La Paracha Matot consacre une place importante à la guerre menée contre Midian, suite aux évènements relatés à la fin de la Paracha Balak, où les Bené Israël furent entraînés à la débauche et à l’idolâtrie par les femmes de Midian (Bamidbar 31, 1-54).
Cette guerre avait été annoncée dans la Paracha précédente, Pin’has (25, 16-18) et était justifiée par l’hostilité des Midianites qui avaient envoyé leurs filles pour entraîner les Bené Israël à la débauche et à l’idolâtrie de Peor.
Dans notre Paracha, Hachem ordonne à Moché (31, 2) de faire cette guerre en tant que « Nekama » (couramment traduit par « vengeance ») des Bené Israël du fait des souffrances causées par les Midianites. Moché Rabénou définit cette guerre (31, 3) comme « Nekama » de Hachem sur Midian.
La traduction du terme « Nekama » par « vengeance » est inappropriée.
La vengeance est la volonté de « faire payer » à l’autre pour ce qu’il nous a infligé, et est étrangère aux sentiments que la Torah permet à un Juif ! Aussi, il est donc surprenant qu’une telle démarche soit subitement « à l’honneur » en tant que Mitsva ?!
Rav Chimchon Raphaël Hirsch (31,2) relie la racine de « nakom » à : « koum » qui veut dire : « se lever ». Il explique que l’objectif de la « Nekama » « permise », ou plutôt « recommandée », est de rétablir la Justice qui a été piétinée, où la personne a été rabaissée jusqu’à terre. Il ne s’agit pas ici de « faire payer » les Midianites, mais de « relever » les Bené Israël qui ont été « dégradés » moralement et spirituellement, et de les libérer du poids des manigances des Midianites.
Quel est le véritable sens de la guerre ?
Qu’on le veuille ou pas, la guerre fait partie du fonctionnement du monde depuis la dispersion des hommes suite à la faute de la Tour de Bavel (Beréchit 11, 7-9).
Les « motifs » des conflits sont variés, économiques, annexionnistes, idéologiques, culturels etc… mais toujours mus par un « intérêt vital » qui les justifie, au moins aux yeux de ceux qui s’y livrent.
Notre Peuple, dont la démarche est totalement guidée par la Volonté de Hachem exprimée dans la Torah, n’est généralement pas « enclin » aux entreprises belliqueuses.
De plus, selon les critères en usage dans le monde moderne, même la réaction militaire ne se justifie qu’en réponse à une agression « vitale », et est « sensée » (oui ! « sensée » seulement …) être limitée aux adversaires « armés », à l’exclusion de toute atteinte aux populations civiles, qui serait qualifiée de « crime de guerre » et « sévèrement » punie (en cas de défaite des « fautifs », évidemment …).
Or nous voyons ici dans la guerre contre Midian, un conflit « total » menant à l’anéantissement de l’adversaire. Toutefois, il nous est difficile de percevoir une « agression » à laquelle des générations de dégradation des mœurs dans la « civilisation » ambiante nous ont « désensibilisés ».
Dans le contexte de permissivité des « cultures » étrangères à la Torah, il serait tentant de ne critiquer, et au maximum « condamner » que le comportement de ceux qui succombèrent à l’incitation des femmes Midianites. Il nous est donc difficile de lire « naturellement » la description de ce conflit.
Soulignons une fois de plus que la Torah n’est pas un livre d’histoire, et seuls les évènements ayant un impact sur notre propre existence y figurent. Au-delà des enseignements profonds de la Torah qui dépassent la lecture première, le récit de cette guerre est justifié par l’inspiration d’une approche authentiquement juive de ce genre de situation.
Lorsque les « soldats » revinrent de cette guerre (au total 12.000 hommes pour affronter un peuple entier, ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’une entreprise « humaine » ordinaire, mais d’une mission accompagnée de l’Intervention Divine …), Moché Rabénou interpelle les cadres, et leur reproche d’avoir laissé en vie les femmes, alors que c’était elles qui avaient entraîné les Bené Israël à la débauche.
Les commentateurs s’étonnent de cette critique, car Moché Rabénou n’avait initialement donné aucune instruction particulière à ce sujet ?!
Le Chla HaKadoch répond que cette démarche « allait de soi » par « bon-sens », sans nécessiter un ordre explicite. Et une chose qui « tombe sous le sens » est une obligation absolue pour l’homme. Il fait le parallèle avec l’épisode de Bil’am (Bamidbar 22, 21-34) : après que Hachem avait envoyé un Mal’akh (« ange ») pour se dresser face à Bil’am dans son chemin pour aller maudire les Bené Israël, Bil’am voit enfin le Mal’akh se montrerà ses yeux. Bil’am dit alors : « J’ai fauté car je ne savais pas que tu te dressais face à moi sur le chemin » (22, 34).
Cette phrase, qui semble être une « excuse » de la part de Bil’am, est expliquée à l’opposé par le Chla HaKadoch comme un complément de « Vidouï » (aveu). Bil’am reconnait là qu’il aurait dû comprendre les écarts de son ânesse, et ne pas avoir besoin de voir le Mal’akh pour en « tirer les conclusions » …
L’explication du Chla HaKadoch montre une fois de plus que la Paracha apporte, à notre génération en particulier, un enseignement fondamental.
Ce qui nous a « étonné » dans ce conflit, à savoir la condamnation des femmes « innocentes », puisqu’elles n’étaient pas des combattantes armées, est dû à une dégradation profonde des sentiments moraux et spirituels chez nous. Nous sommes imprégnés des « valeurs » de « civilisation » et de « démocratie » qui prévalent dans le monde ambiant, et nous avons laissé s’émousser notre sensibilité naturelle à l’indignité !
Moché Rabénou explique la condamnation de ces femmes en la reliant au conseil de Bil’am (31,16). Nos ‘Hakhamim nous enseignent (Sifri, ici) que Bil’am dit à Balak qu’aucune armée, si nombreuse soit-elle, ne pourrait vaincre les Bené Israël, tant que Hachem les protègerait. Seul l’abandon par Hachem, causé par la faute, serait à même d’affaiblir les Bené Israël. Il nous faut, malheureusement, le conseil de Bil’am pour apprendre ce que nous devrions ressentir naturellement, l’impact dévastateur de la faute ! Cette guerre était donc à la fois la « Nekama » de Hachem et des Bené Israël.
Faisant suite au retour de cette guerre, Elazar enseigne les règles de « cachérisation » des ustensiles de cuisine qui ont été « imprégnés » de matières interdites. Certains ustensiles se « cachérisent » par le feu, d’autres par l’eau (31, 23). Il est vrai que le butin comprenait de tels ustensiles, mais pourquoi est-ce à cette occasion particulièrement que doit être enseignée cette loi ?!
D’une part la cachérisation exigée par la Torah (selon la règle initiale de la Torah, avant l’extension de délais décrétée par nos ‘Hakhamim …) dépend du délai après une utilisation interdite, et ici le délai était certainement passé. Mais surtout, pourquoi Hachem nous enseigne-t-il cette règle juste là, lors d’un évènement apparemment secondaire et exceptionnel ?
Rav Moché Ye’hiel Epstein (Beèr Moché p.714) pose cette question, et s’étonne de plus que cette règle soit désignée comme « ‘Houkat HaTorah » (le « décret » de la Torah) comme la règle de purification de la Toum’a (Impureté) contractée au contact d’un cadavre, au moyen des cendres de la vache rousse. Qu’y a-t-il de particulièrement « inaccessible » dans cette règle, pour la qualifier de « décret » ?! Il explique que la Torah est venue nous enseigner ici une chose grande et fondamentale, concernant tous les Juifs et à toutes les époques. Toute la raison de la guerre contre Midian était de vaincre la souillure qui cherchait à rendre les Bené Israël impurs dans la pensée et dans l’acte.
Rav Epstein souligne que ce qui « passe dans le feu » fait allusion ici aux Korbanot (offrandes) qu’on apportait au Beth HaMikdach (le Temple) pour réparer certaines fautes. Maintenant qu’il n’y a pas le Beth HaMikdach, la Tefila remplace les Korbanot. Les ustensiles du butin de Midian font allusion à l’impureté des pensées que le peuple de Midian représente.
Rav Reouven Karèlnstein (Ye’hi Reouven, p.564) rapporte l’enseignement suivant au nom du ‘Hafets ‘Haïm : La Torah est comparée à l’eau ; de même que l’eau purifie de l’impureté, ainsi la Torah purifie de l’impureté de la faute.
Toutefois ce n’est vrai que pour les fautes accidentelles. L’immersion dans l’étude de la Torah, « l’eau » permet de réparer les fautes accidentelles.
Par contre les fautes « incrustées » par la récidive répétée nécessitent un traitement plus « vigoureux : le feu. La Torah est comparée et à l’eau et au feu, et cumule donc les deux forces de purification.
Il s’agit là d’un ‘Hok, un « décret » inaccessible à l’intellect humain, mais » qui fonctionne » ! C’est là le lien avec la guerre de Midian. Il fallait engager cette guerre pour chasser l’impureté contractée au contact des Midianites.
Il va de soi que l’initiative d’un conflit armé est subordonnée à une Mitsva explicite de Hachem. Toutefois la conscience du conflit profond doit habiter le cœur de chaque Juif, à chaque époque.La lecture de cette Paracha, proche de la fin de l’époque de la « Yechiva » de Moché Rabénou pendant les quarante ans dans le désert, et au seuil de l’entrée en Erets Israël, doit nous inspirer le même mouvement de purification des « valeurs » malsaines dont nous imprègne le contact avec des cultures qui s’opposent à notre lien profond avec Hachem.
Rav Eliezer RISSMAK Yechiva OHALE YAACOV
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