Le Séfer Bamidbar est consacré au séjour des Bené Israël dans le “Midbar” – désert.
Bien que les récits de ce Séfer semblent être d’ordre essentiellement “historique”, sans impact réel sur les générations à venir, il n’en est rien, la Torah n’est pas un livre d’histoire !
Nous devons donc nous efforcer de percevoir dans l’ensemble de ce Séfer, et chercher dans chaque détail, l’enseignement que la Torah nous adresse pour notre propre existence.
Rav Tsvi Chraga Grossbard (Daat Chraga) introduit la Paracha et le Séfer Bamidbar par le constat cité dans la Guemara (Meguila 14a) que malgré le grand nombre des Neviim (Prophètes) qui ont existé dans le Peuple Juif, seules les Prophéties nécessaires aux générations à venir ont été consignées dans le Tanakh (Bible). A ce titre, il s’étonne que le Séfer Bamidbar ne contient pas (dans sa majeure partie) de Mitsvot applicables à l’avenir, et se demande pour quelle raison fait-il partie des 5 livres de la Torah ?!
Rav Tsvi Chraga Grossbard répond que bien que ce Séfer ne contient pas de “Mitsvot” pour les générations, il comporte cependant des “enseignements” pour les générations. Le Séfer Bamidbar contient de nombreux enseignements relatifs au comportement et au regard sur la vie. Certains enseignements sont formulés explicitement, d’autres requièrent une étude approfondie pour découvrir la profondeur enfouie dans la Torah, Torah de Kedoucha, Torah de vie.
Voilà pourquoi le Séfer Bamidbar a été écrit pour les générations : pour enseigner les lois de la vie.
La première partie de la Paracha (Bamidbar, 2, 1-34) développe la mise en place des Degalim (les campements) par Moché Rabénou.
Nos ‘Hakhamim (Midrach Bamidbar Rabah, 2,3) soulignent la grandeur accordée par Hachem aux Bené Israël en les organisant en Degalim, comparables aux Mal’akhim (“Anges”) que les Bené Israël ont perçus lors de Matane Torah (le Don de la Torah au Sinaï).
Tout comme les Mal’akhim perçus lors de Matane Torah étaient organisés en “Degalim”, (même si nous ne comprenons pas plus ce qu’est un Déguel de Mal’akhim que ce qu’est un seul Mal’akh …), ainsi les Bené Israël aspirèrent à la grandeur que cela représentait.
Le Midrach ajoute que lorsque les nations prirent conscience de la grandeur des Bené Israël, depuis le séjour dans le désert et ensuite (voir dans la Paracha Balak l’émerveillement de Bil’am au spectacle du campement des Bené Israël …) elles essayèrent de tous temps de nous attirer vers elles, en promettant toutes sortes de distinctions honorifiques. Les Bené Israël répondirent toujours : “Quelle grandeur pouvez-vous nous accorder qui serait comparable à la grandeur que Hachem nous a octroyée dans le désert : les Degalim ?!”. (Le fait que ce dialogue nous soit moins perceptible de nos jours tient à la perte du sentiment profond de notre noblesse “d’enfants” de Hachem, comme développé dans la Michna Avot, 3,18).
Ce Midrach souligne que la grandeur des Degalim n’est pas temporaire, liée à la génération du désert, mais elle reste actuelle au fil des temps, et surpasse toute distinction humaine qui soit.
Rav Guedaliahou Schorr (Or Guedaliahou, p.96) cite ce Midrach, décrivant l’installation des Degalim dans le Midbar autour du Michkan, faisant l’admiration des nations.
Rav Schorr explique que le Michkan (Tabernacle) représente la Révélation au Mont Sinaï en dimension voilée. Il conclut en disant qu’il s’agit là de la dimension éternelle du Clal (l’ensemble d’) Israël.
De même que dans le désert les Bené Israël entouraient le Michkan de leurs Degalim, ainsi en Erets Israël, bien qu’ils étaient dispersés dans tout le pays, les Bené Israël étaient tournés vers Yerouchalaïm et le Beth HaMikdach (Temple).
Et même dans la Galout, privés du Beth HaMikdach “concret”, les corps sont éloignés, mais les cœurs sont proches.
Le Midrach (Beréchit Rabah, 3,5) relie les cinq livres de la Torah aux cinq fois où le mot “Or” (Lumière) apparaît au début de la Torah.
Le Séfer Bamidbar est ainsi rattaché au verset : “Dieu sépara entre la Lumière et les Ténèbres” (Beréchit 1,5) ce Séfer établit la distinction entre les Bené Israël sortis d’Egypte (la Lumière de la Présence manifeste de Hachem) et ceux qui entrèrent en Erets Israël (les Ténèbres de la Présence de Hachem voilée).
Rav Schorr souligne que les deux générations forment ensemble l’unité d’un jour complet, malgré le contraste entre la période lumineuse et la période d’obscurité. Il poursuit en disant qu’au-delà de l’explication du Midrach nous pouvons comprendre la distinction entre la Lumière et les Ténèbres comme s’appliquant à l’opposition entre les Bené Israël, entourant le Michkan, et les nations. En effet, les Degalim définis dans le désert continuent à caractériser Israël au fil des générations, même s’ils le sont de manière voilée. C’est dans la réalité profonde de l’identité d’Israël qu’est le sens de la réponse aux propositions “alléchantes” d’adhésion aux valeurs proposées par les nations : Que peuvent elles nous offrir qui rivalise avec notre lien à Hachem, notre Chabat, tous les détails innombrables qui définissent la vie d’un Juif ?!
Le Chlah HaKadoch (Bamidbar, Dérekh ‘Haïm Tokha’hot Moussar) rapporte au nom du Ari Zal que “de même qu’il y a 4 Degalim, il y a 4 groupes dans Israël, distincts dans certains Minhaguim (coutumes) : Séfarade, Achkenaze, Catalogna et Italia ; et chacun doit rester dans son “Déguel”, en se comportant selon son Minhag. Et les uns et les autres (Minhaguim) sont les paroles du Dieu Vivant”.
Nous voyons ici que la dimension des Degalim, qui semblerait n’être qu’une organisation matérielle du campement dans le désert, dépasse largement cette définition pour être en réalité la structure profonde de notre Peuple tout au long de son parcours jusqu’y compris la Gueoula (Délivrance).
Face à cette noblesse fondamentale qui échappe à notre compréhension, nous voyons dans le Midrach (2, 8) que Moché Rabénou craignait une contestation de la part de certains Chevatim (Tribus) lors de la répartition des emplacements des Degalim. Hachem le rassura, en lui disant que les Degalim étaient déjà définis depuis que Yaacov Avinou avait dicté à ses fils leur disposition autour de la civière sur laquelle ils le porteraient pour l’enterrer dans Me’arat Hamakhpéla à ‘Hevron. A ce moment, Yaacov Avinou leur annonça qu’ils seraient disposés pareillement en Degalim par Hachem.
Rav Chraga Grossbard (Daat Chraga, p.17) explique que Hachem a répondu à Moché Rabénou que chacun a sa “place” définie par ses caractéristiques fondamentales implantées dans la racine de chaque Chévet (Tribu) par Yaacov Avinou.
C’est ainsi la raison du décompte des Bené Israël au début de la Paracha, qui préparait la mise en place des Degalim. Le décompte est défini par Hachem comme devant être (1, 2) : “selon leurs familles, pour la maison de leurs pères, selon le nombre des noms”.
Rav Mordekhaï Miller (Olat Chabat beChabato) explique que la Torah souligne l’importance de l’ensemble du Clal Israël, et l’importance de chaque unité en son sein. De même, dans la Paracha Nasso, dans la présentation de l’inauguration du Michkan par les Nessiim (Princes de tribus), la Torah développe les Korbanot (offrandes) de chacun, alors qu’ils sont identiques dans leur composition, car chacun se référait à d’autres notions profondes dans ses Korbanot. Puis la Torah récapitule l’ensemble pour montrer qu’ils forment une unité. Ainsi chacun de nous a sa “place” en tant qu’individu, au sein de sa famille, puis de son Chévet, et enfin dans l’ensemble d’Israël. Et si un seul manque à sa mission, c’est à tous les niveaux que le manque se ressentira.
Un Rav rapporta l’histoire suivante à un Juif qui déplorait sa faible participation dans l’étude de la Torah, alors qu’il voyait son existence limitée par l’échéance proche de sa maladie : Le grand compositeur Toscanini émigré d’Italie aux USA avant la guerre avait composé une œuvre qui devait être jouée par un orchestre au bout des Etats Unis, à un endroit où sa santé précaire ne lui permettait pas de se rendre.
Un journaliste voulut profiter de l’occasion pour écrire un article sur lui, en lui demandant la faveur de lui tenir compagnie lorsqu’il écouterait la première exécution de son œuvre à la radio.
Après le concert, le journaliste demanda aux compositeur son impression sur l’interprétation de son œuvre. Quelle ne fut sa surprise de l’entendre déplorer le manque d’un violon dans l’orchestre !
Il pensa tout d’abord que le “maestro” avait “pris de l’âge”…
Toutefois, par acquis de conscience, il contacta le chef d’orchestre qui confirma l’absence en dernière minute d’un violoniste (parmi un orchestre comportant plusieurs dizaines de violonistes…).
Pour l’oreille d’un profane, le concert semblait parfait. Mais pour le “maître”, le manque “infime” d’un seul instrument gâchait toute l’harmonie de l’œuvre.
Ainsi en est-il de chacun de nous : Chacun de nous a sa “place” dans “l’orchestre” de Hachem, et doit assumer sa responsabilité particulière, au sein de son entourage immédiat, mais aussi dans une conscience de notre “poids” dans l’ensemble, et le tout en fonction des potentialités particulières dont Hachem nous a dotés.
Rav Chimchon Pinkus remarque à ce sujet (Tiférèt Chimchon, p.7) que dès l’installation des Degalim, il y avait certainement dans le Clal Israël des personnes de niveaux divers, depuis les Tsadikim les plus grands, jusqu’aux hommes les plus simples. Toutefois la Chekhina (Présence Divine) avait besoin de tous pour résider au sein du Peuple d’Israël. La plénitude de notre Peuple passe par la participation de chacun à la “place” qui lui a été dévolue par Hachem.
Ces “dispositions” constituent le premier exemple des enseignements de portée éternelle prodigués par le Séfer Bamidbar.
La Paracha Bamidbar que nous lisons chaque année au seuil de Chavouot, vient ainsi nous préparer à recevoir à nouveau la Torah à Chavouot, dans la conscience de ce que nous recevons à nouveau.
Rav Eliezer RISSMAK Yechiva OHALE YAACOV
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