Parasha – 34 AHARE MOT 5782

Le début de la Paracha A’haré Mot décrit la Avoda (Service) du Cohen Gadol dans le Beth HaMikdach à Yom Kippour (Vayikra 16, 1-34), et la dernière partie de la Paracha (18, 1-29) développe principalement les interdits de relations adultères et incestueuses.

Dans le Dvar Torah de la Paracha 5776 (dans le recueil Repères) nous avions souligné le contraste entre le début “élevé” de la Paracha, et sa fin qui nous ramène à des fautes des plus méprisables.

Remarquons ici l’introduction de la dernière partie de la Paracha, qui peut constituer une jointure entre des sujets semble-t-il très éloignés.

La Torah introduit les interdits “moraux” par le verset suivant (18, 5) : “Vous garderez Mes décrets et Mes lois, que l’Homme accomplira et il vivra par eux. Je suis Hachem !”.

Nos ‘Hakhamim ont analysé les termes : “et il vivra par eux” de deux manières apparemment opposées.

– Le Targoum Onkelos (traduction-commentaire en araméen d’un Sage de l’époque de la Michna) traduit : “et il vivra par eux la vie éternelle”. Il comprend ainsi que la vie dont parle la Torah ne concerne pas ce monde-ci. Rachi, également, souligne que la promesse ne peut pas concerner ce monde dans lequel la vie n’est pas éternelle. Manifestement, une existence temporaire ne peut pas être qualifiée de “Vie” !

– La Guemara (Youma 85b) se réfère à ce verset pour notifier la règle qu’il faut transgresser Chabat (et pareillement toutes les Mitsvot) pour préserver la vie. Seules exceptions à cette prééminence de l’existence, les “trois fautes majeures”, l’idolâtrie, les fautes de mœurs, et le meurtre, (auxquelles s’ajoutent les cas où la transgression viendrait d’une menace extérieure visant à faire renier l’attachement à Hachem, soit par décret officiel, soit individuellement, mais en public).

Selon cette interprétation, l’expression “et il vivra par eux” concerne donc la vie dans ce monde-ci ! 

De prime abord, ces enseignements privilégient, l’un la vie spirituelle dédiée au Olam Haba, l’autre la pérennité de l’existence sur terre.

Rav Chimchon Pinkus (Tiférèt Chimchon, p. 170) explique que la Création entière dépend des actions de l’Homme dans ce monde.

Tout dépend donc de la dimension matérielle de l’homme qui accomplit les Mitsvot. Il compare le corps de l’Homme au tableau de commandes d’une usine entière.

Dans sa valeur intrinsèque, le tableau de commandes ne peut pas rivaliser avec les éléments précieux de l’ensemble d’éléments qu’il commande. Mais dans sa valeur relative, du fait de son rôle décisif dans le fonctionnement général, son importance est capitale.

Ainsi, le corps qui accomplit les Mitsvot qui ordonnent le “fonctionnement” de toute la Création, a une importance primordiale.

Sans existence physique, la Nechama (l’âme) ne peut pas accomplir les Mitsvot.

C’est pourquoi Hachem nous dicte de préserver l’intégrité de notre corps, même au prix de “transgressions” de Mitsvot ponctuelles.

En réalité, ce n’est pas une “transgression”, mais le respect d’une Mitsva prioritaire de Hachem : conserver l’aptitude à accomplir de nombreuses autres Mitsvot. (Ceci est évidemment subordonné aux règles précises que la Torah nous indique …).

Quant au fait que les trois Mitsvot capitales : l’interdiction de l’idolâtrie, les écarts de mœurs, et le meurtre, sont exclues de cette règle, et priment sur la vie, Rav Chimchon Raphaël Hirsch l’explique (18,5) de la manière suivante :

Ces trois interdits représentent chacun le sommet d’un domaine de Mitsvot : les Mitsvot face à Hachem (l’idolâtrie), les Mitsvot face au prochain (le meurtre), et la responsabilité de l’Homme face à sa propre Kedoucha (“sainteté”).

Tout est perdu si l’homme cède sur ces points-là.

De même, si un Juif est contraint à transgresser une Mitsva en public, dans le but de bafouer la Torah, l’obligation de “sanctifier” (c’est-à-dire de manifester l’autorité absolue du Créateur) prime sur la survie. Et même pour une Mitsva qui parait “légère”, hors de proportion avec les trois fautes capitales, chaque Juif doit donner sa vie avec joie, pour proclamer son attachement indéfectible à Hachem. (Selon certains, même pour un simple comportement spécifique aux Juifs, si le but de la contrainte est de faire transgresser une règle Juive).

Le Ramban présente une autre approche du rapport entre les deux facettes de la vie. Il explique que la “vie” de chacun dans l’univers des Mitsvot dépend de son implication : celui qui vise la satisfaction dans ce monde y aura accès ; celui qui vise la récompense dans le Olam Haba (“Monde à venir”) recevra sa récompense dans la dimension qu’il recherchait. Ceux qui s’investissent dans les Mitsvot par amour pour Hachem tout en ne se désinvestissant pas des activités de ce monde, auront une vie favorable dans ce monde, leur récompense restera entière dans le Olam Haba.

Enfin ceux qui, comme Eliahou HaNavi, ne se soucient pas du tout de ce monde vivront éternellement avec leur corps et leur âme, comme il est rapporté concernant Eliahou HaNavi et ‘Hanokh (l’arrière-grand-père de Noa’h ; Beréchit 5, 24), qui dédiaient toute leur existence à la volonté de Hachem, sans la moindre considération pour la vie physique. Les paroles du Ramban prouvent qu’il n’y a pas une dimension unique à la vie, mais une “gradation” de niveaux.

D’autres commentateurs, comme le Netsiv (Haamèk Davar, Vayikra 18, 5 et autres endroits) soulignent que le terme “‘Hayim” (la Vie) a deux sens fondamentalement différents : la vie comme contraire de “Mita” (la mort), et l’épanouissement de la vie.

Le premier sens concerne l’état de tout être, y compris l’homme, qui est doué d’existence matérielle ; ceci peut être qualifié de “survie” plutôt que de vie réellement.

La vraie dimension de la vie dans son épanouissement ne s’exprime, par contre, que dans la conscience du lien avec le Créateur, Hachem. C’est celle-ci qui se décline dans les niveaux successifs que le Ramban a développés.

Il n’y a donc aucune divergence entre les explications de ce verset. La vie forme une entité, dédiée au but que nous a assigné notre Créateur : vivre pleinement une existence harmonieuse comme Il l’a conçue pour nous, sans le moindre antagonisme entre notre dimension spirituelle et notre existence matérielle.

Les cultures humaines renient le lien avec le Créateur, soit dans une démarche idolâtre, en partageant la reconnaissance de la puissance sur le monde entre de multiples “forces” (même de nos jours, dans une civilisation “évoluée”, dans les efforts de domination des “forces” de la “Nature”), ou dans un “négationnisme” primaire de la Création (la “religion” de l’évolution …).

Pour ces conceptions, l’alternative se situe entre l’abnégation totale de la vie physique au profit d’une valorisation exclusive des valeurs spirituelles, et le culte des satisfactions matérielles dans un rejet complet de toute valeur spirituelle. La vie se résume alors à surmonter les “embuches” de l’existence, individuelle ou collective.

Par notre attachement à la Torah de Hachem, nous proclamons l’unité de la Vie dans toutes les facettes de notre existence.

La vie d’un Juif est le sommet de l’harmonie entre les facettes spirituelle et matérielle du Monde.

La plus grande “Messirout Néfech” (le don de soi) que Hachem attend de nous n’est pas de mourir pour le Kidouch Hachem (“sanctification” du Nom de Hachem), mais de vivre chaque moment de l’existence dans la pleine conscience de Sa Présence unique et décisive en tout.

Nous avons pu “réviser” pendant Pessa’h cette perception fondamentale de l’existence, dans un contexte mondial d’ébranlement général de toutes les certitudes que la civilisation dominante actuelle avait peiné à défendre au fil des siècles.

Le moment est donc particulièrement propice à la “remise au point” individuelle par chacun des valeurs selon lesquelles il dirige ses actions. La période du Omer, depuis Pessa’h (qui symbolise l’effondrement des fondements de la civilisation dominante en Egypte) jusqu’à Chavouot, (le moment de la Révélation totale de Hachem à nos yeux et du Don de la Torah) est l’occasion de ce travail d’assainissement de nos valeurs.

Profitons des circonstances “favorables” à cet effort, et préparons-nous à recevoir la Torah à Chavouot, avec un regain de vigueur !

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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