Parasha – 83 Pourim 5783

בס”ד

Et voici Pourim, qui fête le sommet de la joie.

Comme toujours, les diverses approches de cet évènement reflètent la conception de l’existence de chacun. Pour certains c’est l’occasion de se “lâcher”, une sorte de “carnaval” juif. Pour d’autres, c’est un moment d’expression de ce qu’il y a de plus profond dans l’âme d’un Juif, et qui reste enfoui tout au long de l’année.

Le mot qui définit particulièrement Pourim est dans le verset le la Meguila (Esther 9, 1) : “Venahafokh hou” (ce fut l’inverse). Il s’agit du “programme” du 13 Adar, la date que Haman avait prévue initialement pour anéantir le Peuple Juif, et qui par l’intervention de Hachem dans le cours des évènements, devint le jour où les Juifs dominèrent leurs ennemis.

Une lecture primaire pourrait mener à des aspirations belliqueuses dans toutes sortes de contextes où le sentiment d’oppression pousse à la réaction active. Toutefois, de tous temps, notre Peuple s’est caractérisé par sa “différence”. Jamais les Juifs n’ont été tentés de se livrer à un “programme-pogrome” contre leurs tortionnaires de la veille.Jamais un seul Juif ne s’est livré à une fusillade à la terrasse d’un café en Allemagne pour venger les siens.

Aussi nous devons donc comprendre que le sens réel de “Venahafokh hou” se situe ailleurs, au plus profond de l’âme juive, là où les valeurs sont vraies, éternelles. Il ne s’agit pas de “revanche” comme dans les conflits entre nations. Le véritable “Venahafokh hou” de la Meguila consistait, et consiste chaque année à redresser notre regard sur la vie.

Le décret de Haman n’est pas venu “par hasard”, du fait de sa malveillance, et l’issue favorable n’est pas due aux qualités “politiques” de Mordekhaï et Esther. C’est Hachem Qui a ouvert la porte aux desseins de Haman, pour réveiller notre conscience, et c’est pareillement Hachem Qui a programmé l’annulation du décret lorsque les Juifs ont fait Techouva sous l’impulsion de Mordekhaï.

Tout au long de la Meguilat Esther, ces deux notions sont particulièrement soulignées : la valorisation du vêtement, et l’impact du festin :

– Du côté de la Toum’a (l’impureté), A’hachvéroch se para des vêtements du Cohen Gadol dans son festin pour montrer que la grandeur d’Israël était définitivement annulée, au profit des “valeurs” qu’il incarnait (Midrach Esther Rabah, 1, 1). Et il utilisa également dans ce festin les ustensiles du Beth HaMikdach (Midrach, 2, 11 ; Targoum).

A la fin du festin, A’hachvéroch ordonna que la Reine Vachti, son épouse, comparaisse devant lui et ses convives “revêtue” seulement de la couronne royale, pour montrer à ses sujets sa beauté exceptionnelle.

Le contraste entre la “splendeur” qu’il se réservait, et l’indignité à laquelle il condamnait la Reine est éloquente.

La dignité des vêtements n’était pas pour lui une valorisation de l’Homme – créature de Hachem, comme chez le Cohen Gadol.

A’hachvéroch n’avait pour but que de rehausser son prestige personnel.

Tous ceux qui l’entouraient n’avaient à ses yeux d’autre fonction que de “marchepied” pour lui permettre d’étendre son pouvoir.

– A l’opposé, Mordekhaï exprime son deuil face au décret d’anéantissement de Haman en déchirant ses vêtements, et en se revêtant de cilice (poil de chèvre), et en allant manifester sa détresse devant le palais d’A’hachvéroch (Esther 4,1). Même après que Haman l’aura promené en triomphe dans les rues de la Cité de Chouchan, sur le cheval du Roi, et paré des habits du Roi, pour le récompenser d’avoir sauvé jadis la vie du roi, Mordekhaï retourne immédiatement à son cilice et à son jeûne, sans être détourné si peu que ce soit de son deuil par les honneurs auxquels il a eu droit (6,12).

La grandeur qui lui sera octroyée finalement par A’hachvéroch (9, 15) après l’exécution de Haman et le renversement de situation favorable aux Juifs ne peut donc pas lui “monter à la tête”.

Chez un homme de la stature spirituelle de Mordekhaï, les marques de prestige sont accessoires à sa véritable grandeur, et n’en sont aucunement la cause.

Il en fut de même des honneurs que Par’o accorda à Yossef lorsqu’il l’éleva à la fonction de Vice-Roi (Beréchit, 41, 42-46). Le Midrach (Beréchit Rabah, 90,3) souligne : “Yossef, c’est de ce qui lui revenait qu’on lui a donné”. C’est toute sa personne qui a résisté à la tentation qui a été parée de ces distinctions.

De même pour Mordekhaï !

Le Gaon de Vilna attribue au verset qui énumère les atours royaux de Mordekhaï ((8,15) un sens plus authentique : le vêtement royal est le Talit de Mitsva ; Le Tekhélet (Bleu) est celui des Tsitsit ainsi que le Blanc mentionné à sa suite ; la couronne est celle des Tefilin etc…

Nous voyons ainsi une opposition fondamentale entre deux conceptions du vêtement.

Pour A’hachvéroch et ses semblables, le vêtement est un outil d’impact sur l’environnement, que ce soit pour impressionner, ou pour séduire, au point que le même A’hachvéroch manie la splendeur qu’il se réserve et la nudité qu’il veut infliger à la Reine, pour atteindre ses buts de pouvoir.

Considérons maintenant la place du festin dans la Meguilat Esther.

Dès le début du récit de la Meguila, A’hachvéroch se livre à une débauche de moyens de séduction pour conquérir le “cœur” de ses sujets. Le terme “débauche” est d’ailleurs particulièrement approprié au regard de ce que la Meguila nous relate (1, 11) sur la convocation de Vachti, joint aux explications du Midrach (3, 13) sur le sujet des conversations au festin d’A’hachvéroch (la comparaison des qualités esthétiques des femmes des diverses nations …).

Plus tard, A’hachvéroch organise un nouveau festin pour fêter le choix d’Esther comme nouvelle Reine (2, 18).

Ensuite, A’hachvéroch et Haman festoient pour manifester leur satisfaction du décret d’anéantissement de tout un peuple qu’ils viennent de signer !

Les festins auxquels Esther convie Haman aux côtés d’A’hachvéroch (5, 4 ; 5, 8) ont le don d’exalter l’orgueil de Haman qui ne se sent plus de joie (5,9 ; 5,12). Et c’est enfin lors du second festin qu’Esther exprime sa détresse à A’hachvéroch en même temps qu’elle lui révèle ses origines.

Tout cela est compréhensible dans le contexte de la cour d’A’hachvéroch, dont nous voyons l’obsession de la “bonne chère”, et de toutes les satisfactions matérielles.

Notre étonnement s’éveille à la fin de la Meguila, lorsque nous voyons les Juifs fêter leur délivrance par un festin (9, 17-18). Et de plus, cette sorte de manifestation sera érigée en Minhag – coutume pour les générations (9, 19), et confirmée par Mordekhaï (9, 22), pour commémorer les miracles de Pourim.

Quel est le sens du festin dans notre approche de la vie ?! Et encore plus, comment comprendre la Mitsva de boire du vin jusqu’à perdre (partiellement, bien sûr, et pas jusqu’à l’indignité ! …) la finesse d’analyse qui caractérise notre Peuple ?!

Là se situe l’expression la plus parfaite de l’opposition entre deux conceptions de l’existence !

D’un côté, chez A’hachvéroch et ses semblables, la recherche effrénée de la jouissance physique, qui n’aboutit qu’à l’échec flagrant de tous leurs plans.

A l’opposé, la Tsniout (traduit par : discrétion, plutôt que pudeur), et la réserve, qui mènent au véritable épanouissement. Le vêtement vient pour honorer le représentant de Hachem qu’est l’Homme, et non pour asseoir son influence sur autrui.

La nourriture et la boisson nous rapprochent de Hachem ; et même la Mitsva étonnante de s’enivrer (raisonnablement !!!) à Pourim n’a pour but que d’abdiquer notre maîtrise sur l’environnement en nous tournant totalement vers Hachem.

Par contraste avec la participation au festin d’A’hachvéroch, qui n’était axé que sur la jouissance personnelle, le festin de Pourim est entièrement tourné vers nos proches dans la Mitsva de Michloa’h Manot (cadeaux alimentaires à destinataire), et nécessiteux dans la Mitsva de Matanot Laèvyonim (cadeaux financiers à au moins deux pauvres).

Telle est la façon la plus authentique de comprendre le sens de : “Venahafokh hou” énoncé par la Meguila. A l’inverse du début avilissant de l’histoire de Pourim, où les Juifs ont glissé dans la compromission avec la “culture” d’A’hachvéroch et de l’Empire Perse, ce pourquoi Hachem a envoyé le décret de Haman, nousmarquons particulièrement à Pourim notre identité profonde dans l’attachement à Hachem jusque dans les moindres “recoins” de la vie matérielle.

Souhaitons que ce Pourim soit l’occasion pour chacun de nous de raviver plus puissamment nos racines.

kvlhm.ks@gmail.com

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
Tel  France : 01 77 47 24 71   Israel : 05 33 12 24 36