Parasha – 19 BECHALAH 5782

La Paracha Bechala’h complète le récit de la Gueoula (la Délivrance) d’Egypte.

Bien que Par’o ait enfin accordé la liberté aux Bené Israël, celui-ci décide rapidement de les poursuivre, et Hachem soumet les Bené Israël à l’épreuve du Bita’hon (confiance en Hachem) en les amenant à un point où ils sont « enfermés » entre les Egyptiens qui les poursuivent, et la mer qui leur barre le passage (Chemot 14, 1-14).

Vient alors l’épisode bien connu où la mer s’ouvre miraculeusement devant les Bené Israël, puis se referme sur les Egyptiens, les engloutissant tous (14, 21-31).

Ce passage se conclut par : » …le Peuple craignit Hachem, et ils eurent « Emouna » en Hachem et en Moché Son serviteur ! »

Ce n’est pas la première fois que la Torah atteste de la Emouna des Bené Israël au cours du récit de la Sortie d’Egypte, et la Torah le mentionne encore.

Dès la première intervention de Moché et Aharon auprès des Bené Israël pour leur annoncer la Gueoula, la Torah dit (Chemot 4, 31) : « le Peuple eut Emouna… ».

Enfin, lors de Matane Torah (le Don de la Torah), Hachem annonce à Moché (19, 9) : « …Voici, Je viendrai vers toi dans l’épaisseur de la nuée, afin que le Peuple entende lorsque Je te parlerai, et aussi en toi ils auront Emouna éternellement ».

Comment comprendre ce besoin renouvelé d’acquisition de la Emouna ?

Si nous appréhendonsla notion de Emouna comme une perception « intellectuelle » de la Présence de Hachem – le Créateur, Celui qui guide les évènements, comment peut-il y avoir des « aller et retour » de Emouna ?

Bien sûr, nous pouvons répondre avec « humour » qu’en période de vaccin et de rappels de vaccin sans fin, la chose semble plus compréhensible ! … Mais tout de même cette question mérite plus qu’une réponse humoristique !

Notre étonnement provient d’une perception erronée de la Emouna, et plus généralement, de notre « fonctionnement » dans l’existence. Pour sauvegarder notre « dignité », nous voulons croire que nous agissons exclusivement selon les directives de notre intellect. Or il n’en est rien ! Les ‘Hakhamim de toutes les générations nous répètent que ce n’est pas la « raison » qui dicte au « sentiment », mais, au contraire, l’inclination vers un comportement donné qui dicte à la « raison » de trouver des « raisons » « valables » à nos choix.

Ainsi, si la Emouna n’était qu’une question de conviction, aucun miracle n’aurait été nécessaire.

Rav Chalom Schwadron (Lev Chalom, II, p.  203), souligne que la vraie question n’est pas comment accéder à la Emouna ! La véritable interrogation est comment ne pas être Maamin (plein de Emouna) ?!

Les arguments n’ont pas manqué tout au long de l’Histoire, depuis Rabbi Akiva avec l’exemple du vêtement (répondant à un interlocuteur qui niait la Création : Et qui me prouve l’existence d’un tailleur à l’origine de ton manteau ?! De même que tu me considèrerais comme un fou si je prétendais que ton vêtement est apparu « spontanément », ainsi en est-il de l’ensemble du Monde !!…) jusqu’à Rabbi Avraham Ibn Ezra. Celui-ci profita une fois de l’absence momentanée de son interlocuteur non-juif qui niait l’existence du Créateur, pour compléter brillamment le poème qu’il avait laissé inachevé sur sa table. Lorsque le non-juif revint et s’étonna de voir son œuvre achevée, Ibn Ezra répondit que l’encrier s’était renversé sur la feuille, produisant « par hasard » le résultat apparu. Chacun de ces exemples venait attirer l’attention sur la splendeur et la plénitude du monde dans lequel nous évoluons.

Rav Schwadron souligne (p. 154) que de même que dans l’activité matérielle, la théorie et la pratique sont distinctes et la connaissance peut exister indépendamment de toute action, mais n’est d’aucune utilité, ainsi dans le domaine spirituel, tous les trésors de Emouna théorique n’ont aucun impact sur l’homme s’il ne joint pas l’action à la conception intellectuelle. De ce point de vue, les Bené Israël qui sont sortis d’Egypte sans préparer de provisions pour la route (12, 39) ont mis en pratique leur Emouna.

Rav Yaacov Neyman (Darké Moussar p.115-116) explique la progression de la Emouna des Bené Israël au fil des étapes de la Gueoula. Le témoignage de la Torah qui affirmeque suite au passage de la Mer, les Bené Israël ont atteint la Emouna en Hachem et en Moché Son serviteur (14, 31) vise à un tout autre niveau.

Il rapporte les paroles de Rav Sim’ha Zissel (Talmid de Rabbi Israël Salanter, et fondateur de la célèbre Yechiva de Kelm) qui souligne qu’il y a Emouna et Emouna. Il y a la Emouna intellectuelle, basée sur l’analyse et les arguments logiques. Celle-ci est fragile et sujette à contradiction.

Par contre la Emouna concrète comme celle de l’expérience personnelle (« le pain qui nourrit », par exemple …) est inaltérable.

Rav Neyman cite à ce sujet l’exemple d’un « Admour » (Rav des ‘Hassidim) qui posa soudain la question : « avez-vous Emouna dans le Créateur ? ». Ils répondirent en cœur : « bien sûr ! Quelle question ?!! ».

Le Admour leur répondit à son tour : « sachez que moi, je n’ai pas Emouna ! ».

En réponse à leur étonnement, il leur expliqua : « avez-vous Emouna que ceci est une table ? ».

Lorsqu’ils répondirent qu’il n’était pas question de Emouna pour cela car tous voyaient que c’était une table, il leur dit : « Et avons-nous besoin de Emouna sur l’existence de Hachem ?! Nous voyons clairement qu’il y a un Guide et Maître au Palais ! »

Rav Noa’h Chalom Bérézovski (Netivot Chalom, p.112) fait la distinction entre Emouna (« Croyance ») et « Imoun » (confiance).

On peut savoir même profondément que le monde a Son Créateur, mais ne pas ressentir la confiance profonde que tous les évènements sont bénéfiques, même lorsqu’ils ne le semblent pas.

C’est cette Emouna totale que les Bené Israël ont acquise lors du passage de la Mer.

L’amour de Hachem qui s’est manifesté à travers tous les prodiges (Voir les divers Midrachim qui les décrivent; cf. Dvar Torah 5778, sur demande à kvlhm.ezr@gmail.com) qui ont accompagné la traversée de la Mer les a conduits à une telle Emouna. 

Rav Its’hak Ayzik Scherr (Leket Si’hot Moussar, p.179) nous décrit parallèlement la grandeur extraordinaire de nos ancêtres qui sont sortis d’Egypte et qui firent face à la Mer, et leur hésitation devant l’accès à un nouveau niveau d’existence fait entièrement de Nissim (miracles) sans aucun lien avec une vie « naturelle ». Ils craignaient les épreuves qui y sont associées. Seul un homme dénué de « bon sens », et prenant l’existence pour un parcours de satisfactions personnelles sans la moindre obligation, peut aspirer sans hésitation à une vie pétrie de miracles.  La vie à un niveau supérieur de lien avec Hachem n’est pas simplement accompagnée d’avantages « en nature », elle implique une responsabilité permanente accrue sur le moindre acte et la moindre pensée.  C’est là l’acquis de la traversée de la Mer et des étapes suivantes dans le désert.

Rav Naftali Tsvi Yehouda Berlin (Haamek Davar, Chemot, 14,31) explique que jusqu’à ce moment, les Bené Israël pouvaient encore attribuer les prodiges de la Sortie d’Egypte aux capacités particulières de Moché Rabénou. Ce n’est qu’en assistant au châtiment gradué des Egyptiens (voir Rachi 15,5) qu’ils prirent pleinement conscience que seule la Main de Hachem était derrière tous ces détails, et que Moché Rabénou ne faisait rien de lui-même. L’acquis essentiel suite au passage de la Mer est donc la confiance dans la mission des guides que Hachem nous envoie à chaque génération. Sans cette confiance, on glisserait rapidement vers une vie d’où le contact vivant avec Hachem serait perdu.

Pour comprendre plus clairement la profondeur de la notion de Emouna, Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat Torah, Beréchit p.218-221) développe que la Emouna n’est pas une notion de « croyance », mais une « Mida » (un Trait de comportement). Les Midot (pluriel de Mida) sont les caractéristiques que Hachem a créées et que l’homme peut acquérir plus ou moins parfaitement. Ainsi, il explique que la Emouna est, non un concept, mais une qualité profonde qui se manifeste dans le comportement de l’homme. Cette Mida consiste en une « solidité » à toute épreuve. L’homme doit être inébranlable dans ses actes et dans ses paroles, que ce soit face à Hachem ou envers les hommes. Celui qui change comme « une girouette », et ne tient pas sa parole témoigne de son manque de Emouna.

C’est à un tel sommet que les épreuves successives devaient amener les Bené Israël.

S’il s’agissait simplement de croyance intellectuelle, il n’y aurait pas de « gradation » : soit l’homme « croit, soit il ne croit pas ! Croire « à moitié » revient à ne pas croire. Mais dans la mesure où il s’agit de grandir dans l’application de la Emouna à notre existence quotidienne, il y a tout un parcours à accomplir.

Les acquis des Bené Israël à travers les péripéties qui ont suivi la Sortie d’Egypte et ceux de leur séjour dans le désert constituent les qualités profondes qu’ils nous ont laissé en héritage et qui ne demandent qu’à être activées. Tel doit être notre cheminement au fil des Parachiot de la Gueoula.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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