Parasha – 69 Vayéchev 5783

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La Paracha Vayéchev décrit les évènements relatifs aux Chevatim (Tribus), les fils de Yaacov, ancêtres des Chevatim. Une partie considérable de ces récits concerne spécialement Yossef, et les Parachiot suivantes, (jusqu’à la fin du Sefer Beréchit) sont centrées essentiellement sur Yossef.

Ces Parachiot soulèvent de nombreuses questions, dont celles-ci :

– Pourquoi la Torah accorde t’elle tant d’importance à Yossef, plus qu’aux autres fils de Yaacov Avinou, comme lui, ancêtres des Chevatim ?

– Les rêves occupent une place centrale dans ces récits, ceux de Yossef au début de la Paracha, puis ceux des dignitaires de Par’o à la fin de la Paracha ; puis les rêves de Par’o au début de la prochaine Paracha, Mikets, grâce auxquels Yossef sortira de prison et accèdera aux plus grands honneurs et au pouvoir absolu en Egypte.

Quel sens doit-on accorder aux rêves ? Ne sont-ils pas en opposition avec le réel ?!

-Si les rêves détiennent une dimension de “prophétie”, en quoi consiste-t ’elle ? Et quelle est la fonction de telles prophéties dans le fonctionnement de la Création ?

– Quels enseignements devons-nous retirer de ces “récits” ? Quel impact doivent-ils avoir sur notre “quotidien ?

Commençons par le statut des rêves dans le fonctionnement du Monde.

Rav Yossef Yehouda Leib Bloch, Rav et Roch Yechiva de Telz, dédie une longue analyse aux rêves (Chiouré Daat, Nissim veTéva I). Il explique que le rêve n’est pas “prémonitoire”. Il ne s’agit pas d’une simple “information” sur des évènements à venir, individuels ou collectifs. La réalité qui se déroule à nos yeux dans le présent n’est que le résultat des “faits” existant aux niveaux spirituels élevés de la Création. Ce qui nous paraitêtre “surnaturel”, du fait que cela échappe à la perception de nos sens physiques, est en réalitéla véritable source des faits matériels.

La Nechama a la capacité de percevoir partiellement ces réalités supérieures lorsque l’acuité des sens physiques s’estompe. Cela peut se produire pendant le sommeil. Ce qui sera perçu alors n’est pas du domaine de l’avenir, mais est ancré dans la réalité immédiate dans les racines supérieures des évènements dans les niveaux élevés de la Création.

Rav Bloch ajoute que ce type de perception peut également survenir à l’état de veille, et c’est ce qu’on appelle couramment une “intuition”.

Les révélations sur l’avenir, elles, sont réservées aux Tsadikim.

Rabénou Be’hayé (Beréchit 28,12) souligne que le rêve de” l’Echelle” de Yaacov Avinou était de la catégorie des rêves “prophétiques” comme Hachem les définit dans le dialogue avec Miriam et Aharon relativement à la différence entre la Prophétie de Moché Rabénou et celle des autres Prophètes (Bamidbar, 12,6) : “… dans un rêve Je lui (au Prophète autre que Moché) parle … Moché Mon serviteur n’est pas ainsi …”.

 Nous voyons donc que certains rêves (même véhiculant une révélation authentique …) sont de niveau “inférieur”, tandis que d’autres transmettent une véritable Prophétie.

Examinons à présent les deux rêves de Yossef rapportés au début de la Paracha :

– “Voici que nous liions (Yossef et ses frères) des gerbes au milieu du champ, et voici que ma gerbe se leva et se dressa ; et voici que vos gerbes entourèrent et se prosternèrent à ma gerbe” (37, 5-7).

– “Et voici que le Soleil, et la Lune, et onze étoiles se prosternaient à moi”. Là, il s’agissait manifestement d’une grandeur absolue s’imposant à Yaacov Avinou lui-même (37, 9).

 Yaacov “dégonfla” cette révélation face aux frères, en en mettant en évidence les aspects invraisemblables, mais par ailleurs “son père garda la chose” (37, 11) ce que Rachi explique : “il (Yaacov) attendait et espérait quand cela se réaliserait”. Yaacov avait donc pris “au sérieux” cette révélation et lui accordait la valeur d’une Prophétie.

Cette Nevoua (Prophétie) se limitait-elle à annoncer les évènements qui allaient survenir dans leur génération : la soumission des frères au “Vice-Roi” d’Egypte (Yossef) (42,6 ; 43,26), puis Yaacov Avinou lui-même (46,29) qui, lors de leur rencontre à son arrivée en Egypte, se prosterna devant Yossef, croyant qu’il s’agissait de Par’o (Targoum Yonathan Ben Ouziel) ?!

Mais si ces prophéties n’annonçaient pas uniquement son futur rôle de Vice-Roi d’Egypte, quel était alors le sens de la ” royauté” annoncée dans les rêves de Yossef ?!

Rav Yossef Yehouda Bloch (Chiouré Daat, Meloukha) développe les dimensions respectives de royauté de Yehouda et de Yossef. Tous deux sont définis comme “Rois” par le Midrach (Beréchit Raba, 93,2) qui commente le verset (Tehilim 48,5) : “Car voici que les Rois se sont rencontrés … “.

Rav Bloch développe les qualités respectives de Yehouda et Yossef qui en font des “Rois”, non sur leur environnement, mais sur leurs propres pulsions. Il explique que c’est de là que débute la véritable royauté, et non du pouvoir ridicule des “rois” tributaires du soutien d’une cour ou d’une garde de soldats, aux exigences desquels ils doivent forcément se soumettre pour garder leur position “honorifique” …

La grandeur à laquelle Yossef accéda en Egypte n’était nullement un but en soi, mais uniquement l’émanation de sa royauté personnelle profonde. C’est dans la confrontation entre Yehouda et Yossef que se situe le sens “historique” de leur “royauté”.

Rav Bloch souligne que c’est de cette royauté fondamentale de Yossef qu’est issue la royauté du “Machia’h Ben Yossef”.

Nous arrivons ici à un domaine qui dépasse évidemment notre compréhension du Plan Divin dans la Création.

La construction du Peuple de Hachem, depuis la première étape de la génération des Chevatim (les “Tribus”, fils de Yaacov), et jusqu’à l’aboutissement de l’Histoire avec la Gueoula (Délivrance) ultime, et en passant par toutes les étapes intermédiaires, est étroitement liée aux qualités respectives des Chevatim. Ils sont la base du Peuple de Hachem issu des Avot (Patriarches). C’est à partir de cette “construction” que doit se réaliser l’épanouissement de la Création : la pleine reconnaissance de la Présence de Hachem !

Le Maharal (Netsa’h Israël, chap.37) compare le Peuple Juif à un homme doté de 12 organes fondamentaux, correspondant aux douze Mazalot (constellations), et aux 12 mois de l’année. (Toute la structure du Monde est ainsi centrée sur le Peuple des “Ambassadeurs de Hachem”).

Il y a dans l’homme deux organes qui sont “rois” sur tous les organes, la tête et le cœur : la royauté de Yehouda correspond à la tête, et Yossef est toujours “au milieu” en rapport avec le cœur.

Le Chlah HaKadoch (Torah Chèbikhtav, Tson Yossef, Vayéchev) explique que Yossef était la réplique de Yaacov, lui-même réplique de Adam Harichone (l’éclat de Yossef était celui de Yaacov ; la “beauté” de Yaacov était celle de Adam, créé à “l’image de Elokim”).

Yossef réalisa ainsi la “réparation” (de la Création atteinte par la faute d’Adam Harichone).

C’est en cela que Yossef est celui qui s’oppose à Essav qui correspond au “Na’hach” (“Serpent “) qui causa la faute d’Adam Harichone (Voir Rachi Beréchit 30,25). Il explique que le rôle de Yossef est de préparer le terrain en vue de la Royauté de David (Issu de Yehouda).

Ainsi Chaoul, qui était issu de Binyamin (le second fils de Ra’hel) devait préparer l’avènement de David. Toutefois, suite aux fautes des générations suivantes, la Royauté de la maison de David fut scindée, et partagée avec Yossef (Royaume des 10 Tribus).  

A l’aboutissement de l’Histoire, la royauté de Yossef précèdera à nouveau celle de David, par la succession du Machia’h Ben Yossef suivi du Machia’h Ben David.

Mais en quoi consistent ces “royautés” respectives de Yossef et Yehouda qui accompagnent notre Histoire ?!

Le Chem MiChmouel (Vayichla’h 672 ; Vayéchev 677 ; Vayigach 675) développe les influences respectives émanant de Yossef et de Yehouda. Il explique que le Machia’h Ben Yossef, qui est appelé à anéantir Amalek, l’ennemi fondamental de toute spiritualité (Chemot 17,16), aura le rôle essentiel d’enlever le “voile” qui isole le cœur des Bené Israël, et d’ouvrir leur cœur au contact avec Hachem. Il préparera ainsi la venue du Machia’h Ben David qui achèvera ce retour à Hachem.

Le Chem MiChmouel explique encore que Yossef dut combattre la sollicitation de l’épouse de Potifar qui s’appuyait sur la “divination” qu’elle devait avoir une descendance de Yossef (Midrach Raba Beréchit 85,2). L’incitation du Yetser Hara (penchant pour le mal) était appuyée sur la “raison” : le Yetser Hara se présentait à Yossef comme un Talmid ‘Hakham (étudiant de la Torah).

Yossef sut distinguer le Kodech (“Saint”) du ‘Hol (profane). Il est la racine du rôle futur du Machia’h Ben Yossef qui “redressera” les aspirations erronées des Bené Israël. Le Machia’h Ben David complètera la réparation profonde des Bené Israël qui n’auront alors plus d’autre aspiration qu’à la Kedoucha.

Les forces représentées par Yossef HaTsadik et David HaMelekh accompagnent toutes les générations.

Rabbi Tsadok HaCohen (Pri Tsadik, Vayéchev 10) explique que Yossef représente la dimension du Tsadik qui maîtrise tous ses actes. Les Chevatim pensaient qu’il était impossible de faire fonctionner le Peuple entier à un tel niveau, mais seulement avec la dimension de “réparation” suite à la faute représentée par la royauté de David issu de Yehouda.

C’est également ainsi que Rav Chimchon Pinkus (Tiféret Chimchon, Beréchit, p.399) explique la confrontation des deux démarches.

Le Sfat Emet (Vayéchev, 640 ; 646 ; 653) explique comment les incompréhensions entre les Chevatim constituent la préparation de la Galout, et particulièrement de celle que nous vivons, basée sur les mêmes difficultés de contact au sein de notre Peuple. Il ajoute que la dimension de Yossef est essentielle au fonctionnement du Monde, comme le montre le second rêve (Le Soleil, la Lune et les étoiles …).

A travers ces diverses explications, ce sont donc deux approches distinctes dans la Avoda (le Service de Hachem) dont l’opposition et la complémentarité accompagnent l’Histoire de notre Peuple au fil des générations. Chacune a sa place dans la réalisation de la Création, et les difficultés rencontrées au fil des siècles reflètent ces notions, jusqu’à la Gueoula (Délivrance) ultime, où l’influence du Machia’h Ben Yossef doit amener une Techouva complète menant à l’épanouissement du lien avec Hachem dans l’unité du Peuple Juif enfin retrouvée.

Pour conclure relativement au sujet de la place des rêves dans notre existence, citons les paroles de Rav Eliachiv (Divré Aggada, p. 105). Il remarque que les “rêves” de Yossef furent la cause de l’hostilité des Chevatim (à comprendre avec la réserve nécessaire pour les notions soulignées “à gros traits” par la Torah ; (voir Dvar Torah Vayéchev 5777). Il enchaîne en rapportant le verset (Tehilim 126, 1) : “Lorsque Hachem ramènera le retour de Tsion nous serons comme des rêveurs …”.

Rav Eliachiv attribue à notre démarche de “rêveurs” l’hostilité constante des nations à notre égard. Nous semblons toujours à leurs yeux être “en marge” de la réalité (supposée par les nations …).

La Guemara (Berakhot, 14a) critique durement celui qui passe une semaine sans avoir de “rêve” ! Face à cet enseignement étonnant, Rav Eliachiv explique que le rêve représente la projection vers l’avenir.

Une démarche sans réflexion sur le “devenir” est une démarche stérile. Selon Rav Eliachiv, c’est là le sens des “rêves” de Yossef. Il pense pouvoir enfin amener ses frères et lui-même à l’accomplissement ultime de la Création.

Toutes ces explications rapportées ici “trop brièvement” convergent dans un regard plus profond sur notre existence quotidienne et sa place dans l’Histoire, afin de nous amener à comprendre que le Monde apparemment simple et “naturel” dans lequel nous évoluons n’est en fait qu’une “apparence”, un “rêve”, un reflet uniquement de la véritable réalité de la Création de Hachem qui mène de Adam Harichone à la Gueoula ultime.

Les Parachiot “anecdotiques” doivent être lues avec un regard ouvert. Sachons rétablir la juste échelle de valeurs entre les préoccupations matérielles du quotidien, et les vrais “challenges” de la vie.

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Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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