Parasha – 237 – Vayigach – 5786

בס »ד

La fin de la Paracha Vayigach décrit l’installation de Yaacov et sa famille en Egypte sous l’autorité de Yossef, Vice-Roi tout puissant. Après avoir accueilli sa famille (Beréchit 46, 29-31) Yossef présente ses frères à Par’o, le Roi d’Egypte (46, 31-47, 6), et enfin, il amène son père, Yaacov chez Par’o (47, 7-10).

Après quoi, la Torah nous décrit comment Yossef installa sa famille dans la terre de Ramsès, conformément aux instructions de Par’o (47, 11-12).

La Paracha conclut par ce verset : « Israël s’installa dans le Pays d’Egypte, dans la terre de Goshen, et ils en prirent possession, et ils fructifièrent et se multiplièrent beaucoup » (47, 27).

Mais avant cette conclusion, la Torah nous décrit longuement comment Yossef géra la famine, amenant les égyptiens à céder tous leurs biens à Par’o avant de se vendre eux-mêmes comme esclaves et à être déplacés d’une extrémité d’Egypte à une autre pour ne plus être maîtres si peu que ce soit de leur propre existence. (47, 13-26)

Cette interruption avant de conclure l’installation des Bené Israël est étonnante. De plus, comme nous l’avons vu dans la Paracha précédente, l’investissement considérable de Yossef dans ses fonctions de gouvernant d’un pays d’idolâtres est surprenant. Enfin, la mention insistante dans deux versets (47, 22 et 26) que Yossef n’a pas acquis la terre des prêtres pour Par’o, car ils recevaient une allocation de subsistance de Par’o semble sans intérêt dans la Torah. En quoi Yossef Hatsadik était-il sensé se préoccuper des prêtres idolâtres pour que la Torah y accorde la moindre place ?!

Rav Yaacov Kamenetski (Emeth LeYaacov, (47, 4) développe cette analyse. Il explique que les mesures prises par Yossef relativement aux égyptiens n’avait d’autre but que d’assurer l’avenir des Bené Israël en Egypte.

En acquérant les terres des égyptiens et en les déplaçant d’un côté de l’Egypte à l’autre, Yossef garantissait que personne ne puisse se considérer comme « citoyen » face aux Bené Israël. Ainsi ceux-ci ne pourraient pas être discriminés comme étrangers, tous les égyptiens ayant été ramenés eux-mêmes à ce statut.

Enfin en garantissant l’affranchissement des prêtres égyptiens de toute servitude, Yossef préparait le terrain à ce que le Chévet (la Tribu) de Lévisoit libre de toute contrainte, en tant que « prêtres », et puisse se consacrer ainsi à l’étude de la Torah, garantissant ainsi la présence d’un « noyau » solide autour duquel l’ensemble du Peuple d’Israël pourrait garder les valeurs des Avot (Patriarches).

Et effectivement, tout au long des péripéties de la génération du désert, le Chévet Lévi manifesta sa fidélité à Hachem. Eux-seuls restèrent intégralement à l’écart lors de la faute du Eguel (Veau d’Or) (Chemot 32, 26). Ils ne participèrent pas non plus à la faute des Meraglim (Explorateurs) (Rachi, Devarim 1, 23). De même, ils s’opposèrent aux Bené Israël qui voulaient retourner en Egypte après la mort d’Aharon et l’attaque des cananéens qui s’ensuivit (Rachi Bamidbar 26, 13).

Rav Kamenetski souligne que cette force particulière du Chévet Lévi était due au fait que pendant les 210 ans qu’ils vécurent en Egypte, les Léviim s’étaient exclusivement consacrés à l’étude de la Torah. Ce mérite leur avait été garanti par l’initiative de Yossef de reconnaître un statut spécial aux « prêtres ».

Cette explication trouve un appui partiel dans les paroles du Ramban (Chemot 5, 4) qui explique (basé sur le Midrach Chemot Rabah, 5, 16) que chaque peuple possède des « Sages » qui sont soutenus par la nation. C’est à ce titre que Par’o répondit à Moché et Aharon qui venaient le solliciter pour les Bené Israël : « …Allez à vos obligations (personnelles) … », car ils faisaient partie du Chévet Lévi qui était dispensé de la servitude à Par’o. Le Ramban souligne toutefois que l’initiative de la dispense de charge « nationale » des prêtres en Egypte émanait de Par’o et non de Yossef. Le Ramban précise cependant que c’est Hachem qui inspira à Par’o cette démarche.

Le Maharal (Guevourot Hachem, chapitre 30) cite également ce Midrach selon lequel le Chévet Lévi était dispensé de la servitude à Par’o en tant que « prêtres » dédiés au Service de Hachem, et en développe l’enseignement.

Rabbi Yehouda Ha’Hassid (Séfer ‘Hassidim : édition MHK, 293) explique que le verset relatif à la dispense d’impôts des Prêtres ne vient que pour enseigner la règle que l’ensemble du Peuple Juif doit se préoccuper de la subsistance de ceux qui se consacrent à l’étude de la Torah !

Le Baal HaTourim donne une autre explication à la dispense accordée par Yossef aux Prêtres égyptiens.

Yossef leur devait sa reconnaissance pour lui avoir sauvé la vie lorsqu’il était accusé par la femme de son maître Potifar de l’avoir agressée. Cette explication est confirmée par les paroles du Targoum Yonathan qui dit effectivement que les Prêtres réfutèrent par leur analyse les paroles de la femme de Potifar (Beréchit 39, 20 ; 47, 22).

Yossef devait donc accorder une faveur aux Prêtres pour exprimer sa gratitude.

Le Baal HaTourim explique que les prêtres examinèrent le vêtement de Yossef présenté par la femme de Potifar comme preuve de son agression. Les prêtres dirent : « Si la déchirure de vêtement est située sur le devant, cela confirmera l’accusation de la femme que c’est alors qu’il s’apprêtait à lui faire violence qu’elle avait déchiré son vêtement. Mais si par contre la déchirure était à l’arrière de vêtement, cela prouverait que c’était alors que Yossef s’enfuyait que la femme avait essayé de le retenir par son vêtement, et l’avait ainsi déchiré.

Le Chela HaKadoch confirme cette explication (Paracha Vayigach, Tokha’hot Moussar), déduisant de cet exemple qu’il faut éviter à tout prix d’être ingrat, mais qu’il faut au contraire « payer » les bienfaits, même ceux d’un non-juif.

Rav Tsvi Hirsch Ferber (Kerem HaTorah, Beréchit II, p.188), explique que Yossef prit cette initiative car il avait vu par Roua’h HaKodech (Inspiration Divine) que les Bené Israël resteraient pour une longue durée en Egypte, et il voulait s’assurer que les Maîtres du Peuple soient nourris confortablement du Trésor Public. Il ajoute également l’autre explication de la gratitude pour lui avoir sauvé la vie par leur témoignage.

Rav Avigdor Miller (Or Olam, I, p.117) comme de nombreux commentateurs, s’étonne, comme nous l’avons vu dans la Paracha précédente, de la longueur surprenante que la Torah accorde au récit des actions de Yossef relativement aux égyptiens. Il rapporte l’explication suivante :

De même que Hachem fait diverses choses incompréhensibles en elles-mêmes, dans l’intérêt des Bené Israël, Il fait également des choses pour le bien d’un individu, afin de l’amener à son épanouissement. Ainsi Yossef, par la charge qui lui fut imposée de gérer l’existence des égyptiens, en y investissant toutes ses capacités et son ‘Hessed (Bienfait gratuit), se « raffina » et s’éleva. C’était donc à son avantage ! C’est ainsi une explication distincte de l’enseignement de ces Parachiot.

Pour revenir à l’analyse globale de Rav Yaacov Kamenetski située plus haut, voyons sa citation dans les mémoires de Rav Chlomo Lorentz (Acteur important de la vie publique israélienne des premières années après la fondation de l’état). Rav Lorentz rapporte (Bim’hitsatam) de nombreux faits relatifs aux Grands de la Torah qu’il côtoya. Dans le second volume, dans un chapitre consacré à Rav Yaacov Kamenetski, il raconte (p. 586) que Rav Kamenetski souleva devant lui la question pourquoi Yossef HaTsadik s’était-il soucié des lois égyptiennes pour nourrir les prêtres ?! Puis il répondit que c’était par souci de l’avenir des Bené Israël, afin de s’assurer que le Chévet Lévi, au moins, puisse s’adonner à l’étude de la Torah.

Rav Kamenetski ajouta : « Explique-leur, à la Knesset, que la loi qui avait cours en Egypte, l’affranchissement d’un Chévet d’Israël pour l’étude de la Torah, est également valable dans l’état d’Israël. Peut-être comprendront-ils ainsi qu’une partie du Peuple d’Israël doit être libéré de toute servitude, y compris le service militaire, afin de s’adonner à la Torah ».

Rav Lorentz relate qu’il eut encore une autre occasion de citer cette notion.

C’était lorsqu’une fois David Ben Gourion, Premier Ministre, s’approcha de lui dans la bibliothèque de la Knesset, et lui demanda quelle source y avait-il dans la Torah, ou tout au moins dans le Rambam (dont il se targuait d’être féru …), que les Ba’houré Yechiva qui étudient la Torah doivent être libérés du service militaire. A la réponse de Rav Lorentz qui rapporta les paroles de Rav Kamenetski, Ben Gourion objecta qu’en Egypte l’exemption était limitée au Chévet Lévi et pas à chaque Juif…

Rav Lorentz lui cita alors les paroles de Rambam (Michné Torah, à la fin de Hilkhot Chemita VeYovel) :

« Et non seulement le Chévet Lévi , mais (également) tout homme de tous les vivants, que son âme amène à se donner, et que sa conscience lui fait comprendre de se distinguer et de se tenir devant Hachem pour Le servir , pour connaître Hachem, et ira droit comme Hachem l’a fait, et détachera de sur son cou le joug des calculs nombreux que les hommes recherchent, il s’est sanctifié Kodech Kodachim, et Hachem sera sa part éternellement, et lui octroiera dans ce Monde une « chose » qui lui suffira, comme Il  a octroyé aux Cohanim et aux Leviim » !

Après avoir entendu ces paroles, Ben Gourion conclut : « Maintenant je comprends qu’il y a une justification, au moins selon votre conception, à l’exemption des Bené Yechivot … »

Cet épisode ne nécessite pas d’explications supplémentaires …

Yossef dont toute l’existence était dédiée au Service de Hachem, au point de mériter le qualificatif « HaTsadik » a consacré son existence entière à préparer le terrain de la première Galout (Exil) des Bené Israël … et aussi de toutes les autres Galouyot, y compris celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement !

.