Parasha – 72 Vayigach 5783

בס »ד

Dans la Paracha Vayigach, l’opposition entre les Chevatim (les fils de Yaacov Avinou) arrive à son dénouement.

La Paracha s’ouvre sur la confrontation entre Yehouda, « Roi » parmi ses frères, et Yossef, alors « Vice-Roi » d’Egypte.

Nous avons déjà mentionné que ces titres de « Roi » ne correspondent pas à des fonctions de parade comme celles des gouvernants affublés de ce titre, alors qu’ils sont en fait totalement dépendants de leurs courtisans.

Le terme « Roi » employé par la Torah désigne la maîtrise absolue que l’homme détient sur ses moindres élans. Ainsi étaient Yehouda et Yossef, représentant chacun une facette de la grandeur d’Israël.

Le dialogue entre Yehouda et Yossef au début de la Paracha est surprenant !

D’une part, le discours de Yehouda (Beréchit, 44, 18-34) ne semble pas comporter le moindre élément nouveau susceptible de changer la situation et d’infléchir la volonté du « Vice-Roi » d’Egypte (Yossef) de garder Binyamin comme esclave pour le « vol » dont il est accusé (44, 4-12).

D’autre part, ce discours a un effet décisif sur Yossef qui ne peut plus continuer à se cacher de ses frères dans son rôle de Vice-Roi, et se révèle à eux comme étant leur frère (45, 1-4).

L’analyse de Rachi sur les propos de Yehouda (44, 18) accentue encore notre étonnement : « …Et ne te mets pas en colère contre ton serviteur, car comme toi, comme Par’o … ». Rachi explique que Yehouda se prépare donc à parler durement.

Rachi continue et explique la seconde partie de la phrase :

– « Tu es important à mes yeux comme Par’o » ; il s’agit là du « Pchat » (le sens simple).

– « et son « Midrach » (sens analytique profond) : « Tu es destiné à être frappé à son sujet de la « lèpre », comme Par’o a été frappé au sujet de ma grand-mère Sarah, pour une nuit qu’il l’a retenue ».

– Autre explication :  » de même que Par’o décrète, et n’accomplit pas, qu’il promet et ne fait pas, ainsi en est-il de toi de-même : Est-ce là le « regard » que tu avais dit vouloir poser sur lui (Binyamin) ?! »

– Autre explication : « car comme toi, comme Par’o » : Si tu me mets en colère, je te tuerai ainsi que ton maître ! »

Rachi poursuit l’analyse des paroles de Yehouda (44, 19) : « Mon maître (Yossef) a demandé à ses serviteurs (nous) en disant : « Avez-vous un père ou un frère ? » : « Au début tu es venu vers nous avec un « complot » (une intention malveillante) ! Pourquoi avais-tu besoin de demander toutes ces choses ?! Cherchions-nous à épouser ta fille ?! Ou bien cherchais-tu à épouser notre sœur ?! Et nous avons tout de même dit … »

Là encore, Rachi présente une compréhension des paroles éloignée du sens direct !

Ces commentaires nous surprennent d’autant plus, que dans le « monde d’aujourd’hui », nous sommes habitués à un « appauvrissement » du langage et de la communication. La « culture » des « bandes dessinées », et l’usage des procédés « simplifiés » de contact, « mail » et « WhatsApp » pour ne citer que ceux-là, qui est venue s’ajouter à la « familiarisation » du vocabulaire, « franglais », « verlan », etc… ont considérablement « érodé » notre conscience de l’outil précieux que Hachem nous a confié !

Nos Maîtres nous proposent divers « niveaux » de lecture de cette énigme que représentent pour nous ces quelques versets.

Rav Yaacov Kamenetski (Emet LeYaacov, Beréchit, 44, 18) explique qu’en réalité chacune de nos paroles recèle « Pchat et Drach » (sens simple et profond). Il donne en exemple la rencontre de Yaacov avec son frère Essav (33, 10) où Yaacov dit à Essav : « …Car j’ai vu ta face comme la vision de la face du Mal’akh (« Ange »), et tu m’as agréé ».

Rachi explique là-bas que Yaacov dit à Essav : « … Il est convenable que tu acceptes mon cadeau pour avoir vu « ta face » qui m’est aussi importante que la vision du Mal’akh (32, 25-30), lorsque j’ai vu ton « prince » (Ange tutélaire).

Et pourquoi lui a-t-il mentionné la vision du Mal’akh, pour qu’il (Essav) le (Yaacov) craigne et qu’il se dise : « Il a vu des Mal’akhim et en a réchappé, je ne peux désormais plus le vaincre… ».

Rav Kamenetski souligne que nous voyons ici aussi un « double » langage : respect et menace.

Il explique qu’après les divers comportements de son interlocuteur, le « Vice-Roi », qui avait retenu les Chevatim pendant trois jours (42,17-20), les a relâchés en disant : « Je crains Dieu », puis tout le reste de son comportement à leur égard, Yehouda ne peut pas comparer Yossef à Par’o dans ses paroles dans un sens positif. Il est donc clair que cette comparaison implique un sens « agressif » voilé.

Rav Kamenetski généralise cette approche à tous nos faits et gestes, soulignant que comme dans la Torah, il y a chez l’Homme les quatre niveaux de compréhension : « Pchat, Rémez (allusion), Drach (analyse profonde) et Sod (sens profond) ». C’est-à-dire que chez chacun il y a des « strates » de motivation dans chaque démarche, dont une partie peut même échapper à l’intéressé.

Le Maguid MiDouvno explique les Midrachim du début de notre Paracha en développant que les mêmes paroles prennent un sens totalement différent selon l’intonation. C’est là le sens des diverses explications rapportées par Rachi : Yehouda fit comprendre à Yossef tout un éventail de messages à travers le ton qu’il employa pour exprimer ses paroles.

Rav David Powarski (Moussar Vadaat, III, 13) cite les divers enseignements du Midrach relatifs au « discours » de Yehouda à Yossef. Il explique que le but de Yehouda dans son récapitulatif des évènements était de mettre en évidence la « fausse note », la malveillance qui amena les actions successives de Yossef, qui étaient chacune « revêtue » d’un semblant d’équité et de droiture. Il fit en sorte de contraindre Yossef à expliquer l’ensemble, et non plus les éléments distincts. Une fois prouvé cela, il ne restait plus à Yossef qu’à se dévoiler !

Le ‘Hatam Sofer (Torat Moché, p. 39) reprend le Midrach cité par Rachi, avec ses diverses explications des paroles de Yehouda, très éloignées les unes des autres.

Il souligne que Yossef ne donna aucune réponse au discours de Yehouda, mais se dévoila immédiatement, en leur disant (45, 3-4) : « Je suis Yossef votre frère ».

Le ‘Hatam Sofer rapporte les paroles de nos ‘Hakhamim (Guemara Sota 36b, citée par Rachi 50,6) selon lesquelles, du fait de son statut, Par’o devait connaître toutes les langues des peuples, soit 70.

Lorsque Yossef comparut devant lui la première fois, Yossef devisa avec Par’o dans toutes les langues qu’un Mal’akh lui avait enseignées la veille.

Toutefois lorsque Yossef s’adressa ensuite à Par’o en « Lachone HaKodèch » (la Langue « Sainte ») – le langage des Bené Israël, Par’o ne le comprenait pas. Par’o fit alors jurer à Yossef de ne pas révéler ce « défaut » qui aurait conduit à sa destitution. Le ‘Hatam Sofer explique que c’est en cela que consistait la menace de Yehouda de « tuer » Yossef et son maître.

Yehouda s’approcha de Yossef pour lui parler directement, sans interprète. Il lui dit en substance : « Soit tu comprends mes paroles, et alors le fait d’avoir mis un interprète entre nous était une ruse indigne. Soit tu ne comprends réellement pas mes paroles, et je te ferai destituer ainsi que ton maître (Par’o) en vous dénonçant aux dignitaires du royaume … ».

Yehouda contraignait ainsi Yossef à s’expliquer de manière satisfaisante, qui ne le fasse pas paraître malhonnête dans ses actes envers eux.

Mais le ‘Hatam Sofer explique l’ignorance de Par’o du Lachone Hakodèch. Et pourquoi Par’o a-t-il eu besoin de faire jurer Yossef de ne pas révéler ce manque, plutôt que de le contraindre à lui enseigner sa langue en quelques temps.

Le ‘Hatam Sofer rapporte que nos ‘Hakhamim comparent le Lachone Hakodèch à la noix, qui possède quatre enveloppes :

-la coque verte extérieure, « amère », qui correspond dans la Torah à la « sagesse » grecque qui n’a d’autre qualité que la teinture.

-la coquille solide qui protège le fruit. C’est le « Pchat » (sens simple) qui sert à protéger et  » véhiculer » le contenu précieux.

-le « Drach », les analyses approfondies de nos ‘Hakhamim qui mettent en évidence les règles d’application de la Torah.

-enfin, l’aliment lui-même, l’essentiel du fruit, qui représente les aspects voilés de la Torah et de la Création.

Après cette introduction, le ‘Hatam Sofer explique que la langue des « Hébreux » était essentiellement accessible à tout un chacun, et donc à Par’o.

Toutefois l’aptitude à exprimer la profondeur des choses, comme la « langue Sacrée » doit les transmettre, dans leur entité et leur complexité est réservée à ceux qui sont dotés de « Roua’h HaKodèch » (l’esprit « saint »), c’est-à-dire à un niveau élevé de spiritualité qui permet à l’homme de se « hisser » au-dessus de l’aspect superficiel des choses.

C’est ce haut niveau que Yossef fit découvrir à Par’o en s’adressant à lui de la sorte. Il n’est pas question simplement de « jouer » avec les mots et les allusions, mais de pénétrer dans la « Vérité » profonde de la Création. Un idolâtre tel que Par’o en était totalement incapable. Même un « stage » intensif d’apprentissage n’aurait donné aucun résultat. C’est cette « Langue » que Yehouda tenta d’utiliser face à son interlocuteur sans savoir qu’il s’adressait à son frère Yossef.

Aussi surprenant que ça paraisse, Yehouda ne comprenait pas encore qu’il s’agissait de Yossef, car c’était la Volonté de Hachem que les évènements suivent précisément le cours qu’ils prirent. Toutefois, Yehouda percevait qu’il était face à un personnage « énigmatique », dont les actes étaient mêlés de droiture et de crainte de Hachem, alternées de « manigances » indignes.

C’est ce qu’il contraignit son interlocuteur à « clarifier ».

Telle est la signification du Midrach qui compare la démarche de Yehouda à celle de quelqu’un qui noue une corde à une corde, puis à une ficelle, à un brin, afin de puiser l’eau claire au fond d’un puits. Yehouda alla jusqu’au plus profond de l’âme de Yossef pour l’amener à « se dévoiler ».

Tout ceci n’a bien sûr pas un sens anecdotique simplement. Il ne s’agit pas, nous l’avons déjà mentionné plus d’une fois, de « Contes et légendes d’Israël » !

Nos Maîtres établissent avec insistance le parallèle avec la recherche que chacun de nous doit accomplir pour faire ressortir la profondeur de sa Nechama (âme) et réaliser l’unité entre son « cerveau » et son « cœur », représentant tous deux les deux facettes de la Avoda (le Service de Hachem) liées respectivement à Yehouda et Yossef, les deux « Rois » qui dominèrent leurs élans personnels, pleinement, bien que de manière totalement différente, pour les mettre « au service de Hachem ».

Même les récits les plus « anodins » de la Torah recèlent des sources insondables de la sagesse qui nous est transmise avec un voile. Sachons dépasser les « clichés » superficiels et plonger dans les profondeurs de la Torah qui nous sont accessibles.

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Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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