Parasha – 27 VAYIKRA ZAKHOR 5782

Nous voici arrivés au Séfer Vayikra, qui traite principalement des Korbanot (offrandes), collectives ou individuelles, apportées dans le Beth HaMikdach.

Les Korbanot ne sont pas des “sacrifices” que nous octroyons “généreusement” à Hachem. C’est exactement le contraire : Rav Chimchon Raphaël Hirsch explique que les Korbanot sont un moyen de nous rapprocher de Hachem (le mot Korban est issu de la racine “Karèv” : approcher). Le lien constitué par le Korban est à notre avantage et non au “profit” de Hachem Qui est Maître de tout ce qui existe, et n’a aucun “besoin” de “recevoir” quoi que ce soit de Ses créatures …

Le 1er verset du Séfer Vayikra (Vayikra 1,1) dit : “Vayikra el Moché …” (Il (Hachem) appela Moché).

Dans le Séfer Torah avec la lettre “Alef” du mot Vayikra, ויקרא est plus petite que les lettres de l’ensemble du texte. Le Baal Hatourim explique que Moché Rabénou voulait écrire “Vayikar”, sans “Alef”, ce qui aurait comparé sa Nevoua (prophétie) à celle de Bil’am (prophète des nations ; voir Bamidbar 23, 16) exprimée par ce terme pour manifester le caractère “accidentel” de la Nevoua chez lui.   

Hachem lui ordonna cependant d’écrire “Vayikra” avec un “Alef”, et la Anava (la “réserve” plutôt que “modestie”, comme nous l’avons déjà souligné) de Moché Rabénou s’est manifestéedans le fait d’écrire ce “Alef” plus petit, pour laisser la place à son intention de n’écrire que “Vayikar” comme pour Bil’am.  

Rachi explique que le terme “Vayikra” (Il appela) par lequel Hachem introduit Son contact avec Moché Rabénou souligne le lien particulier entre Hachem et Moché, à la différence du terme “Vayikar, que la Torah emploie au sujet de la prophétie de Bil’am (Bamidbar 23, 16), terme qui s’apparente au terme “Mikré” (accident, à caractère fortuit), et au terme “Kèri” (utilisé par la Torah dans un contexte de “Touma”- impureté).

Rav Ephraïm Luntchitz (Kli Yakar) cite le Midrach (Sifré Berakha 39) qui compare Bil’am à Moché Rabénou : le Midrach ne vient pas dire que Bil’am était égal à Moché Rabénou, mais que Moché Rabénou a reçu un plus grand niveau de contact avec Hachem qu’il n’était à même de recevoir selon son degré personnel de préparation. C’est au titre de sa responsabilité de guide des Bené Israël qu’il a reçu un supplément d’influx de Nevoua.

Aucun autre Navi (prophète) d’Israël n’a eu accès à un niveau de Nevoua supérieur à sa préparation personnelle. Seul Bil’am, prophète des nations, a reçu la Nevoua, sans aucune préparation de sa part, le but étant au profit des Bené Israël.

Or, une Nevoua adaptée au niveau du Navi s’intègre totalement à sa personne, tandis qu’une Nevoua “accidentelle”, due uniquement à l’initiative de Hachem ne se maintient pas dans la personne du prophète.

Le Kli Yakar explique ainsi que le point commun entre Moché Rabénou et Bil’am est l’aspect “précaire” de leur Nevoua. Toutefois la comparaison s’arrête là !

Chez Moché Rabénou ce n’est que la dimension “précaire” qui est visée, alors que chez Bil’am, du fait de son absence totale d’adéquation à la Nevoua, s’ajoute un sens de “Touma” (impureté), puisqu’il n’est en rien “en phase” avec le niveau spirituel de sa Nevoua.

Rav Luntchitz explique ainsi le Midrach qui traduit le verset où Hachem dit à Moché (Chemot 32, 7) : “vas et descends, car ton peuple s’est dégradé …”, par : “descends de ta grandeur”.

Ce verset fait suite à la faute du Eguel (Veau d’or). Il ne s’agit pas d’une “disgrâce” !   Ce n’est pas la grandeur personnelle de Moché Rabénou qui est en cause ici, mais la dimension supplémentaire que Hachem lui a accordée pour sa responsabilité au sein des Bené Israël. 

Rav Zaïdel Epstein (Héarot, Vayikra) développe que “l’appel” qu’exprime le mot “Vayikra” ne doit pas être compris comme le signe qu’on adresserait à quelqu’un pour qu’il s’approche. Rachi explique qu’il s’agit là d’une manifestation d’amour de la part de Hachem. La précarité du contact chez Bil’am témoigne que ce n’est pas son essence personnelle qui se manifeste dans le contact prophétique. C’est ce qui confère à sa Nevoua une dimension de Touma.

Moché Rabénou était certainement pleinement conscient de sa dimension intérieure réelle. Mais il savait toutefois qu’il n’était pas préparé par lui-même à un tel niveau, et qu’il le devait à la Volonté de Hachem.

C’est pour cette raison que Moché voulut écrire “Vayikar” sans le “Alef”, pour manifester cette perception.

Toutefois Hachem lui ordonna d’écrire “Vayikra” pour témoigner que bien que son niveau lui avait été concédé par Hachem, son degré de Nevoua était totalement intégré à sa personne. Le petit “Alef” vient témoigner de la Anava (réserve) de Moché Rabénou qui ne voulait cependant pas s’attribuer ce mérite.

Rav Epstein souligne que le petit Alef du mot “Vayikra”, rappelle à chaque Juif qu’il doit être conscient de sa grandeur, et de ce fait de ses obligations dans la vie, tout en sachant que son niveau lui est octroyé en cadeau par Hachem.

Certains Commentateurs (dont le Beèr Moché et le Netivot Chalom) s’étonnent de ce que le “Alef” de Vayikra ne soit petit que dans ce verset, alors que l’expression “Vayikra” relativement à Moché Rabénou figure à deux autres endroits dans la Torah : la première fois que Hachem se manifeste à Moché dans l’épisode du “buisson” (Chemot 3, 2-10 ) pour lui donner mission de faire sortir les Bené Israël d’Egypte, et plus tard, lors de Matane Torah (le Don de la Torah) (Chemot 19, 3) où Hachem S’adresse à nouveau à Moché Rabénou avec ce terme de “Vayikra”.

Rav Moché Ye’hiel Epstein (Beèr Moché, p.18) explique que ce n’est que lorsque Moché Rabénou a accédé au sommet de sa grandeur, après avoir été “l’intermédiaire” de Hachem pour apporter la Torah aux Bené Israël, et après avoir érigé le Michkan (le Tabernacle) que seul Moché Rabénou pouvait réaliser, et après que Hachem ait donné un aspect rayonnant au visage de Moché (Chemot 34, 29) que la Anava de Moché Rabénou prend toute sa dimension, et s’exprime par ce petit “Alef”.

Rav Chalom Noa’h Bérézovski (Netivot Chalom, p.12) explique que le terme “Vayikra” employé à ces trois occasions correspond à trois situations différentes de Moché Rabénou dans son “approche” vers Hachem.

Lors de la Manifestation du “buisson”, Moché Rabénou montre sa réflexion face au “décalage” entre la dimension physique et la dimension matérielle : “pourquoi le buisson ne brûle pas ?!”.

Rav Epstein interprète ainsi le questionnement de Moché Rabénou : “comment se fait-il que le corps ne “brûle” pas face à la Grandeur Divine ?!”.

C’est une prise de conscience profonde qui débouche sur un élan de grande élévation.

Dans ces deux cas, Moché Rabénou était dans un “mouvement” d’élévation spirituelle, et non de conscience aigüe de son infériorité fondamentale.

Dans notre Paracha, qui fait suite au verset (Chemot 40, 35) de la fin de la Paracha Pekoudé, à l’achèvement de l’érection du Michkan, où il est dit que Moché Rabénou ne pouvait pas venir au Michkan du fait la “Présence Divine” qui S’y manifestait, que le sentiment de “petitesse” s’exprime par le petit “Alef”. Moché Rabénou est saisi par l’infériorité de l’Homme face à la Présence Divine.

Rav Yaacov Galinski (Vehigadta, p.13) explique la différence entre les deux endroits où “Vayikra” est écrit “normalement”, et ici où le “Alef” est écrit en petit à l’aide d’une anecdote : lorsqu’on annonça au Rabbi de Belz, Rav Issakhar Dov l’invention du phonographe, il répondit : “Cela n’a rien de nouveau ! Je connais cette découverte depuis des dizaines d’années !”

Devant l’étonnement de ses interlocuteurs, il raconta l’histoire suivante : Lorsque son grand-père, Rav Sar Chalom de Belz était âgé et que sa vue avait baissé, sa concentration était troubléepar le bruit que les enfants faisaient à l’extérieur. Il envoya voir de quoi il s’agissait, et appela son petit-fils qui était responsable du bruit. Il le prit sur ses genoux et lui demanda ce qu’il avait appris ce jour.

L’enfant répondit qu’il avait appris l’épisode du “buisson” de Moché.

Son grand-père lui demanda s’il avait tout compris, et l’enfant répondit qu’en réalité il avait une question : pourquoi Hachem avait exprimé Son mécontentement face à la Anava de Moché Rabénou qui déclinait l’honneur d’une telle mission ?

Le Rav répondit à son petit-fils que lorsqu’on est sollicité pour aider des Juifs, ce n’est pas le moment de se draper dans la Anava. ‘Peut-être maintenant tu ne le comprends pas, lui dit-il, mais viendra un moment où tu le comprendras…”

Alors que l’enfant sortait de chez son grand-père, il rencontra son père qui lui demanda ce que son grand-père lui avait dit, mais l’enfant fut incapable de s’en souvenir…

Les années passèrent, et après que son grand-père et son père aient quitté ce monde, Rav Issakhar Dov fut alors sollicité par les ‘Hassidim pour prendre la succession.

Il trembla de crainte : “Qui suis-je et que suis-je pour succéder à de tels grands hommes ?! Alors que je voulais refuser, le souvenir des paroles de mon grand-père surgit brusquement : lorsqu’on est sollicité pour aider des Juifs, on ne se drape pas dans la Anava… et viendra un jour où tu comprendras”. J’acceptai alors de prendre cette responsabilité…

Vous voyez donc que le phonographe qui restitue la voix après un temps n’a rien de nouveau !

C’est pourquoi dans les endroits où il était question d’assumer sa responsabilité envers les Bené Israël, le “Alef” ne pouvait pas être petit. Seulement lorsqu’il était question de sa dimension personnelle, Moché Rabénou pouvait manifester sa Anava.

Ce Chabat, nous lisons également la Parachat Zakhor, qui rappelle l’antagonisme permanent d’Amalek au Peuple de Hachem au fil des siècles. Amalek représente la “Gaava” (l’orgueil) de l’Homme au plus haut point.

La coïncidence (qui n’est pas un “hasard” …) entre les deux lectures de la Torah de ce Chabat souligne le contraste entre la véritable grandeur et la suffisance des “petits” hommes. 

Moché Rabénou est l’illustration la plus impressionnante de la vraie grandeur dans sa Anava et sa conscience de l’infériorité absolue de l’Homme face à Hachem. A l’opposé l’orgueil sans limites de l’humanité menée au long de l’Histoire par Amalek et tous ses successeurs, et ce jusqu’à nos jours, dans tous les moindres détails de l’activité humaine (Science, technique, politique etc. …) est la manifestation de la “petitesse” extrême.

La lecture de Parachat Zakhor précède Pourim qui est l’illustration de cette opposition. Avec l’aide de Hachem, nous reviendrons sur ce sujet dans le Dvar Torah sur Pourim. L’humanité, guidée par le Peuple de Hachem, réalisera enfin l’inanité de sa course à la fausse grandeur, et se tournera alors vers Hachem, lorsque viendra la Gueoula que nous attendons depuis si longtemps. Il nous appartient, à nous Bené Israël, d’être les “ambassadeurs” de Hachem dans le monde.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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