Parasha – 193 – Pourim – Ki Tissa – 5785

בס »ד

Une fois n’est pas coutume… cette année, Pourim tombe vendredi 14 Adar, soit la veille de Chabat.

A Yerouchalaïm et dans les villes qui étaient entourées de murailles à l’époque de l’entrée des Bené Israël en Erets Israël, Pourim devrait être fêté le second jour, le 15 Adar. Et cette année le 15 Adar tombe Chabat. 

Les Mitsvot de Pourim, la lecture de la Meguila, les dons aux nécessiteux, les dons alimentaires, le festin… pouvant entrainer une transgression du Chabat, nos ‘Hakhamim ont repoussé au lendemain l’accomplissement de ces Mitsvot pour les villes fermées. Cependant, pour tous, la lecture de la Meguila et les dons aux nécessiteux ont lieu le jour de Pourim – le 14 Adar. Ce Pourim particulier s’appelle « Pourim Mechoulach » (Pourim triple) puisque ses Mitsvot s’étendent sur trois jours.

La Meguilat Esther, rédigée avec Roua’h HaKodèch (Inspiration Divine), nous relate les évènements qui ont précédé et préparé l’histoire de Pourim.

L’essentiel des faits tient dans la conclusion exprimée dans la Meguila : « … Le jour où les ennemis des Juifs avaient escompté les dominer, et ce fut l’inverse que les Juifs dominèrent leurs ennemis (Chapitre 9, 1).

Rav Dessler (Mikhtav MéEliahou, II, p.126) dédie un chapitre à la définition de Pourim comme un Ness Nistar (Miracle Voilé). Il souligne que le but des Nissim (Miracles) n’est pas de générer la Emouna. Celui qui ne perçoit pas la Présence de Hachem dans la nature ne la verra pas non-plus dans le moindre Ness, comme les hommes de la génération de la Tour de Bavel qui avaient attribué le Maboul (Déluge) à un « ébranlement » de la voûte céleste, auquel ils voulurent palier en construisant des « piliers » pour la soutenir.

Les Nissim ne peuvent donc servir qu’à ceux qui ne se « voilent pas la face », et qui savent découvrir Hachem à travers toutes les facettes de l’existence « naturelle », individuelle et universelle. Pour eux, chaque élément est source d’enseignement et d’incitation à affiner encore leur perception de Hachem, même dans ce qui est profondément voilé. Et ainsi ils s’élèvent dans leur « connaissance » de Hachem.

Tel fut le résultat du Ness de Pourim dévoilé dans la Meguilat Esther. Rav Dessler souligne l’imbrication de trois enchainements d’évènements qui a abouti à l’heureux dénouement de cet épisode de l’Histoire qui semblait mener à une catastrophe encore plus totale que toutes les menaces qui ont pesé sur notre Peuple au fil des siècles. Il s’agissait de « pas moins » que le massacre organisé de tous les Juifs qui étaient sans exception dans le domaine d’autorité d’un unique dictateur, A’hachvéroch, Empereur de Perse.

Ces trois « enchainements » étaient :

-1- Le festin organisé par A’hachvéroch pour fêter l’établissement de son pouvoir sur la totalité du monde de l’époque (1, 1-8) ; l’éviction de la Reine Vachti (1, 10-22) ; l’accession d’Esther à la position royale (2, 8-17) ; la visite d’Esther à la « Maison » du Roi (5, 1-4), son invitation à Haman à participer à un banquet avec le Roi (5,4).

-2- Le complot de Bigtane et Térèch (gardiens du palais d’A’hachvéroch) visant à assassiner A’hachvéroch, et qui fut éventé par Mordekhaï (2, 21-23), qui transmit l’information à A’hachvéroch par l’intermédiaire d’Esther. Plus tard le roi A’hachvéroch, souffrant d’insomnie, demande à faire lire les Annales du Royaume, et découvre que son bienfaiteur Mordekhaï n’a pas été récompensé en son temps pour lui avoir sauvé la vie (6, 1-12).

-3- Le Roi « grandit » Haman (3, 1) : Tous les citoyens de l’Empire doivent se prosterner devant lui (3, 2). A la cour royale Mordekhaï ne se prosterne pas (3, 3-5) ; Haman vient solliciter l’accord du Roi pour faire pendre Mordekhaï (6, 4).

Rav Dessler souligne que la combinaison des enchainements 2 et 3 la même nuit, au même moment, mène à ce que l’enchainement 2 renverse l’enchainement 3, à l’aide de l’enchainement 1, comme un mécanisme programmé avec précision à l’avance.

Rav Dessler cite que nos ‘Hakhamim disent que pour les Bené Israël Hachem crée le remède avant le coup, à la différence des nations, qui ne bénéficient du remède que lorsque le coup arrive à son terme. Il cite que le Maharal explique (Or ‘Hadach 3, 1) que pour les Bené Israël le coup n’est pas un but en soi. L’objectif est le dénouement favorable, le coup lui étant subordonné.

Rav Dessler ajoute que la notion de : « ce fut l’inverse » (9, 1) est un élément fondamental qui traverse toute la Meguilat Esther : Haman voulait anéantir tous les Juifs, et l’inverse se réalisa, car ce même jour les Juifs tuèrent leurs ennemis dans toutes les provinces du Roi ! Haman voulut faire pendre Mordekhaï, et c’est l’inverse qui se réalisa, car ce même jour le Roi A’hachvéroch ordonna à Haman de revêtir lui-même les habits royaux à Mordekhaï et de lui faire chevaucher le cheval du Roi !

Haman prépara une potence pour y pendre Mordekhaï, et c’est l’inverse qui se réalisa, car ce fut sur cette même potence que Haman fut pendu ! Les ‘Hakhamim interprètent d’ailleurs le verset : « Haman vint … pour dire au Roi de pendre Mordekhaï sur le bois qu’il avait préparé pour lui », « pour lui-même » ! (6, 4)

On pourrait croire qu’il ne s’agit là que d’un ensemble de faits, même programmés d’avance, mais dont le but était simplement l’aboutissement favorable, le sauvetage des Bené Israël.

Mais si tel était le cas, n’aurait-il pas été plus simple et « efficace », de ne programmer ni le coup, ni son remède ?! (C’est d’ailleurs la même question qui se reproduit pour chaque épisode de notre Histoire …)

Manifestement l’objectif essentiel est le « message » adressé aux Bené Israël par ces évènements eux-mêmes !

A qui un tel « message » est-il destiné ? à des Juifs « renégats » qui auraient délibérément tourné le dos à la Torah ?! Ceux-ci seraient-ils susceptibles de recevoir un tel « réveil », et de répondre à l’appel de Mordekhaï à jeûner et prier Hachem, et à faire Techouva ?! (Et de même pour tous les évènements qui nous arrivent …)

La Guemara (Meguila 12a), et le Midrach (Chir HaChirim Raba (7, 13) citent une discussion sur la raison du décret Divin initial qui était à la base du décret de Haman (rien ne se produit sur terre sans décret Divin !). Une opinion situe la faute dans la participation des Juifs de la capitale, Chouchane (Suze), au festin d’A’hachvéroch, tandis que l’autre opinion soutient que la source du décret réside dans la faute d’avoir, des années plus tôt, cédé au dictat de Nevou’hadnétsar (Empereur de Bavel, qui détruisit le Beth HaMikdach et exila les Bené Israël) de se prosterner devant sa statue.

Selon les deux opinions, il ne s’agissait pas de tout le Peuple d’Israël. Selon le premier avis, seuls les Juifs de Chouchane avaient fauté ; et selon la seconde réponse, le Midrach cite une discussion si de chaque nation 3 ou 23 représentants devaient se prosterner devant la statue pour manifester une allégeance qui, d’ailleurs, n’était même pas une véritable idolâtrie (Tossefot ; Guemara Ketouvot 33b).

Il ressort de là que la faute, tout comme le message que représentait le décret de Haman, s’adressaient à l’ensemble des Bené Israël, fondamentalement fidèles à Hachem !

C’est ceux-ci qui répondirent « comme un seul homme » à l’appel de Mordekhaï (4, 16-17) de jeûner et se tourner vers Hachem.

Sous cet éclairage, il devient évident que le « ce fut l’inverse » qui caractérise cet épisode ne se réduit pas à un « happy end » !

Tout le but était de nous enseigner une autre sorte d’inverse !

Que ce soit dans la soumission à Nevou’hadnétsar et la déférence à sa statue, ou dans la présence au festin d’A’hachvéroch, les Bené Israël ne manifestaient pas un élan spontané d’adhésion au pouvoir local.  Leur motivation se limitait à accomplir une « Hichtadlout » (entreprise personnelle) pour ne pas provoquer l’animosité du Gouvernant, pensant ne pas devoir se fier exclusivement au « Bita’hon » (Confiance en Hachem) pour résoudre une situation délicate face aux ennemis d’Israël.

Toutefois, dans les deux cas, l’avis des Grands de la génération était opposé à ces démarches. Hachem attendait des Bené Israël une confiance absolue dans Sa protection, sans compromis avec les règles de la Torah. Aussi le décret vint leur rappeler que le fonctionnement réel du Monde n’est pas ce qu’ils croyaient, les mécanismes naturels. La vérité se situe dans l’inverse, c’est-à-dire l’intervention permanente de Hachem, même à travers les faits apparemment « naturels ». C’est pourquoi la Providence vint enseigner cette leçon sous le couvert des enchainements « manifestement » ordinaires de l’Histoire, mais qui grâce au sursaut de Techouva collectif devinrent « déchiffrables ».

C’est l’enseignement que nous révisons chaque année à Pourim.

Il devient alors clair pourquoi une part importante des Mitsvot de Pourim met l’accent sur l’unité entre nous. Ce n’est que dans une telle convergence que peut s’exprimer notre regard Juif sur les péripéties tant individuelles que collectives. Toute approche « individuelle » de l’existence dénote une lecture « loi de la jungle » de la vie !

Nous voyons ainsi que la source de l’épreuve et les enseignements que toutes les générations doivent entretenir à travers les Mitsvot de Pourim sont centrés sur l’unité du Peuple et la responsabilité communes de l’ensemble de notre Peuple dans notre lien à Hachem.

La Paracha Ki Tissa que nous lisons ce Chabat comporte une leçon comparable :

Après la faute du Eguel (Veau d’or) (Chemot 32, 1-6), Moché Rabénou s’adressa à l’ensemble du Peuple en disant : « Qui est pour Hachem, qu’il vienne vers moi ! », et tous les Bené Lévi s’assemblèrent tous les Bené Lévi (32, 26).

Rav Nathan Tsvi Yehouda Berlin (Haamek Davar 32, 26) remarque qu’en réalité la majorité du Peuple n’avait pas participé à la faute du Eguel. Ce fait est confirmé par le nombre restreint des coupables punis, que ce soit directement par l’exécution par les Leviim (32, 27-28), 3000 hommes, et que ce soit par les diverses morts de la Main de Hachem (Rachi 32, 20). Il souligne que l’appel de Moché Rabénou ne visait pas ceux qui n’avaient pas participé à la faute. En effet, nombreux étaient dans ce cas. Mais la punition des fautifs représentait une mission « dangereuse » dans la mesure où les coupables, et même le reste du Peuple, étaient susceptibles de s’opposer à cette exécution, allant jusqu’à réagir physiquement contre les juges qui condamneraient ceux qui le méritaient. Une telle Mitsva ne s’impose pas face au risque de danger, comme on le voit dans d’autres exemples (Guemara Pessa’him 8b). Seuls ceux qui étaient à un niveau supérieur d’attachement à Hachem qui se manifestait par le fait qu’ils étaient aptes à accomplir l’ordre de Hachem même à l’encontre de leurs proches (32, 27), pouvaient bénéficier de la protection de Hachem dans cette Mission.

Il reste que, si l’ensemble du Peuple n’avait pas fauté, alors pourquoi Hachem a brandi la menace d’un anéantissement collectif (chap. 32, versets 9-10) ?!

Manifestement, de même que dans l’épisode du décret de Haman, même ceux qui n’ont pas fauté eux-mêmes partageaient une responsabilité collective du fait de leur manque d’opposition ouverte aux débordements de leurs frères !

Tous les membres de notre Peuple ne forment qu’une seule entité, partageant une même Nechama (âme) d’Israël ! Et tout comme l’organisme est affaibli par l’infection affectant un membre, ainsi est le Peuple Juif dans son entier.

Mais pour la réparation également, la Techouva de chacun agit sur l’ensemble, comme les « globules blancs » d’une partie du corps viennent à l’aide de l’organisme pour affronter une infection même limitée à un seul organe.

De nos jours nous affrontons des enjeux non-moins préoccupants, et la part de chacun est décisive dans la lutte contre « Amalek » de l’extérieur et de l’intérieur (comme le définit le Gaon de Vilna dans Even Chlomo, 11, 7-8). Toutefois nous devons savoir que la lutte contre Amalek ne commence pas « sur le champ de bataille », mais au Beth HaMidrach (la Maison d’étude de la Torah), et dans notre existence quotidienne, en nous démarquant des comportements tournés vers « Co’hi veotsem yadi » (ma force et la puissance de ma main) dans toutes nos activités, et renforcer notre lien avec Hachem.

Puissions-nous nous élever au niveau où avant de nous tourner vers les ennemis extérieurs de notre Peuple, nous réalisons notre unité complète autour de la Torah.