Parasha – 54 KI TAVO 5782

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La Paracha Ki Tavo commence avec la Mitsva des Bikourim (les prémices) (Devarim 26, 1-11). Chacun doit apporter les premiers fruits de ses cultures au Beth HaMikdach, pour les présenter devant Hachem, comme manifestation de reconnaissance pour tous les bienfaits que Hachem nous prodigue.

Cette Mitsva est accompagnée d’une déclaration (26, 5-10) qui reprend les bienfaits de Hachem depuis les péripéties de Yaacov Avinou face aux manigances de son oncle et beau-père Lavan et rappelle que Hachem a octroyé Erets Israël aux Bené Israël. La Mitsva de Bikourim, fondée sur l’expression de notre reconnaissance envers Hachem est accompagnée d’une Mitsva de “Sim’ha” (Joie) (26, 11).

Les deux obligations, la reconnaissance éternelle pour les évènements du lointain passé, et la Sim’ha, sont surprenantes ! 

Comment peut-on se “souvenir” des bienfaits octroyés par Hachem à nos lointains ancêtres, au point de célébrer ce sentiment de gratitude chaque année en apportant les Bikourim ?!

De fait, la Torah exige une telle “mémoire” du passé qu’elle interdit à tout jamais aux Ammonites et Moavites l’accès au Peuple Juif. La Torah (Devarim 23, 5) justifie cette interdiction par le “fait qu’ils ne sont pas venus à votre rencontre avec du pain et de l’eau, dans le chemin à votre sortie d’Egypte”.

Le Ramban explique (Devarim, 23, 5) que ces deux nations, qui sont issues de Lot (le neveu et beau-frère d’Avraham Avinou), devaient leur existence à Avraham qui avait sauvé leur ancêtre Lot à maintes reprises.

Hachem les sanctionna pour avoir manqué de reconnaissance aux descendants d’Avraham.

Or cet épisode a eu lieu plus de quatre-cents ans après que Lot ait dû son existence à Avraham.

Ceci nous enseigne que l’homme, même non-juif, sans la Torah, doit garder conscience de faits anciens, sans limite de délais.

Quant à la Sim’ha, il nous semblerait, de prime abord, que ce soit un sentiment naturel, spontané, qui ne peut pas se “commander” ! Comment ce/un sentiment peut-il faire l’objet d’une obligation ?!

La “Tokha’ha” (remontrance) occupe une place considérable dans la Paracha (28, 15-68), énumérant les catastrophes toutes plus terrifiantes les unes que les autres qui menacent le Peuple de Hachem, s’il ne dédie pas toute son énergie au respect des Mitsvot de Hachem. Là encore, le verset se réfère à la notion de Sim’ha (28, 47), comme élément indispensable de la “Avoda” (Service de Hachem). L’absence de Sim’ha dans la Avoda est désignée comme la cause des drames destinés à frapper le Peuple Juif lors de la Galout (exil). Cette Tokha’ha est désignée par le terme “alliance” (28,69) !

Moché Rabénou conclut la Paracha en rappelant les bienfaits que Hachem a prodigués à Son Peuple depuis la sortie d’Egypte et jusqu’à ce jour où, avec la Tokha’ha, il a conclu avec les Bené Israël l’Alliance avec Hachem

Le dernier verset de la Paracha dit : “…Et vous garderez les paroles de cette Alliance, et vous les “ferez” afin que vous “réussissiez” tout ce que vous ferez “.

La Guemara (Avoda Zara, 19b) dit : “Quiconque consacre son énergie à la Torah, ses biens réussissent pour lui”. Et la Guemara relie cette affirmation à ce verset.

La traduction “réussissiez ” est conforme au sens que cette Guemara et certains Commentateurs attribuent au mot “taskilou” employé dans le verset. Ce mot “taskilou” est apparenté à la racine “sékhel”, désignant généralement “l’intellect”, la caractéristique fondamentale de l’Homme, et donc pas directement la “réussite” concrète !

Cette traduction est conforme à celle du Targoum Yonathan Ben Ouziel (traduction-explication en araméen rédigée par un Tana – Sage de l’époque du second Beth Hamikdach) qui rend le mot “taskilou” par “tatsle’houn”, de la racine “Tsala’h”.

Rabbi David Kim’hi (Séfer Hachorachim) relie la racine “Tsala’h” au verset (Beréchit 22, 3) : “…Il fendit les bois de l’holocauste” (lorsqu’Avraham répondit à la demande de Hachem d’élever Its’hak en holocauste). Le terme “Tsala’h” désigne donc la réussite d’une démarche qui “perce” les obstacles. Sur la racine “sékhel”, Rabbi David Kim’hi cite le mot “hitslia’h”, voulant manifestement rapprocher les deux notions. Il explique que le terme “sékhel” est proche de la notion d’observation et d’approfondissement, car l’homme qui “réussit” accomplit toutes ses actions avec “réflexion”, comme si elles avaient été réalisées par son intelligence et sa compréhension, bien qu’elles lui viennent accidentellement sans l’assistance de son intellect !

Il semblerait, de ce point de vue, que le verset nous encourage à accomplir les Mitsvot dans l’intérêt de la réussite de nos entreprises. Outre l’étonnement que provoquerait un tel appel à une démarche “intéressée”, la réalité quotidienne du monde ne montre pas une réussite matérielle particulière de ceux qui s’attachent à Hachem.

Le contraire n’est pas plus vrai, bien sûr, et on peut voir la réussite matérielle accompagner l’existence des Tsadikim, tout comme l’échec couronne assez souvent les efforts démesurés des Rechaïm pour “percer” dans la société …

Le Haamèk Davar explique toutefois que cette conclusion de la Paracha vient nous “réconforter” après “l’avalanche” des déboires” énumérés dans la Tokha’ha, et nous rassurer que, même dans l’accomplissement terrifiant de cette Tokha’ha et la Galout, Hachem prendra soin de nous. Il comprend que le verset “vous garderez les paroles” vient dire que si nous dédions nos efforts à l’étude de la Torah, et à l’encouragement d’autrui à s’y consacrer, le mérite sera comme si nous avions “fait” (“vous les ferez”) les paroles de la Torah menacée d’oubli dans la Galout. Ce mérite aura pour effet d’atténuer les affres de la Galout, et de faire aboutir nos entreprises au-delà de nos “compétences” naturelles (“afin que vous réussissiez”). Il s’agit donc bien, selon cette explication d’une “réussite” matérielle, mais non comme but essentiel de l’existence, mais comme “lot de consolation” au sein de la Galout …

Le Malbim explique le terme “taskilou” à deux niveaux : il le relie évidemment au mot “sékhel” (intellect) pour dire que l’accomplissement de l’alliance avec Hachem amène la perception des dimensions spirituelles. Et il relie encore le mot “taskilou” à la “hatsla’ha” (la réussite), qui s’applique aux activités matérielles. Il souligne ainsi que les Berakhot (matérielles) qui précèdent la Tokha’ha, et qui constituent ensemble avec elle la totalité de l’Alliance avec Hachem, s’accompliront si nous sommes fidèles à l’Alliance.

Sous cet angle, cette conclusion de la Paracha vient résumer l’Alliance avec Hachem, rappelant que notre existence ne peut en aucun cas répondre à des facteurs d’ordre “naturels”. Soit nous accédons à une réussite “surnaturelle”, soit nous subissons des avatars hors nature. Tel est le message de cette conclusion de la Paracha.

D’autres Commentateurs expliquent toutefois ce verset dans un sens plus profond et fondamental, au-delà des motivations de confort matériel, sans nier, évidemment, l’importance de notre quotidien, mais en ramenant le verset à un niveau plus essentiel.

Le Alchikh explique le terme “taskilou” comme se référant à la compréhension de la Torah et de la Emouna, menant à un accomplissement plus profond des Mitsvot, ce qui est l’essentiel de notre existence.

Le Ben Ich ‘Haï (Ben Yehoyada, Avoda Zara 19b) commente la Guemara citée plus haut.

Il souligne le terme “pour lui” qui ponctue ici la réussite annoncée par la Guemara. Il explique que la réussite doit “profiter” pleinement à celui qui en bénéficie, et que ce n’est vrai que s’il a le mérite que ses biens lui servent à accomplir des Mitsvot et la Tsedaka. Seulement dans ce cas les biens sont réellement acquis à leur détenteur.

C’est ce qu’exprima le Roi Mounbaz (Guemara Bava Batra, 11a) en disant : “Mes ancêtres ont accumulé pour d’autres, et moi, j’ai accumulé pour moi-même !”. Il justifiait ainsi ses dons abondants à la Tsedaka, que certains lui reprochaient comme une dilapidation du patrimoine hérité.

Le Beér Moché (p. 801) comprend la notion de “Hatsla’ha” comme “percer” au-delà des obstacles. Il l’applique à la compréhension de la Torah, en disant que si l’homme vise de toute sa volonté à la vérité de la Torah, et arrive à surmonter les obstacles, c’est là la véritable “Hatsla’ha” (réussite) de l’existence.

C’est le sens du verset (Tehilim 1, 3) : “et tout ce qu’il fera, il réussira” qui suit le verset (2) “car dans la Torah de Hachem est son désir …”. On voit dans ce verset de David HaMélekh la “Hatsla’ha” rattachée directement à l’étude de la Torah. Le Beèr Moché conclut que cette Hatsla’ha, au-delà de l’accès à la compréhension de la Torah, s’étendra à tous les domaines qui nous sont nécessaires.

Rav Zalman Sorotskin (Oznaïm laTorah, 28, 8) explique ainsi ce verset : Si nous accomplissons l’Alliance, et nous accomplissons les Mitsvot avec Sim’ha (joie) comme le prescrit la Tokha’ha, alors nous les accomplirons avec “sékhel” (compréhension), “Cavana” (intention profonde), et Sim’ha. Tel est selon lui le sens de “taskilou” qui vient ponctuer la Tokha’ha. Accéder à une perception approfondie des Mitsvot est le vrai “sékhel” (intelligence).

Rav Chimchon Raphaël Hirsch explique le terme “taskilou” exclusivement en terme de : “compréhension”. Il refuse le lien avec la notion de “Hatsla’ha” (la réussite).

Il explique que la promesse exprimée dans le verset “lemaan taskilou” consiste à agir avec intelligence.

Tourner le dos à l’alliance avec Hachem exprimée dans les versets (28, 1-69)au-dessus dans la Tokha’ha n’est pas seulement agir de façon inadéquate, mais aussi sans “bon-sens”. Le “sékhel” dicte à l’homme de tirer les enseignements des évènements passés pour respecter notre lien avec Hachem.

Il ressort de l’ensemble de ces explications que la vraie réussite, même lorsque l’homme a une visée “limitée” à la réussite matérielle, passe par la compréhension des mécanismes fondamentaux de la Création.

Certes, le confort matériel a sa place dans le quotidien, mais il dépend en toutes circonstances de la Volonté Divine. Et de plus, il ne prend sa pleine valeur que s’il s’inscrit dans un projet complet d’existence axé sur la Torah, comme le Roi Mounbaz l’a concrétisé.

La reconnaissance de la Présence Divine dans tous les évènements de l’Histoire mène à une confiance totale dans le quotidien qui, seule, est le gage de la vraie “Sim’ha” qui doit caractériser chacun de nos pas dans notre alliance avec Hachem. C’est là le sens des deux Mitsvot qui sont le fondement de toute cette Paracha !

La Paracha Ki Tavo nous fait avancer d’un pas de plus vers la conclusion de la Torah que Moché Rabénou nous a transmise avec amour avant de nous quitter.

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Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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