Parasha – 49 VAETHANAN 5782

Le Chabat qui suit Ticha BeAv, nous lisons chaque année la Paracha Vaèt’hanan, et s’amorce la période définie par les Haftarot de “Né’hamata” (consolation) (la Haftara est la lecture des Neviim – Prophètes qui accompagnent la lecture hebdomadaire de la Paracha, le Chabat).

Après la période éprouvante des “trois semaines” depuis le jeûne du 17 Tamouz (anniversaire de la faute du Eguel – Veau d’or) jusqu’au jeûne de Ticha BeAv (anniversaire de la faute des Meraglim – les explorateurs), s’amorce une période de réconfort.

La notion de “réconfort” est plutôt… surprenante !

Si les périodes “difficiles”, comme les “trois semaines” étaient liées à une notion de punition à l’image du comportement humain, alors l’accalmie aurait dans une certaine mesure un sens.

Comme nous l’avons évoqué à maintes reprises, les “punitions” que Hachem envoie sont en réalité des démarches curatives, de réels outils destinés à aider l’homme ou même la collectivité à retrouver le chemin du lien avec le Créateur.

De plus, en ce qui concerne la lecture de la Paracha, il est étonnant que la Paracha Devarim, seule, précède et introduise Ticha BeAv, comme nous l’avons vu dans le Dvar Torah de la semaine dernière, tandis que la Paracha Vaèt’hanan, que nous lisons après Ticha BeAv, comme amorce du “réconfort”, contient le passage “Ki Tolid” qui annonce l’échec et ses conséquences, que nous lisons le matin de Ticha BeAv ! (Devarim 4, 25-40)

Si ces versets participent à la remontrance pour les fautes, comme il apparaît clairement de leur texte, ce qui justifie qu’on les lise à Ticha BeAv, comment comprendre qu’ils ne soient pas inclus dans la Paracha que nous lisons le Chabat avant le jeûne ?!

Pour étudier cette question, nous devons en fait revenir à la finalité des “punitions”, et analyser le sens de l’Histoire, avec ses alternances de moments de grandeur et de chute, jusqu’à l’aboutissement favorable de la Gueoula (Délivrance) bientôt, de nos jours.

L’annonce de la faute “probable”, mais pas inévitable, que nous trouvons dans le verset (4, 25) : “Lorsque tu mettras au monde des enfants et des petits-enfants, et vous “vieillirez” dans la Terre, et vous vous dévoierez, et vous ferez une forme, image de tout, et vous ferez le mal aux yeux de Hachem ton Dieu, pour le braver”, introduit le passage qui se termine (4, 40) par le verset : “Et tu garderas Ses décrets et Ses Mitsvot …”. Les versets de la Techouva (4, 29-30) se situent au milieu, disant : “Et vous rechercherez de là-bas (en exil) Hachem ton Dieu … et tu reviendras jusqu’à Hachem ton Dieu, et tu écouteras Sa voix !”.

Il est donc clair que l’objectif final est le retour au lien profond avec Hachem.

Alors en quoi consiste le parcours intermédiaire, et comment comprendre la chute et le réveil ?!

Et de plus, comment comprendre que soit adressée à la “génération du désert”, qui a vu de si près la Présence de Hachem à chaque instant, l’annonce si surprenante que leurs descendants en viendront à commettre des fautes “pour braver Hachem” ?!

La clé de cette énigme tient dans le début de la “déchéance” annoncée : “et vous “vieillirez” …

Rav Chimchon Raphaël Hirsch souligne la différence entre le terme “zakèn” (âgé) opposé à “tsa’ïr” (jeune), et “Yachan” (ici “venochanetèm”) (vieux), opposé à “‘Hadach” (neuf) et “raanan” (vigoureux).

Rav Hirsch explique que l’annonce faite aux Bené Israël est que leurs descendants, dès la seconde ou la troisième génération, se verront installés et “issus” du pays, oubliant l’origine de leur situation.

C’est pour combattre cette tendance “naturelle” que Hachem nous a donné tant de Mitsvot destinées à freiner ce “vieillissement”. A partir de cette “usure”, tous les “dérapages” deviennent possibles, et même jusqu’à chercher à rompre le contact avec Hachem en Le “bravant” pour qu’Il nous abandonne à nos pulsions.

Rav ‘Haïm Zaïtchik développe abondamment cette notion dans ses livres Or HaNéfech (p. 387-418), et Maayené Ha’Haïm (Vol.III, p. 302-309). Il souligne que la grandeur de Moché Rabénou ainsi que celle des Avot (Patriarches) consistait à avoir su conserver vivants les moments d’exaltation.

Notre Paracha mentionne la Mitsva de veiller à ne pas oublier la révélation de Hachem au Sinaï (4, 9-10). Là encore il s’agit de conserver la “fraicheur”, selon certains Commentateurs, du souvenir de l’évènement-même du Sinaï (Ramban), ou des enseignements de la Torah (Rachi).

La Torah nous répète inlassablement cette obligation de souvenir “vivant”, condition de la pérennité de notre lien avec Hachem.

Rav Zaïtchik cite les paroles du Sfat Emet (Ki Tavo, année 5659) sur le verset : “Et tu diras devant Hachem ton Dieu … et je n’ai pas oublié” (Devarim 26, 13). Rachi explique : “je n’ai pas oublié de Te bénir sur le prélèvement des dîmes”.

Le Sfat Emet explique que l’essentiel de la Mitsva réside dans son accomplissement avec joie et amour. C’est seulement à cette condition que la Mitsva restera présente chez l’homme tout le jour, de même que cet enseignement de nos ‘Hakhamim que chaque Mitsva que les Bené Israël ont reçue avec joie, ils continuent à l’accomplir avec joie. C’est là le sens de : “je n’ai pas oublié”, selon le Sfat Emet”, car l’homme ne doit jamais oublier l’amour de la Mitsva, ni avant, ni après l’action.

C’est également le sens de la Berakha (que les ‘Hakhamim ont institué de dire avant l’accomplissement de chaque Mitsva).

Rav Zaïtchik comprend des paroles du Sfat Emet qu’au moment-même où un homme accomplit la Mitsva, il est susceptible de “l’oublier”, c’est-à-dire de la faire par simple habitude, ce qui équivaut à l’oublier.

Rav Zaïtchik cite encore le ‘Hatam Sofer sur le verset (Chemot 12, 26) : “Qu’est-ce que ce Service pour vous ?!”, commenté par les ‘Hakhamim comme annonce que la Torah sera oubliée à l’avenir.

Le ‘Hatam Sofer s’étonne du fait que la Torah ait placé cette annonce juste au moment de la Sortie d’Egypte ?!

Il répond qu’il est étonnant que l’enfant auquel on a expliqué la Sortie d’Egypte l’année précédente puisse poser une telle question.

Le ‘Hatam Sofer explique qu’une des catastrophes de la Galout (exil) consiste en ce que l’oubli “du cœur” s’installera chez les Bené Israël. L’objectif du verset est de nous avertir, afin que nous nous efforcions particulièrement de contrer cette évolution défavorable.

Rav Zaïtchik analyse encore le verset qui amorce la Techouva du sein de la Galout (exil) : “Et vous chercherez de là-bas Hachem ton Dieu, et tu trouveras …” (4, 29).

Rav Zaïtchik s’étonne que le verset commence au pluriel “Vous chercherez” et poursuit au singulier “…et tu trouveras”.

Il en déduit une notion profonde que la Torah vient nous enseigner : Il est vrai que la faute est accomplie par l’individu, mais la responsabilité repose globalement sur l’ensemble de la communauté.

L’atmosphère générale a sa part dans le “dérapage” de l’individu qui faute.

Il cite comme exemple la faute de Akhan qui s’était emparé du butin de la ville de Yeri’ho, ce que Yehochoua avait expressément interdit (Yehochoua 7, 1-26).

Suite à une défaite face à la ville suivante, Yehochou’a interrogea Hachem pour la cause de cet échec.

Hachem lui répondit (7, 11) : “Israël a fauté, et a renversé Mon alliance que Je leur ai ordonnée, et ils ont aussi pris du “‘Hérem” (interdit) …”. Suite à la faute d’un seul individu, Hachem accuse l’ensemble du Peuple.

Hachem souligne là que si l’ensemble de la communauté était intègre dans ses sentiments face à Hachem, il n’y aurait pas place à ce qu’un seul ne faute !

Rav Zaïtchik relève la même notion dans la règle de la “Egla Aroufa” (la génisse à laquelle on brise la nuque dans le cadre d’un processus de réparation pour un meurtre non élucidé (Devarim 21, 1-9).

La Torah prescrit que les Anciens sortent de la ville et disent : “Nos mains n’ont pas versé ce sang …”.

Or soupçonnerait-on les Anciens de complicité dans ce crime ?!

Mais nos ‘Hakhamim nous enseignent qu’il suffirait pour engager la responsabilité des habitants de la ville dans un meurtre dans leur voisinage qu’ils n’aient pas accompagné la victime de suffisamment d’égards … Les exemples sont nombreux encore de ce fait, et imposent la conclusion que la faute d’un seul individu est le révélateur du problème profond collectif.

C’est comme l’éruption de boutons qui manifeste l’infection qui affecte l’organisme.

Inversement, comme la médecine moderne l’a abondamment développé, les défenses immunitaires peuvent prévenir un accident localisé. La responsabilité de chacun est ainsi lourdement engagée dans tout ce qui touche à chacun des autres. 

Rav Dessler développe cette notion d’interdépendance du Peuple Juif dans son analyse sur le Ness (Miracle) de ‘Hanouka (Mikhtav MéEliahou, vol II, p.111). Il explique que les décrets de “retrait” de la Présence de Hachem ont leur source dans les défauts spirituels de la génération. La réparation vient d’un élan de réveil. Si ce réveil est limité, il ne touche que la génération elle-même. Mais si le mouvement est plus puissant, il peut étendre son influence au-delà du temps, comme ce fut le cas de la Techouva à l’époque du Ness de ‘Hanouka, qui étendit son impact sur toutes les générations. C’est pourquoi nous” fêtons” ‘Hanouka en allumant les lumières.

Rav Sim’ha Zissel Broïdé (Sam Dérekh, Devarim, p. 26) développe pareillement le problème du “vieillissement”. La perte de “renouveau” permanent et de vigueur entraîne l’avalanche de faute, jusqu’au plus profond de l’abime. Il renvoie à son analyse (Sam Dérekh Beréchit II, p. 182) sur la déchéance d’Essav qui démarre sur le verset (Beréchit 25,29) : “…Essav vint du champ, et il était las”.

Le terme “Ayèf” du verset se traduit par “las” et non par “fatigué”.

Il n’est pas question ici d’une fatigue physique, mais d’un “relâchement” spirituel.

Rav Broïdé explique ainsi que le début de la faute consiste en un abandon de l’élan et de la vigueur.

Même Essav, fils de Its’hak Avinou, et petit-fils d’Avraham, peut s’effondrer totalement suite à une faiblesse légère pas “enrayée”.

Nous pouvons comprendre alors pourquoi le message du passage “Ki tolid”, qui nous révèle le secret du “vieillissement” et du renouveau qui permet de se relever trouve sa place dans la Paracha de la “remontée” qui suit l’échec, et non dans la Paracha précédent Ticha BeAv.

La chute n’est pas définitive et irréparable…

De même que l’atmosphère générale de relâchement a causé la catastrophe, ainsi le réveil collectif, somme de tous les efforts individuels, est appelé à réparer et à nous amener enfin à la Gueoula tant attendue.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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