Parasha – 23 TETSAVE 5782

La Paracha Tetsavé décrit les vêtements destinés aux Cohanim pour l’accomplissement de la Avoda (Service de Hachem) dans le Michkan.

Une question importante se pose quant à la description de ces vêtements, tout comme d’ailleurs à la lecture des versets traitant de la Mitsva des Tsitsit (Devarim 22, 12).

Comment comprendre que le Chaatnèz (mélange de laine et de lin), qui est strictement interdit par la Torah, est permis pour la Mitsva des Tsitsit (Devarim 22, 11-12) et même imposé dans la composition des tissus destinés aux vêtements des Cohanim ?!

Si ce mélange est néfaste, comment expliquer que la Torah préconise son emploi même pour une Mitsva ? Et si le Chaatnèz n’est pas totalement nuisible… pourquoi est-il alors interdit dans l’utilisation ordinaire ?

Voici les versets cités dans la Torah concernant l’interdiction de Chaatnèz :

– Dans Vayikra (19, 19) : “Gardez Mes décrets : ton animal n’accouple pas “kilaïm” (mélange d’espèces) ; ton champ n’ensemence pas “kilaïm” ; et un tissu “kilaïm Chaatnèz” (fait d’un mélange de fibres mélangées) ne montera pas sur toi”.

Dans ce verset, le Chaatnèz est associé à d’autres interdits de mélanges tous qualifiés de “kilaïm”.

– Dans Devarim (22, 11-12) : “…tu ne te revêtiras pas de Chaatnèz, laine et lin ensemble. Des fils tressés tu te feras aux quatre coins de ton vêtement avec lequel tu te couvres”.

C’est de la juxtaposition de ces deux versets, le 1er, qui énonce l’interdiction du Chaatnèz, et l’autre des Tsitsit, que la Guemara déduit (selon une opinion), d’une part la nature des vêtements soumis à la Mitsva des Tsitsit, à savoir les vêtements en laine ou en lin. D’autre part, la Guemara tire d’ici l’enseignement que la Mitsva des Tsitsit repousse l’interdiction de Chaatnèz et qu’il est permis de mettre des Tsitsit en laine sur un vêtement en lin, et inversement.

L’interdiction de Chaatnèz est évidemment de l’ordre des ‘Houkim (décrets) dont la raison nous échappe totalement.

Toutefois certains commentateurs proposent des explications partielles.

Le ‘Hizkouni (commentaire de l’époque des Richonim postérieure à Rachi) propose deux approches distinctes : dans sa première explication (Vayikra 19, 19) il attribue l’interdiction de porter des vêtements de laine et lin mélangés au fait que ces deux textiles ensembles sont réservés aux vêtements des Cohanim, et que pour cette raison ils sont interdits sous cette forme à l’utilisation ordinaire, tout comme le ‘Hélev (la graisse extraite des offrandes et consumée sur le Mizbéa’h – l’Autel), le sang (des offrandes aspergé sur la paroi du Mizbéa’h), l’Huile d’onction et le Ketorèt (l’encens réservé au Beth HaMikdach).

Dans Devarim (22, 11) il cite cette explication en second, mais la précède d’une autre raison : ces deux fibres sont interdites d’utilisation lorsqu’elles sont mélangées ensemble car elles ont été à l’origine d’une catastrophe au début de la Création du Monde : les deux frères issus d’Adam et ‘Hava, Caïn et Hével ont apporté des offrandes, le premier du lin, et le second des moutons (“laine”).

Leurs offrandes aboutirent à un conflit entre eux car Hachem n’avait pas agréé l’offrande de Caïn.

Leur conflit se solda par le meurtre de Hével par Caïn, et la condamnation de Caïn par Hachem.

Aussi, les espèces qui caractérisaient chacun d’entre eux manifestent une incompatibilité fondamentale…

Ces explications ne sont bien sûr pas suffisantes à apaiser notre soif de compréhension.

Rav Eliahou Dessler (Mikhtav MéEliahou, IV, p.176) cite les paroles du Radbaz (Séfer HaMitsvot, 234) : “… seulement lorsqu’ils ne sont pas dans l’arrangement et l’accomplissement, et qu’ils sont alors en opposition. Mais lorsqu’ils sont dans la plénitude, ils sont alors un vêtement de Mitsva, et c’est pourquoi les kilaïm sont autorisés dans les Tsitsit. Le lin fait référence au “Din” (la notion de “Justice” – ou regard critique, réticence) qui était la “Mida” (caractéristique) de Caïn, et c’est pourquoi il apporta une offrande de lin. Et la laine se réfère à “Ra’hamim” (qui fait référence ici à ‘Hessed – le don gratuit), qui est la force de Hével”.

Rav Dessler souligne que les deux élans (Din et ‘Héssed) sont chacun source de danger lorsqu’ils sont considérés comme une valeur en soi. A fortiori sont-ils catastrophiques lorsqu’ils sont associés dans la Toum’a (l’ “impureté”) : c’est la notion de Chaatnèz.

Mais s’ils sont unis dans la Kedoucha (la “Sainteté”), c’est l’épanouissement le plus élevé ! C’est la raison pour laquelle les vêtements des Cohanim comportent du Chaatnèz.

Le Mikhtav MeEliahou explique ainsi l’épisode de Caïn et Hével.

La racine de la faute de Caïn était de prôner sa caractéristique de “Guevoura-Din” (le regard critique, la réticence, restriction) sans mélange, et c’est pourquoi son offrande ne fut pas agréée.

Hével, par contre apporta son offrande sous l’angle du “‘Héssed”, dans une aspiration à la spiritualité. Toutefois Hével n’ayant pas accompli pleinement sa personnalité profonde, il y restait une dimension de Toum’a (impureté) qui se manifesta dans la volonté d’apporter une offrande correspondant spécifiquement à sa nature, à l’exclusion de toute association à celle de son frère Caïn.

Rachi (Beréchit 4,3) cite le Midrach qui relate que Caïn apporta en offrande des graines de lin. Le Maharal (Gour Arié, Beréchit 4,3) explique que Caïn était conscient de sa dimension profonde de “Guevoura” (définie ci-dessus) et voulait renforcer son pouvoir face à la nature de Hével.

Hével à son tour voulut quant à lui appuyer sa nature par une offrande exclusive, écartant la dimension de Caïn.

Leur différence qui aurait dû se résoudre dans la complémentarité aboutit du fait de leur opposition à une impossibilité de survie pour l’un et l’autre.

Le Monde ne trouva sa pérennité qu’avec la naissance ultérieure de Sheth (dont le nom signifie fondation) qui fut la base de l’humanité à venir.

Le Maharal conclut que telle est la base et la racine de tous les contraires.

Rabénou Be’hayé (Vayikra 19, 19) suit la même démarche et explique que le mélange est néfaste et générateur de Toum’a, comme les autres mélanges interdits. Ce n’est que dans le cadre de la Mitsva, Tsitsit, ou Vêtements des Cohanim (exclusivement pendant leur Avoda (Service) que les contraires s’unissent et se complètent.

Le Chlah (Massékhèt Taanit, paragraphe 21) va dans le même sens en ajoutant que le Tekhélet (Bleu spécial issu d’un animal aquatique, le ‘Hilazon, dont nous avons perdu le secret) dont la laine est teinte l’emporte sur le lin et purifie l’ensemble dans les Tsitsit et les vêtements des Cohanim.

Dans son ouvrage sur les Mitsvot “‘Horev” (paragraphe 409) Rav Chimchon Raphaël Hirsch explique que le Créateur a partagé Ses créatures en des domaines distincts, comme le domaine animal et le domaine végétal.

Chacun possède une nature spécifique, et l’Homme est influencé par son activité dans l’un ou l ‘autre de ces domaines, dans son rythme de vie, ses sentiments, ses aspirations et son mode de pensée. Aussi le Juif doit témoigner de sa conscience de ces frontières dans son habillement, et ne pas mélanger (Chaatnèz). Seuls les vêtements des Cohanim peuvent réunifier ces oppositions dans leur Avoda unificatrice.

Dans son commentaire sur la Torah (Vayikra 19, 19), Rav Hirsch développe plus abondamment ces notions, expliquant la correspondance avec les diverses fonctions de l’organisme : végétatives comme l’alimentation et la reproduction ; et animales, comme la perception par les sens, et le mouvement. Toutes les potentialités doivent être réunifiées “vers le haut” pour soumettre toute la personne humaine à sa dimension la plus élevée, celle qui le rattache à Hachem. Si, au contraire, la dimension “animale” (l’activité et la perception par les sens) qui se trouve en lui se soumet à la dimension “végétale”, en se mettant au service des aspirations des organes digestifs et reproducteurs, il s’avilie.

Tel est le sens de séparer la laine (d’origine animale) du lin (d’origine végétale) pour éviter d’inféoder “l’animal” au “végétal”.

Bien sûr, nous ne devons pas considérer ces explications comme exhaustives. Elles ne sont qu’un pâle reflet de la réelle dimension des règles de la Torah. Ce n’est qu’un faible aperçu destiné à ouvrir devant nous une petite “lucarne” sur la profondeur de la Torah, développée par nos Maîtres, même dans l’approche selon le “Pchat” (le sens “simple” de la Torah) comme dans les commentaires de Rav Chimchon Raphaël Hirsch.

Ces notions trouvent leur équivalent dans les autres interdits de la Torah dans la vie quotidienne qui trouvent par contre leur épanouissement dans la Avoda du Beth HaMikdach, comme le ‘Hélev (la Graisse) le sang, les ouvrages interdits le Chabat, qui sont pratiqués dans le Beth HaMikdach. Dans tous ces cas, il ne s’agit pas de contradiction, mais de comprendre que ce qui est “dangereux” dans un quotidien profane a son épanouissement dans l’unité du Beth HaMikdach.

Que Hachem nous restaure bientôt la Avoda du Beth HaMikdach, avec la venue du Machia’h, et que la Création puisse enfin atteindre son plein accomplissement.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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