Parasha – 150 Behar 5784

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La Paracha Behar commence par les lois concernant la Chemita (l’année Sabbatique) et celles du Yovel (la 50ème année) pendant lesquelles les activités agricoles sont interdites, et les produits issus spontanément de la terre sont décrétés à la disposition de chacun, les propriétaires des terrains n’ayant aucun droit particulier sur eux (Vayikra 25, 1-13).

La suite de la Paracha décrit une série de situations financières défavorables, dans lesquelles un homme est amené à se défaire de ses biens, puis en arrive même à se “vendre” comme “esclave”, employé juif soumis à un régime particulier pendant la période pour laquelle il s’est engagé.

La dernière étape mentionnée est le cas où il n’a pas trouvé un autre acquéreur qu’un non-juif, ou même d’effectuer le service “civil” dans un temple idolâtre (25, 47-54).

La Paracha s’achève de façon surprenante par les deux versets suivants : “Ne vous faites pas de fausses divinités, et une statue et n’érigez pas pour vous une stèle ; et ne placez pas une pierre de prosternation dans votre pays pour vous prosterner sur elle ; car Je suis Hachem votre Dieu ! Gardez Mes Chabatot, et craignez Mon Mikdach (Sanctuaire) ! Je suis Hachem ! (26, 1-2)”.  

Rachi (citant le Midrach Torat Cohanim) commente ces deux versets de la manière suivante : “Face à celui qui s’est vendu à un non-juif, qu’il ne dise pas : “Puisque mon maître se livre à l’immoralité, moi aussi (je ferai) comme lui, puisque mon maître sert l’idolâtrie, moi aussi (je ferai) comme lui, puisque mon maître profane le Chabat, moi aussi (je ferai) comme lui ; c’est pourquoi ces versets ont été dits.

Et ces paragraphes (successifs de la Paracha) ont été dits dans l’ordre : Au début, le verset avertit sur la Chemita. Et si l’homme a convoité l’argent, et qu’il est devenu suspect d’avoir enfreint les lois de la Chemita (en faisant commerce des fruits de la septième année), il finira par vendre ses biens mobiliers (25, 14), c’est pourquoi le verset (à propos de la vente des biens) suit immédiatement : “et si vous vendez …”; s’il ne revient pas sur son comportement (de sacrifier les règles de la Torah à son avidité …) il finira par vendre son patrimoine immobilier (25, 15-16); s’il ne revient pas sur son comportement, il finira par vendre sa maison (25, 29-30); s’il ne revient pas sur son comportement, il empruntera avec intérêt (25, 35-38); Chacun de ces évènements successifs est plus dur que les précédents. S’il ne revient pas sur son comportement, il finit par se vendre (comme esclave) (25, 39-43). S’il ne revient pas sur son comportement, il ne trouvera pas à se vendre à un Juif, mais à un non-juif (25, 47-54) !” (Guemara Kiddouchin 20a).

Ces développements appellent nombre de questions :

– Comment comprendre la nécessité de rappeler à un Juif qui est esclave d’un non-juif qu’il ne doit pas imiter les actions méprisables de son maître et transgresser ses obligations de Juif envers Hachem ?!

– A l’opposé, il peut sembler “illusoire” de chercher à rappeler à quelqu’un qui est tombé aussi bas qu’il est encore lié aux Mitsvot de Hachem ! Comment peut-on, par exemple, s’adresser à un Juif aujourd’hui, qui vit plongé dans le monde extérieur, et s’est peut-être même totalement “fondu” dans la société, et lui rappeler qu’il reste soumis à toutes les obligations qui s’appliquent à chaque Juif ?! Qui aurait pensé s’adresser au chef suprême de l’église de France, le Cardinal Lustiger, en lui rappelant qu’il serait “justiciable” après sa mort même sur le fait de déplacer Chabat un objet Mouktsé (interdit), ou sur le temps destiné à l’étude de la Torah qu’il avait gaspillé ?!

– Pourquoi la Torah rattache-t-elle cette “dégringolade” monumentale à la Chemita particulièrement ?!

– Et enfin, comment comprendre que cette Paracha de “déchéance”, et pareillement la suivante, Be’houkotaï, qui décrit les catastrophes de la Galout (Exil) qui guettent le Peuple Juif s’il se détourne de la Torah, fait suite à la Paracha Emor que nous avons lue la semaine dernière, qui décrit l’apogée de la grandeur du Peuple de Hachem dans la Kedoucha élaborée à travers les Parachiot du Séfer Vayikra ?!

Pour répondre progressivement à ces questions, voyons tout d’abord le commentaire de Sforno (26, 1). Il met en parallèle l’attitude du Juif devenu esclave d’un non-juif et qui se croit, de ce fait libéré de son lien à la Torah, avec la démarche similaire que certains Juifs eurent après la destruction du premier Beth Hamikdach (Guemara Sanhédrin 105a). Ils s’adressèrent aux Neviim (Prophètes) de l’époque en demandant : “un esclave que son maître a vendu, et une épouse que son mari a répudiée, a-t-il encore une quelconque revendication à leur égard ?!”. A quoi le Navi Ye’hézkel leur répondit que Hachem n’avait en aucun cas défait le lien qui les rattachait à Lui, et qu’ils restaient intégralement liés à la Torah !

Le Haamek Davar étend ce message à chaque Juif qui s’est fondu parmi les non-juifs, qu’il doit particulièrement veiller à garder le sens des valeurs Juives, comme le souligne Sforno par le parallèle entre le cas de l’esclave et celui de la généralité du Peuple dans la Galout.

Rav Tsvi Chraga Grossbard (Daat Chraga, p.112) souligne l’impact redoutable de l’environnement.

Le Juif plongé dans un entourage non-juif court réellement le risque de dériver dans son comportement jusqu’à en arriver aux transgressions contre lesquelles la Torah le met ici en garde !

Rav Avraham Its’hak Barzel s’étonne de l’association que fait Rachi de deux enseignements de nos ‘Hakhamim dans un même paragraphe : les mises en garde de l’esclave contre l’exemple de son maître non-juif, et la source de sa “dégringolade”, le manque de respect de la Chemita ?! Il ajoute cette question : comment peut-on imaginer un tel raisonnement de la part d’un Juif d’être prêt à imiter les aberrations de son maître non-juif ?! Il conclut que la Torah nous enseigne ici la gravité d’une faute semble-t-il “légère” ! Le simple fait de se laisser aller à faire commerce des fruits de la Chemita, même sans avoir transgressé les interdits principaux relatifs à la culture elle-même peut amener l’homme jusqu’aux portes de l’idolâtrie et de l’assimilation complète !

Rav Barzel (Iyouné Rachi Vayikra p.872) ajoute que l’allusion dans Rachi à l’immoralité n’est pas mentionnée dans le verset. Toutefois, nos ‘Hakhamim (Guemara Sanhédrin 63b) expliquent que les Bené Israël n’ont abouti à la pratique de l’idolâtrie que pour en arriver à se permettre de satisfaire leurs pulsions inférieures.

Rav Guerchon Liebmann (connu sous l’appellation : “Rabénou”, en France, fondateur des Institutions Or Yossef-Novardok à Armentières) fait la même analyse (Déguel HaMoussar p.172) que Rav Barzel. Il souligne que l’enchaînement développé ici par la Torah n’aurait pas effleuré notre esprit ! Qui imaginerait en voyant un Juif faire commerce des fruits de la Chemita qu’il pourrait en arriver à se vendre comme esclave à un non-juif ?!

Un Ba’hour Yechiva passe un moment difficile… Qui penserait qu’il peut en arriver dans sa détresse jusqu’à quitter la Yechiva, puis même le Peuple de Hachem ?!

Rav Liebmann fait cette même analyse en chemin retour relativement à ses contemporains qui ont tourné le dos à la Torah suite à la “Choa”. Loin de chercher à juger ces malheureux qui n’ont pas su percevoir la “Main de Hachem” dans les évènements, il remarque toutefois que les “explications” qu’ils donnent de leur abandon ne sont pas convaincantes, et cherchent juste à voiler leur faiblesse préalable aux évènements, comme par exemple “l’appas du gain” ou autre …

Un fait semblable est rapporté concernant un élève du Ramban (2000 Years of Jewish History de Rav ‘Haïm Schloss, p.117) qui abandonna la Torah et devint un cruel adversaire des Juifs au sein de l’église. Il convoqua le Ramban pour le braver à Yom Kippour en tuant devant lui un porc pour le cuire et en consommer. Quand le Ramban l’interrogea sur la cause de sa dérive, il expliqua que son déclin avait débuté lorsqu’il avait entendu son Maître, le Ramban, enseigner que chaque Juif peut trouver allusion à sa propre personne dans chaque Paracha de la Torah, ce qui lui sembla clairement impossible.

Le Ramban le mit au défi de lui poser une question de son choix.

L’homme lui demanda où son nom apparaissait-il dans la Paracha ?

Le Ramban alla vers un coin de la pièce pour prier, puis revint, ouvrit un ‘Houmach, et lui montra que la troisième lettre des quatre derniers mots d’un verset décrivant la perte des renégats formait son nom.

À la suite de cette révélation, cet homme partit se perdre en mer pour mettre fin à ses jours …

Rav Guedalyahou Schorr (Or Guedalyahou, p.71) cite les paroles de la Guemara rapportées par Rachi relatives à l’enchaînement des évènements dans la Paracha. Il remarque le parallèle entre la “Galout” de l’individu, due au manque de respect de la Chemita, et la Galout collective mentionnée dans la Paracha suivante, Be’houkotaï, liée également à la Chemita. La Torah met ainsi en garde l’individu et la communauté contre l’assimilation dans le milieu ambiant non-juif.

Rav Schorr explique que la “punition” est directement en rapport avec la faute : l’homme (ou la collectivité) a tourné le dos à son identité de “Eved Hachem” (Serviteur de Hachem) qui se manifeste spécialement dans le respect scrupuleux des règles de la Chemita. Aussi il est condamné à être asservi à autrui, et non seulement à un Juif, mais jusqu’à être esclave d’un non-juif !

Rav Schorr souligne qu’outre une mise en garde, la Torah nous prodigue ici également une promesse !

Le verset précédant ces avertissements dit : “Car à Moi les Bené Israël sont “Avadim” (Serviteurs) ! ils sont Mes Avadim que J’ai sortis de la Terre d’Egypte. Je suis Hachem votre Dieu ! (25, 55)”.

La Paracha Behar nous ouvre un “horizon” plein d’espoir !

Même si un Juif, ou de nombreux Juifs, perdent le contact avec Hachem, Hachem nous rappelle qu’Il ne “désespère” pas de nous. Il nous met en garde, Il nous envoie éventuellement des “coups de semonce” très vigoureux. Mais il ne s’agit jamais d’un rejet, car Il nous attend toujours …         Chabat Chalom !