Parasha – 202 – Émor – 5785

בס »ד

La Paracha Emor commence avec les règles concernant les Cohanim, qui représentent les Bené Israël pour la Avoda (Service) de Hachem dans le Michkan (Tabernacle) (Vayikra 21, 1-22, 16).

Ce passage complète les lois relatives au Michkan.

La seconde partie de la Paracha décrit les « Moadim » (pluriel de « Moèd »), les jours particuliers de « rendez-vous » avec Hachem (23, 1-44).

Rav Chimchon Raphaël Hirsch (23, 1) explique le point commun entre le Beth HaMikdach (le Temple, destiné à remplacer le Michkan) et les « Fêtes » :

Le Michkan est le lieu de « rendez-vous » avec Hachem, tandis que les Moadim sont les moments particuliers de « rendez-vous » avec Hachem. Le Michkan est lié à l’espace, et les Moadim au temps.

Rav Hirsch souligne ensuite la différence entre la notion de lieu qui est fixe, invariable, et le temps qui est une succession de moments qui « passent ».

Ainsi le Mikdach est le fondement Divin éternel, la Torah (qui en est le centre, dans le Aron HaKodèch), et la dimension de l’Homme, créé dans sa nature invariable. Les « Fêtes » sont le fondement Divin qui se manifeste selon les changements des moments : la manifestation de Hachem dans la nature et dans l’Histoire, et la relation de l’Homme à ces éléments. La liberté de l’Homme s’exprime par sa maîtrise sur son temps.

En Egypte, les Bené Israël n’avaient pas la maitrise de leur temps, et c’est ce qui constitue l’esclavage, l’absence de liberté.

C’est en cela que la Matsa représente l’esclavage, par l’absence de temps dans sa confection (la confection de la Matsa s’accomplit sans lui laisser le temps de lever).

La Gueoula (Délivrance) d’Egypte a libéré notre « temps » des contraintes extérieures et il est devenu soumis à Hachem, Qui nous fixe notre « emploi du temps » ! C’est en cela que réside notre liberté véritable de toute contrainte extérieure, dans un lien avec Hachem qui dépasse la dimension de « éved » (« esclave ») pour accéder à la relation de « fils, face à son Père ».

Rav Eliahou Dessler (Mikhtav MéEliahou II, p.21, 28) souligne au nom de son Maître, Rav Tsvi Hirsch Broïdé que le temps n’est pas simplement le déroulement des évènements, mais une dimension de la Création.

Tout comme l’Homme se déplace dans l’espace, ainsi il évolue dans le temps. Chaque moment est une dimension réelle créée avec ses caractéristiques.

Ainsi, le premier Chabat de la Création est une « station » où nous passons à nouveau chaque semaine. De même, chacun des Moadim constitue une « station » particulière, avec son « climat » spécifique : Pessa’h avec l’influx de liberté de la Sortie d’Egypte, Chavouot avec le Don de la Torah, etc.

Ces caractéristiques des divers moments ne sont pas issues des évènements historiques qui se sont produits aux dates des Moadim. Le Sefer Ha’Hinoukh (Mitsva 185) dit que dès la Création, Hachem a fixé Yom Kippour comme jour de réparation des fautes, afin que le Monde n’arrive pas à une saturation qui entrainerait son anéantissement. Il s’avère ainsi que le premier « Yom Kippour » historique, le jour où nous avons reçu le pardon de la faute du Eguel (le Veau d’or) en même temps que les secondes Lou’hot (les Tables des Dix Commandements) n’étaient pas l’origine de tous les Yom Kippour que nous vivons depuis lors, mais une étape parmi d’autres. La source de tous les moments est située dans la Création.

Rabbi Yerou’ham Lewovitz (Daat Torah, Vayikra 23, 2) développe également le principe que les Moadim ne sont pas la conséquence des évènements historiques qui y ont eu lieu, mais la concrétisation des valeurs fondamentales que Hachem y a attachées. Il souligne que le temps est une des composantes de la Mitsva, essentielle à son accomplissement. De même que la Mitsva des Tefilline n’existe qu’en association avec le bras qui les recevra, de même le moment est un élément constitutif de la Mitsva.

La Mitsva de Chabat est indissociable du jour auquel Hachem l’a rattachée, et ne pourrait en aucun cas trouver sa place un autre jour ! Rabbi Yerou’ham explique pareillement le lien entre tous nos Moadim et le temps où ils se présentent à nous.

Il faut toutefois souligner la différence fondamentale entre le Chabat et les autres Moadim. Bien que le passage dédié aux Moadim commence par la mention du Chabat (23, 3), le Chabat est un moment immuable dicté par Hachem. Dans le cas des Moadim par contre, constitués des trois « fêtes de pèlerinage » Pessa’h, Chavouot et Soucot, et de Roch Hachana et Yom Kippour, tous dépendent du calendrier dont les ‘Hakhamim du Sanhédrin ont la maitrise.

Seul le Sanhédrin a autorité pour fixer Roch ‘Hodèch comme il est dit dans la Torah : « Ce mois est pour vous la tête des mois … » (Chemot12, 2). La Guemara (Roch Hachana 22a) explique que la décision de proclamer Roch ‘Hodèch (la tête du mois) appartient au Beth Din (le Tribunal) successeur de Moché et Aharon.  De même notre calendrier basé sur les douze mois lunaires qui totalisent 354 jours, est ajusté au rythme naturel des saisons dépendant du cycle de la Terre face au Soleil totalisant 365 jours, au moyen d’un mois supplémentaire certaines années. Là encore, c’est aux ‘Hakhamim du Sanhédrin qu’il revient de décider quelle année ce mois sera ajouté. La Guemara (Roch Hachana 25a) déduit du verset : « Voici les Moadim de Hachem que vous proclamerez « convocations de Kedoucha » … » (23, 2) que la définition de ces dates appartient totalement aux Bené Israël.

Rabbi Yerou’ham remarque le pouvoir surprenant que la Torah accorde aux ‘Hakhamim du Peuple Juif. Alors que ces Moadim sont qualifiés de « Moadim de Hachem », et répondent à des paramètres objectifs, leur fixation précise dépend en dernier ressort des ‘Hakhamim. Les décisions du Sanhédrin influent sur toute la Création, jusqu’aux niveaux spirituels les plus élevés.

Rav Chimchon Raphaël Hirsch remarque l’ambivalence des Moadim que la Torah relie d’une part aux évènements de notre Histoire (la Sortie d’Egypte, le Don de la Torah, le séjour des Bené Israël dans le désert), et d’autre part aux saisons (selon le rythme de l’année solaire) et aux productions de la terre (les moissons à Pessa’h, les fruits des arbres à Chavouot, et l’engrangement des productions de l’été à Soucot).

Nos « fêtes » pourraient ressembler à desfestivités païennes dédiées aux phénomènes naturels…

Rav Hirsch souligne que l’autorité des ‘Hakhamim sur la fixation du calendrier, pour Roch ‘Hodech qui est ainsi libéré de la dépendance absolue avec l’apparition de la Lune qu’il représente, ou pour les Moadim que le Sanhédrin peut découpler des faits naturels auxquels ils sont rattachés, met en évidence le contraire.  En affranchissant les Moadim des phénomènes naturels auxquels ils correspondent, la Torah nous appelle à nous affranchir de cette dépendance apparente de la nature pour tourner notre regard vers Hachem qui dirige réellement tout le fonctionnement du Monde. Ce n’est que par la force de la Torah que Hachem nous a octroyée que notre sécurité matérielle sera assurée. C’est la conclusion du Sefer Vayikra dans le début de la Paracha Be’houkotaï (26, 3-5) qui nous promet la prospérité dans la mesure de notre lien avec Hachem.

Rav Chalom Noa’h Bérézovski (Netivot Chalom, p.100) s’étonne de ce que Chabat et les Moadim soient appelés « Mikraé Kodèch » (proclamations de Kedoucha) ?! De prime abord, ce sont des Mitsvot comme toutes les Mitsvot de la Torah, des jours où il est interdit d’accomplir des ouvrages. Qu’ont-ils de particulier qui les différencie des autres Mitsvot ?! Et comment la Kedoucha peut-elle s’appliquer sur une chose immatérielle comme un jour ?! Il répond que c’est la fonction d’Israël d’être une « Nation de Cohanim et un Peuple Kadoch » (Chemot 19, 6).

Pour mener à bien cette mission, Hachem nous a octroyé trois facteurs de Kedoucha : le Monde, l’année et la Nechama – l’âme.

Dans le Monde, le Beth HaMikdach amène la Kedoucha ; dans l’année, les jours de Yom Tov et les Chabatot. Nous retrouvons là les deux dimensions relevées par Rav Chimchon Raphaël Hirsch, l’espace et le temps. Toutes deux doivent nous appeler au contact avec Hachem qui se définit par le terme de « Kedoucha ».

Rav Bérézovski souligne encore que pour accéder à la Kedoucha des Moadim, l’homme doit tout d’abord se purifier d’une dépendance au matérialisme et au monde physique. Ce n’est qu’alors qu’il peut entrer dans Chabat ou Yom Tov, ou encore au Beth HaMikdach (Que Hachem nous le reconstruise bientôt !). C’est également le rôle de la période du Omer entre Pessa’h et Chavouot, destiné à nous préparer au jour privilégié du Don de la Torah.

La présence de Chabat en introduction aux Moadim qui sont fixés par le Beth Din étonne ?! Mais elle se comprend justement par son caractère « fixe ». A la différence des Moadim qui dépendent des Bené Israël, comme le montre la conclusion de la Berakha dans la Tefila : « Qui donne la Kedoucha à Israël et aux moments », Chabat ne dépend que de la fixation initiale par Hachem. Chabat sert ainsi de référence aux Moadim. Ce n’est que dans la soumission au Chabat défini exclusivement par Hachem que les Bené Israël peuvent accéder à la capacité de définir les Moadim.

L’autorité accordée au Peuple d’Israël sur le temps manifeste la grandeur d’Israël dans son lien avec la Torah. Nous pouvons comprendre ainsi le Midrach (Torat Cohanim 144) qui déclare : « Quiconque profane les Moadim est considéré comme s’il avait profané les Chabatot. Et quiconque accomplit les Moadim est considéré comme s’il avait accompli les Moadim et les Chabatot ». Il ne s’agit évidemment pas de quelqu’un qui ne respecte pas les interdits de Chabat. Le Malbim explique que la Torah vient nous enseigner par la mention du Chabat dans le passage des Moadim qu’il ne faut pas minimiser la Kedoucha des Moadim du fait qu’ils dépendent de la décision du Sanhédrin, car leur Kedoucha est en réalité comparable à celle du Chabat. La Torah élève le Peuple Juif à ce niveau d’influence sur l’ensemble de la Création. Négliger la Kedoucha des Moadim revient à remettre en question le rôle que la Torah attribue à Israël dans le fonctionnement de la Création.

Au contraire, rehausser la Kedoucha de Yom Tov, et même des jours intermédiaires de ‘Hol HaMoèd de Pessa’h et Soucot dont les interdits sont moindres, manifeste la conscience de notre véritable proximité avec Hachem !