Parasha – 45 HOUKAT 5782

Les évènements cités dans la Paracha ‘Houkat se situent dans la dernière année du séjour des Bené Israël dans le désert.

Dans le Dvar Torah sur cette Paracha, l’an dernier (5782), nous avions vu qu’elle représente la transition entre l’époque où la vie des Bené Israël était régie par des Nissim (miracles) manifestes conformément au niveau spirituel de Moché Rabénou et l’entrée en Erets Israël où l’intervention de Hachem dans le quotidien des Bené Israël sera voilée par une apparence de fonctionnement “naturel”.

Nous avons également développé le sujet de la confrontation entre les Bené Israël et d’autres nations, comme Edom, les descendants d’Essav (Bamidbar 20,14-21), ou Amalek, également descendant d’Essav (21,1-3) (Dvar Torah 5780).

Tout en étant hostiles aux Bené Israël et rebelles à Hachem, ces peuples étaient profondément conscients de la Présence de Hachem dans le fonctionnement du monde.

Edom était susceptible de recevoir le message de Moché Rabénou qui faisait allusion à leur passé commun avec les Bené Israël, et les objectifs de l’histoire des descendants des Avot (Patriarches) auxquels leur ancêtre Essav s’était dérobé (Voir Rachi 20,14).

Amalek s’était “déguisé” en Cananéen (Rachi 21, 1) afin d’induire en erreur les Bené Israël, et les amener à prier Hachem contre un ennemi cananéen, de telle sorte que la prière erronée ne soit pas exaucée, l’ennemi n’étant pas cananéen …

Ces exemples montrent que les nations vivaient jadis clairement avec “Emouna” dans le Créateur. Leur “dérive” se situait dans l’application de cette Emouna dans leur comportement.

Il nous reste à aborder un domaine d’étude complémentaire : le domaine de la “mémoire historique” !

Considérons le dialogue de Moché Rabénou avec le roi d’Edom :

Moché Rabénou se présente à Edom comme : “Ton frère Israël” (20, 14), faisant ainsi allusion à leur passé commun de descendants d’Avraham Avinou, à qui Hachem a annoncé : “Saches que ta descendance sera étrangère … et ils les asserviront et ils les persécuteront … et après cela ils sortiront avec une grande possession …” (Beréchit 15, 13). [b.1] C’est pourquoi Essav quitta le pays de Kenaan lors du retour de Yaacov Avinou de chez Lavane, pour ne pas avoir à “payer la “dette” qui incombait aux descendants d’Avraham, quitte à renoncer ainsi à la promesse de recevoir Erets Israël (Rachi, Beréchit 36, 7).

Nous lisons simplement ces versets et les explications des ‘Hakhamim, comme si ces faits étaient évidents …

Mais replaçons ces évènements dans leur dimension historique, et prenons conscience  que la Promesse de Hachem à Avraham se situe 430 ans avant la confrontation entre Israël et Edom dans notre Paracha (voir Chemot 12, 40); quant à la “fuite d’Essav devant le retour de Yaacov, elle date de près de trois siècles (Yaacov Avinou revint de chez Lavane âgé de près de cent ans, descendit en Egypte 30 ans plus tard ; les Bené Israël séjournèrent en Egypte 210 ans, puis ils errèrent dans le désert pendant 40 ans …).

Quelle impressionnante mémoire historique est nécessaire pour un tel dialogue !

Et Edom ponctue en assortissant sa réponse par cette remarque : “… Que je ne sorte avec le glaive à ta rencontre”, faisant ainsi allusion à la Berakha octroyée par Its’hak Avinou à leur ancêtre Essav : “Et sur ton glaive tu vivras !”.

Nous voyons ici une continuité dans la mémoire historique impressionnante !

Comparons avec les évènements dans l’histoire récente et actuelle dans le “monde moderne” ! Les divers conflits d’annexion ou de “libération” qui se sont toujours déroulés dans le monde, et continuent à agiter l’actualité reposent sur une “mémoire” historique “sélective” … Les diverses régions composant les nations seront tentées de raviver le “souvenir” identitaire d’avant l’agglomération de petits territoires en “nations souveraines”. De leur côté, les gouvernements réprimeront “vigoureusement” toute tentative de sécession … (guerre de sécession en Amérique, unité du “Royaume Uni, diverses régions en France ou en Espagne, ou enfin la Russie ou la Chine pour atterrir dans l’actualité …).

Mais rien de cela n’est comparable à l’exemple de notre Paracha, où la référence est faite dans le dialogue à des faits historiques “familiaux” dont le rappel remue des souvenirs “douloureux”… (la rupture d’Essav d’avec la “trajectoire” familiale initiée par les Avot (Patriarches).

La Torah nous cite ces faits comme une évidence incontestable et incontestée par les divers protagonistes.

Ce même principe de continuité se retrouve dans un autre contexte :

Lorsque la Torah interdit toute union avec le Peuple Juif aux hommes de deux peuples, Amon et Moav, issus de Lot, le neveu d’Avraham, le verset justifie en partie cette exclusion par le fait que : “Ils ne sont pas venus à votre rencontre avec le pain et l’eau …” (Devarim 23, 5).

Le Ramban explique que la Torah exclut ces deux peuples frères (les fils de Lot) qui ont bénéficié de la générosité d’Avraham lequel avait sauvé leurs ancêtres (père et mère) de l’épée et de la captivité (Beréchit 14, 12 ; 16). C’est également par le mérite d’Avraham Avinou que Hachem avait épargné Lot et ses proches lors de la destruction de Sedom (Beréchit 19,29). Aussi ces peuples avaient une énorme dette de reconnaissance envers Israël, et ont au contraire adopté une attitude hostile.

Il y a là, également une notion de mémoire historique, et de plus elle est soulignée comme sujet de critique à l’encontre de chaque descendant de ces peuples individuellement, au point de les exclure de l’accès au Peuple de Hachem, et ce jusqu’à la fin des temps.

Dans l’atmosphère générale du monde “moderne” qui alterne alliances, conflits et compromissions au gré des intérêts immédiats, quitte à les justifier ensuite par l’alibi de “pseudo” motifs historiques à la constance très relative (il suffit de considérer la grande “unité” de l’Europe qui partage en réalité le souvenir de siècles de conflits sanglants jusque dans le passé proche …), un tel degré d’exigence a de quoi nous surprendre !

Une autre illustration de l’insistance de la Torah sur la référence aux éléments objectifs du passé est la définition que donne le Rambam du “Ben Noa’h” (descendant de Noa’h) fidèle aux 7 lois dictées par Hachem à l’ensemble de l’Humanité : “Quiconque prend sur lui les sept Mitsvot, et est attentif à les accomplir est (compté) parmi les ‘Hassidé Oumot Haolam (les (hommes) pieux parmi les nations du monde), et il a part au monde à Venir; et ceci à condition qu’il les prenne (ces 7 Mitsvot) sur lui et les accomplisse parce que Hachem les a ordonnées dans la Torah, et nous a fait savoir par Moché Rabénou que les descendants de Noa’h  avec cette Emouna

Là encore, la référence à des faits passés dont nous aurions l’impression qu’on ne peut pas en imposer le souvenir à chaque être humain, apparaît de manière surprenante.

Nous vivons dans les derniers siècles au contact de ceux qui croient se souvenir de ce qui se serait soi-disant passé il y a des centaines de millions d’années, mais choisissent soigneusement les faits historiques plus “récents” à conserver ou à “oublier” ! Les contemporains de Moché Rabénou ne trouvèrent pas à redire à son récit dans la Torah des évènements des derniers siècles qui leur étaient encore familiers.

La Torah privilégie la mémoire des faits objectifs… même lorsque l’humanité tend à les occulter. A ce titre, elle reproche aux hommes leur oubli délibéré de l’Histoire du monde.

Rav Ye’hézkel Lewinstein (Or Ye’hézkel, Torah Vadaat, p. 297) souligne que Edom n’a pas contesté le rappel du passé familial. Et néanmoins il n’a pas agi conformément à ce passé.

Le contact avec les “négationnistes” de l’Histoire nous mène trop souvent à ne voir l’effort à accomplir que dans la Emouna simple. Notre Paracha vient nous rappeler que notre tâche consiste à vivre en résonnance, à la différence du comportement d’Edom et Amalek.  

La mémoire historique doit avoir une incidence sur les actes, faute de quoi elle se retourne contre l’homme en tant qu’accusatrice.

La Torah nous apprend ici une leçon précieuse pour nous-mêmes, Bené Israël. Nous ne pouvons pas nous suffire de nous glorifier de la grandeur de nos ancêtres ! Il faut vivre au diapason de leur exemple, et nous efforcer d’être dignes d’eux.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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