Comme l’indique le nom de cette Paracha, le sujet central est la contestation par Kora’h de l’autorité de Moché Rabénou.
Ce sujet est constitué de plusieurs étapes :
–Tout d’abord la « Ma’hlokhèt » (la divergence) de Kora’h elle-même (Bamidbar 16, 1-35), jusqu’à son aboutissement dramatique avec la mort spectaculaire de Kora’h et de ses « associés », certains furent engloutis par la « bouche » qui s’ouvrit dans la terre, les autres, consumés par un feu envoyé par Hachem lorsqu’ils apportèrent un encens non agréé par Hachem.
- La seconde étape de cette Ma’hlokèt (17, 6-15) eut lieu lorsque les Bené Israël reprochèrent à Moché Rabénou la responsabilité de la fin tragique de l’assemblée de Kora’h, et que Hachem punit cette contestation par une « épidémie » qui emporta plus de quatorze mille hommes.
- La troisième étape (17, 16-26) où Hachem ordonna à Moché Rabénou de confirmer Son choix d’Aharon comme Cohen Gadol par l’introduction dans le Michkan (Tabernacle) des « bâtons » des Princes des Tribus. Le choix d’Aharon fut confirmé par le Ness (Miracle) du bâton d’Aharon qui fleurit et produisit des bourgeons d’amandes en une nuit.
- En conclusion, Hachem définit les modalités du statut des Cohanim et des Leviim, leurs responsabilités et leurs « avantages » (18, 1-32).
Cet épisode est à l’origine de la Mitsva : « … et qu’il ne soit pas comme Kora’h et comme son assemblée … ! » (17, 5), qui définit l’interdiction générale de « Ma’hlokhèt » (divergence), considérée comme une des fautes les plus graves de la Torah (Guemara Sanhédrin 110a).
Cet épisode est source d’étonnements sans limites :
- Comment comprendre qu’un tel évènement ait pu avoir lieu dans la génération qui venait tout juste de vivre la Sortie d’Egypte, le Passage de la Mer, Matane Torah, et tous les Nissim (Miracles) qui accompagnaient les Bené Israël par le mérite spécial de Moché Rabénou, reconnu par tous étape par étape ??
Comment comprendre le « personnage » de Kora’h, un des Leviim qui avait été choisi parmi les plus grands d’entre eux pour porter le Aron HaKodèch qui contenait les Lou’hot (les Tables des Dix Commandements), Kora’h qui était parmi les plus grands des Bené Israël, à propos duquel le Ari Zal explique que les trois mots « TsadiK catamaR Yifra’H » (le Tsadik fleurira comme le palmier) se terminent par les lettres du nom de Kora’h, montrant que Kora’h est défini comme étant un « Tsadik » !
A la lecture de la Paracha, toute la démarche de Kora’h et de ses associés apparait comme clairement « déviante » dans son contenu même.
Or, la Michna (Avot 5, 16) définit cette Ma’hlokèt comme « Chèlo lechem Chamaïm » (qui n’est pas pour l’honneur de Hachem), ce qui laisse entendre que le seul défaut résidait dans l’intention, et non dans l’objet de la contestation de l’autorité de Moché Rabénou.
Le Maharal commente cette Michna en expliquant que la notion de Ma’hlokèt développée ici est inhérente à la Création. Hachem est à l’origine de tout, et donc également des choses fondamentalement opposées, comme l’eau et le feu. C’est la plus grande manifestation de l’Unicité de Hachem, le fait qu’Il fasse exister dans Son Monde des choses opposées.
C’est en ce sens que la Michna vante la Ma’hlokèt « Lechem Chamaïm » de Hillel et Chamaï, deux des plus grands de nos ‘Hakhamim de l’époque du second Beth HaMikdach, qui sont la plus parfaite illustration de l’honneur de Hachem exprimé dans le comportement humain. Leurs discussions sur des règles de Torah étaient sans complaisance, avec toute l’énergie qu’un homme peut manifester pour une cause qui lui tient à cœur. Et simultanément il régnait entre eux la plus grande harmonie et unité dans le quotidien, car ils ne vivaient pas leurs confrontations dans la Torah comme des oppositions personnelles, mais exclusivement comme l’accomplissement de la Volonté de Hachem.
Rav Guedaliahou Schorr (Or Guedaliahou, p. 131) développe pareillement la notion de Ma’hlokèt comme fondamentale à la Création. Il souligne que le second jour de la Création a introduit la notion de pluralité. Le premier jour est désigné dans la Torah par le mot « E’had » (Un), et non « Richone » (Premier).
Jusqu’à l’apparition du deuxième jour, il y a unité totale. Le second jour amène la dualité, première étape de la pluralité.
Rav Schorr explique ainsi la Michna (Avot, 1, 14) : « Si je ne suis pas pour moi, qui sera pour moi ?! Et lorsque je suis pour moi, que suis-je ?! » : Chaque individu (et chaque détail de la Création) reçoit de Hachem sa fonction distincte, que lui-seul peut accomplir, et nul autre. Mais même dans l’accomplissement de son rôle dans la Création, chacun doit s’inclure dans l’ensemble, et ne pas chercher à se singulariser. Il ajoute que même dans la Torah existe la pluralité (dans la conformité au sens de la Torah évidemment ! …Ne pas confondre « pluralité » qui est une réalité, et « pluralisme » qui est le « culte » de la singularité pour elle-même, et qui diverge par principe de l’Unicité de Hachem et de Sa Torah…).
En ordonnant de suivre l’opinion de la majorité pour les décisions de Beth Din (le Tribunal Rabbinique), la Torah indique la possibilité de points de vue divers, tous issus de la Torah, comme la Guemara (Erouvin 13b) le souligne au sujet des « écoles » de Hillel et Chamaï : « Ceux-ci et ceux-là sont les Paroles de Dieu Vivant ! « .
Tel est le sens d’une « Ma’hlokèt Lechem Chamaïm ».
La Création atteint l’Harmonie supérieure à travers de telles « divergences » qui ne dérivent pas au culte de la singularité.
C’est dans ce sens que chaque homme peut trouver son épanouissement, en développant toute son énergie et son « ambition », comme le souligne Rav Chraga Grossbart (Daat Chraga p. 80).
Il ne s’agit pas d’une ambition de s’imposer et d’être reconnu, mais d’arriver personnellement au maximum des possibilités dont Hachem nous a gratifiés pour remplir notre fonction dans Sa Création (comme l’exemple de l’orchestre que nous avons rapporté dans le Dvar Torah sur la Paracha Bamidbar, cette année).
C’est dans ce sens que la démarche de Kora’h aurait pu être pleinement justifiée, et atteindre les plus hauts sommets de réalisation du but de la Création.
Rav Yerou’ham Lewovitz (Daat Torah p. 158) explique qu’il ne faut pas nous représenter la Ma’hlokèt de Kora’h comme une lutte pour le Kavod (l’honneur).
Dans la mesure où la Michna compare cette Ma’hlokèt à celle de Hillel et Chamaï, c’est donc que dans le fond, elle lui était égale.
C’est la dimension des Tsadikim dans leur existence de chercher à s’élever toujours plus, sans répit. Et si ce n’avait été le « Chèlo Lichma » (une action qui n’est pas motivée dans le but de la Mitsva de Hachem) qui s’est introduit dans leur démarche, il n’y aurait eu aucune différence avec la Ma’hlokèt de Hillel et Chamaï.
Rabbi Yerou’ham explique encore (p.164) que là est l’essentiel du profit que nous devons retirer de l’étude du ‘Houmach : changer toute notre façon de penser et nos concepts.
Face à la lecture superficielle d’une Paracha comme celle-ci, considérant ces évènements à l’éclairage du monde mesquin auquel nous sommes habitués, il nous incombe de lire la réalité des enseignements que nous devons en tirer.
Rabbi Yerou’ham nous explique que la « Kin’a », couramment traduite de façon erronée par « jalousie », a en vérité deux facettes radicalement opposées, l’une au sommet de la Kedoucha, l’autre au plus profond de l’abîme !
Aspirer au maximum de l’épanouissement personnel en prenant exemple sur la réalisation d’autrui, en tournant la critique sur soi-même pour ne pas avoir atteint un niveau accessible comme le prouve l’accomplissement d’un Tsadik, telle est la Kin’a positive, de Kedoucha. Par contre, tourner ses sentiments négatifs vers l’autre dont la réalisation illustre notre propre manque est stérile, et est générateur de catastrophe.
La difficulté réside dans le fait de s’analyser avec lucidité, et ne pas basculer d’une Kin’a à l’autre.
La frontière entre le Gan Eden et le Guéhinom est de l’épaisseur d’un cheveu.
C’est là que s’est située l’erreur de Kora’h : de la Kin’a « Kechéra » de l’ambition d’atteindre la proximité à Hachem qu’avait reçue Elitsafan ben Ouziel, le Prince de la famille des Bené Kehat parmi les Leviim ; et encore l’élévation spirituelle reçue par Aharon dans sa fonction de Cohen Gadol, Kora’h a glissé sans s’en rendre compte à la Kin’a malsaine qui porte à juste titre, le nom de jalousie.
Ainsi en fut-il de l’erreur de Caïn lorsque son élan vers Hachem n’avait pas atteint la même perfection que celui de son frère Hével. Et lorsqu’un homme glisse si peu que ce soit de la Kin’a intégralement pure à, ne serait-ce qu’un mélange infime de culte de soi-même, la pente est vertigineuse.
Voici un aperçu très partiel de l’étude de la Paracha que nous offrent nos ‘Hakhamim.
Retenons la leçon fondamentale que la Ma’hlokhèt qui dans sa forme élevée constitue l’épanouissement des aspirations spirituelles de l’homme (comme chez Hillel et Chamaï), et pour ceux qui ne sont pas à ce niveau le plus virulent des poisons…Quant à nous, qui sommes loin de ces niveaux spirituels élevés, mettons toute notre énergie dans l’accomplissement des Mitsvot où le manque de « Lechem Chamaïm » n’est qu’un défaut partiel, mais ne nous fait pas basculer dans la plus grave des fautes !
Rav Eliezer RISSMAK Yechiva OHALE YAACOV
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