La Paracha poursuit le discours que Moché Rabénou adressa aux Bené Israël avant de les quitter. Ce discours comprend des rappels des faiblesses passées, et des recommandations relatives à l’accomplissement de diverses Mitsvot.
Parmi les enseignements qu’il leur prodigue, Moché Rabénou leur souligne : “Toute la Mitsva que Je vous ordonne ce jour vous garderez pour accomplir, afin que vous viviez … Et tu te souviendras de tout le chemin que Hachem ton Dieu t’a fait parcourir depuis quarante ans dans le désert… Et Il t’a affamé et Il t’a fait manger la Manne que tu ne connaissais pas…. Afin de te faire savoir que ce n’est pas sur le pain seul que vit l’homme, mais sur tout ce qui est issu de la bouche de Hachem vivra l’homme… Car Hachem ton Dieu t’amène vers un bon pays… Un pays de blé et d’orge, et de vigne et de figue et de grenade… Un pays d’olivier à huile et de miel (dattes)…” (Devarim 8, 1-10).
Ces versets soulignent l’importance considérable que la Torah accorde aux réalités matérielles.
Ce thème se retrouve dans le second passage du Chema (que nous récitons matin et soir…) qui est situé également dans notre Paracha (Devarim 11, 13-21).
Ici aussi, l’accent est mis sur la vie matérielle : “…Et ce sera, si vous écoutez Mes Mitsvot que Je vous ordonne ce jour… Et Je donnerai la pluie de votre terre en son temps …Et tu engrangeras tes céréales, ton vin et ton huile (d’olive) …Et tu mangeras et tu te rassasieras …Gardez-vous de peur que votre cœur ne se séduise, et que vous ne vous écartiez …Et la colère de Hachem s’enflammera contre vous, et Il retiendra les cieux, et il n’y aura pas de pluie, et la terre ne donnera pas sa récolte…”.
Bien que ces citations nous soient familières, nous arrive-t-il de nous interroger quant à leur portée ?
Les “dures réalités” du quotidien nous sont-elles à ce point prioritaires que nous ne nous étonnons pas que l’homme qui a été créé supérieur aux Mal’akhim soit à ce point asservi au matériel ?!
Il est à noter que la notion de “consommation” est déjà mentionnée dans la Paracha Beréchit juste après que Hachem a créé Adam Harichone, et qu’Il l’installe dans le Gan Eden (2, 16). Cela se situe avant la faute de Adam, alors que Hachem n’a pas encore été décrété qu’il mourrait, et que donc le corps subirait une usure progressive qui nécessiterait un “renouvellement par l’alimentation. Le “corps” d’Adam Harichone est initialement d’une nature totalement différente et ne connait ni “usure”, ni besoin de renouvellement.
Et cependant, il y a déjà une notion d’absorption d’éléments extérieurs. Il apparaît donc que ce fait est essentiel à la dimension de l’Homme, créature de Hachem.
Il est clair que Hachem a créé l’Homme pour sa “fonction” spirituelle de Créature supérieure à toutes les autres, et destinée à vivre pleinement son lien avec son Créateur. Ce contact doit évidemment se situer au niveau spirituel. La dimension matérielle de l’Homme semble donc au moins étrangère, sinon même opposée, à son rôle de grandeur.
Notre Rav, Rav ‘Haïm Yaacov Rottenberg, zatsal, exprimait la remarque suivante : “Le “Pchat”, c’est le “Sod”, et le “Sod”, c’est le “Pchat”. C’est-à-dire le “Pchat”, sens simple perceptible dans le monde de notre quotidien, est en réalité le “Sod” (secret), la dimension profonde de la Torah et de la Création, et inversement ! Il expliquait cet enseignement surprenant ainsi : Que la Création recèle une dimension de lien réel avec Hachem, comme les enseignements de la connaissance profonde de la Torah (‘Hokhmat Nistar, ou Kabala) nous la communiquent, cela n’a rien de surprenant ! Au contraire, c’est “évident”, simple, “pchat” ! Ce qui est “Sod” (secret), c’est que notre quotidien prosaïque, banal, sans grandeur apparente, puisse véhiculer un véritable lien avec Hachem !
Le secret de ce qui nous étonne dans notre Paracha est “enfoui” dans cet enseignement.
Rav Sim’ha Zissel Broïdé (Sam Dérekh, p.221 et suivantes) développe abondamment le fait que la source spirituelle de tout aboutit à “concrétisation” dans le monde “inférieur” par la Torah. Il cite l’enseignement du Midrach (Michlé Raba, 9) rapporté par Rav ‘Haïm MiVolozin dans Néfech Ha’Haïm (IV, Chap. 10-11) que la Torah est la source et l’existence de toute la Création dans tous ses détails.
Aussi dans chaque aliment, c’est la dimension spirituelle profonde qui le “sous-tend” qui est le réel support de la vie.
C’est le sens du verset : “…Pour te faire savoir que ce n’est pas sur le pain seul que l’homme vit, mais sur tout ce qui est issu de la bouche de Hachem vivra l’homme …” (Devarim 8, 3). Rav Avraham Ibn Ezra explique (dans son commentaire) ce verset ainsi : “…Car sur le pain seul l’homme ne vivra pas, seulement avec la force issue des mondes supérieurs par l’ordre de Hachem… ; et la preuve en est que vous n’avez pas mangé de pain (mais de la Manne), et vous avez vécu”. Ibn Ezra souligne ici la dimension purement spirituelle de la Manne qui a alimenté les Bené Israël pendant les quarante ans qu’ils vécurent dans le désert.
La fonction d’alimentation n’est donc pas, comme nous la vivons généralement, une activité “bassement” matérielle ! Au contraire, c’est là que se situe l’essentiel de notre lien avec Hachem.
Rav Broïdé cite le Ramban qui dit que les Bené Israël “trouvaient” dans la Manne tous les gouts qu’ils souhaitaient, car l’âme dans sa pensée, s’attache aux mondes supérieurs…”. Rav Broïdé explique que chacun accède à “l’intériorité” spirituelle de l’aliment selon son niveau.
Rav Chimchon Pinkus développe que le “point de vie” dans ce monde se situe dans le pain (Tiférèt Chimchon, p. 124).
Le “point de vie” est le contact du Juif avec Hachem.
Il explique le verset (Kohélèt, 7,12) : “…Et le supplément de la connaissance : la sagesse fait vivre son maître” ainsi : C’est dans la connaissance de l’existence du Créateur que réside le “point de vie” de l’homme. Sans cette conscience, l’homme est purement et simplement “mort” ! Il n’a pas de rapport à la vie.
Toutefois, Rav Pinkus ajoute que l’homme ne se satisfait pas du “pain simple”, farine et eau cuit sans plus. Il recherche que soient inclus dans le pain des proportions plus importantes de satisfaction de ses appétits et souhaits personnels. Et ainsi le pain “gonfle de plus en plus”, jusqu’à perdre sa dimension de “pain”, qui est essentiellement le “point de contact entre la créature et son Créateur”.
Le sommet de la fonction du pain est atteint avec la Matsa à Pessa’h, faite de farine et d’eau, sans le moindre additif humain. Là réside le lien direct entre la créature et son Créateur. C’est le titre de “pain de Emouna” attribué à la Matsa.
Le Ramban (Vayikra 17,11) explique ainsi l’interdiction de consommer le sang des animaux : l’âme de chaque être vivant réside dans le sang, et il ne convient pas de mélanger l’âme ‘temporaire” (de l’animal) avec l’âme éternelle (de l’Homme).
Rav Moché Ye’hiel Epstein (Beèr Moché, p. 266) rapporte les paroles du Ari Zal, qui dit que dans chaque aliment que l’homme consomme, il y a une partie matérielle qui alimente le corps, et la vie qui est aussi une partie de la Nechama (âme) dans l’homme.
Il développe que Hachem a nourri les Bené Israël de la Manne pour nous faire savoir que c’est en réalité la partie spirituelle qui nourrit l’homme.
Rav Epstein explique que là réside l’obligation de manger avec Kedoucha (“sainteté”).
Il faut comprendre l’importance de cette fonction et son retentissement spirituel, et ne pas “banaliser” et “matérialiser” l’aliment.
Ces quelques éléments, situés bien au-delà de notre perception permanente, peuvent rapprocher de notre conscience la grandeur des moindres actes de notre quotidien, et justifient la place de ces recommandations de Moché Rabénou aux Bené Israël au seuil de l’entrée en Erets Israël, afin de ne pas perdre le bénéfice du “régime” de la Manne pendant quarante ans.
Notre Peuple se trouve actuellement en Galout (exil), même en Erets Israël, tant que nous ne retrouvons pas notre contact profond avec Hachem dans les actions banales du quotidien.
Les Parachiot du Séfer Devarim nous fournissent les outils pour nous rapprocher de cette conscience et préparer enfin la Gueoula.
Rav Eliezer RISSMAK Yechiva OHALE YAACOV
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