis …, et jusqu’au fameux “Yom Hazikaron” instauré par les fondateurs de la Medina en Israël …

Est-ce cette sorte de souvenir que notre Paracha viendrait prôner ?!

Un tel “souvenir” de notre identité Juive est l’antithèse du véritable souvenir ! C’est un faux souvenir, glacé, stérile, destiné à enterrer les valeurs vivantes !

La Torah vient parler à notre cœur pour faire vivre réellement les Mitsvot et la Présence de Hachem dans chacun de nos instants.

Comment une simple Mitsva concrète, comme le fait d’attacher des fils aux coins de nos vêtements peut-elle réaliser un tel prodige ?!

Comment notre mémoire s’aviverait-elle au point de nous rappeler “toutes les Mitsvot” (613 !) ?!

Mais tout d’abord, comment fonctionne la mémoire, la vraie, celle qui garde vivantes les impressions au lieu d’en faire de pales reflets des moments passés et “enterrés” ?

Rav Tsvi Chraga Grossbard (Tiférèt Chraga, Bamidbar 15, 40) s’interroge sur la répétition du souvenir dans nos deux versets. Il explique que cela vient souligner l’importance que la Torah accorde à la mémoire.

Il cite la Michna (Avot 2, 11) où Rabbi Yo’hanan Ben Zakaï fait l’éloge de ses Talmidim (disciples) et où Il qualifie ainsi Rabbi Eliezer Ben Horkenos : “un puits enduit de chaux qui ne perd pas une goutte” !

Rav Grossbard s’étonne d’un tel éloge, alors qu’il semblerait qu’il s’agisse d’un don inné ?!

Il répond en rapportant les paroles du ‘Hafets ‘Haïm qui dit qu’en vérité la mémoire est une qualité qui peut s’acquérir par l’effort.

Pour montrer à quel point la mémoire dépend de l’intérêt qu’on accorde à une chose, le ‘Hafets ‘Haïm raconte que dans sa ville habitait un vieillard qui se souvenait en détail de la visite du Tsar il y avait plus de 70 ans, lorsqu’il était âgé de 10 ans. Ce vieillard décrivait jusqu’aux moindres détails de l’aspect du carrosse, des chevaux, du cocher etc…

Mais le même homme était incapable de décrire son propre fils !

Le ‘Hafets ‘Haïm concluait que tout dépend de l’intérêt qu’on accorde à chaque chose.

De même, chacun peut acquérir la mémoire de la Torah par le fait de mettre son cœur dans ce qu’il étudie.

Rav Grossbard conclut que c’est là le message de notre Paracha, et particulièrement par la répétition du souvenir dans les deux versets.

Rav Eliahou Dessler (Mikhtav MéEliahou, V, p.493) explique ainsi la Tefila de Roch Hachana. Dans la Tefila de Moussaf, nous ajoutons à Roch Hachana trois Berakhot : Malkhouyot (la reconnaissance de la Royauté de Hachem), Zikhronot (les “souvenirs”), et Chofarot (le rappel du rôle du Chofar dans notre Histoire).

Rav Dessler souligne que Malkhouyot signifie l’attachement total à la Emouna.

Toutefois, comme il est difficile d’accéder à ce niveau, les ‘Hakhamim nous ont institué en complément Zikhronot “afin que votre souvenir s’élève devant Moi favorablement”.

Rav Dessler explique alors que les notions d’oubli et de souvenir (qui ne s’appliquent bien évidemment pas à Hachem !), ne dépendent que de l’intérêt ou la désaffection que nous éprouvons pour une chose.

Les Avérot (fautes) font écran dans le cœur et voilent les mérites.

Il faut donc percer à travers cet obstacle avec les efforts de pensée et de sentiment, afin d’accéder aux sentiments de Kedoucha (“sainteté”). C’est ce qui s’appelle “zikharon” (le souvenir).

Et dans la mesure où nous activons notre “souvenir” de Hachem, Il “se souvient” de nous, pour raviver nos mérites.

Dans un autre texte (Mikhtav MéEliahou, I, p.131), Rav Dessler analyse la Paracha relative aux Tsitsit, pour souligner que chaque détail : le langage employé pour introduire la Mitsva, la notion de Tsitsit (de la racine “hatsits” observer avec attention), les vêtements sur lesquels on place les franges, etc…, tout contribue au résultat : “ouzekhartem”- et vous vous souviendrez !

Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat Torah, p.129) précise la véritable notion de “souvenir” visée par la Torah. Loin de la compréhension superficielle d’oubli ou souvenir d’une chose matérielle, il relie la Mitsva de notre Paracha à un contexte impressionnant :  

La Guemara (Sanhédrin, 35a) analyse pourquoi un jugement capital ne peut pas avoir lieu le vendredi.

Un jugement capital ne peut pas déboucher sur une condamnation le même jour.

Il faut laisser passer la nuit avant de conclure à l’absence d’éléments favorables à l’accusé.

La Guemara s’étonne pour quelle raison la Michna ne permet pas de juger le vendredi et conclure le dimanche.

La réponse est que dans un tel délai (deux jours …) les juges oublieraient leurs arguments (en faveur ou en défaveur).

Pourtant les délibérations initiales sont transcrites intégralement par les greffiers du Beth Din (Tribunal) !

La Guemara explique que seules les paroles sont inscrites, mais le cœur de l’Homme oublie.

C’est-à-dire que la profondeur de l’analyse de chacun dans la journée de délibérations s’estompera de son cœur. Rachi explique que bien que l’essentiel des arguments soit écrit, toutefois, ne serait-ce qu’après deux jours, la réflexion profonde du juge n’est plus présente dans son esprit.

Rabbi Yerou’ham compare maintenant cette règle à la conscience de la Présence de Hachem.

La Torah dit : “Et ton cœur s’enorgueillira, et tu oublieras Hachem ton Dieu” (Devarim 8, 14).

Comment comprendre un tel oubli ?!

Il s’agit pourtant de quelqu’un qui, s’il oublie, a donc su précédemment que Hachem est présent ! Ses yeux ont “vu” Hachem dans le monde qui l’entoure, son intellect a tout perçu … Si on l’interroge, il confirmera certainement que Hachem existe. Mais dans son cœur, l’orgueil, la conscience exagérée de sa propre existence, occultent la Présence de Hachem !

C’est de cette alternative entre “oubli” et “souvenir” qu’il est question dans notre Paracha. Les Tsitsit ne sont pas un simple “aide-mémoire”, comme le “nœud au mouchoir” d’antant !

Il s’agit ici d’un réveil profond permanent.

Les yeux et le cœur envahissent tout le temps l’espace vital de l’Homme, l’incitant à ne voir que la vie matérielle.

A l’opposé, les Tsitsit viennent rétablir l’équilibre et recentrer l’attention sur les vraies valeurs de la vie.

Rabbi Yerou’ham compare encore l’alternative entre l’influence des yeux et du cœur, et l’impact du souvenir de Hachem à deux villes, l’une totalement Juive, et l’autre entièrement étrangère. Ainsi est la véritable alternative de notre existence quotidienne : voir l’opposition entre deux mondes aux antipodes l’un de l’autre. Le malheur de nos générations est qu’il n’y a plus, à nos yeux, une opposition aussi claire et tranchée.

Le monde entier s’est troublé, empli d’un méli-mélo indiscernable, associant “religieusement” les objectifs d’une vie matérialiste à des pratiques formelles “ressemblant” vaguement à la Torah.

Certains croient ainsi sincèrement vivre dans la Kedoucha, accomplissant consciencieusement toutes les Mitsvot concrètement, tout en étant en réalité imprégnés de l’atmosphère de la rue pétrie de matérialisme.

Telle est la réponse à l’erreur tragique que même des Grands Hommes comme les Meraglim, Tsadikim parmi les Bené Israël, ont pu commettre, même si leur “défaut de mémoire” se situait à un niveau infinitésimal ! Là est l’épreuve permanente de tous collectivement, et de chacun individuellement !

Notre Paracha vient nous rappeler, avec le contraste entre le début illustré par la faute des Meraglim, et la Paracha des Tsitsit (que nous lisons deux fois par jour lorsque nous lisons le Chema), de réviser nos critères de valeurs, afin de ne pas vivre un “judaïsme mécanique”, mais une véritable Torah de vie, et de concentrer notre regard vers Hachem : “et vous Le verrez” (15, 39).

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Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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