Parasha – 15 VAYEHI 5782

La Paracha Vaye’hi est la conclusion du Séfer Beréchit. 

A la jointure du Séfer Beréchit et du Séfer Chemot, le Ramban explique que le Séfer Beréchit est le Livre de la Création, et des « Maassim » – les faits des Avot (Patriarches) qui sont la fondation des « Maassim » (les faits) de leurs descendants.

Vient alors le Séfer Chemot qui en est le développement.

Les Berakhot que Yaacov Avinou octroie à ses fils occupent une place essentielle dans notre Paracha (Beréchit 49, 1-28). 

Yaacov introduit les Berakhot par cetteannonce : « … Rassemblez-vous, et je vous ferai connaitre ce qui vous arrivera à la fin des temps » (49, 1).

Ces deux notions, l’annonce de « la fin des temps », ainsi que les Berakhot, sont chacune une énigme pour nous.

Rachi cite nos ‘Hakhamim qui disent que lorsque Yaacov voulut « révéler » la fin des temps, la Chekhina (Présence Divine) se retira de lui. Aussi, il passa à autre chose : les Berakhot.

Le Zohar HaKadoch (rapporté par divers Commentateurs) s’étonne que la Torah mentionne un projet qui n’a pas été concrétisé, et qui n’a donc pas de réalité. La Torah ne cite pas des faits qui ne se sont pas réalisés.

Le Zohar répond qu’en réalité Yaacov a bien accompli son projet, mais que c’est « ouvert et voilé ».

Rav Guedaliahou Scherr (Or Guedaliahou, p. 73) donne une explication partielle à ces paroles « obscures » :  L’intention de Yaacov Avinou n’était certainement pas de révéler le « Kèts », la fin de la détresse de la Galout (Exil), mais de donner aux Bené Israël la capacité de vivre au sein de la Galout avec la perception du « Kèts ».

Rav Scherr développe que la Galout ne fait que voiler superficiellement la Présence de Hachem. Au plus profond de la Galout est enfouie une grande « lumière ». Si l’homme s’y attache, il n’y a plus du tout de Galout. C’est-à-dire qu’il perçoit le sens profond des choses au-delà des apparences superficielles.

Si Yaacov avait réalisé son projet, alors il n’y aurait plus eu de Galout du tout.

Toutefois, bien qu’il n’ait pas pu faire cette révélation comme il le souhaitait, il a implanté dans le Peuple d’Israël l’aptitude à vivre au sein de la Galout. Chaque individu possède la capacité d’accéder à cette conscience profonde de ce que la Galout et la Gueoula (Délivrance) forment une unité.

Le sujet des Berakhot soulève de nombreuses questions.

En quoi la Berakha exprimée par un homme peut-t-elle exercer une influence sur celui auquel il la dédie ?

Rav ‘Haïm Friedlander (Sifté ‘Haïm, Beréchit, p.509-518) explique qu’il ne s’agit évidemment pas d’accorder à quelqu’un des « moyens magiques » de réussite.

La Berakha est une Tefila à Hachem pour qu’Il octroie au destinataire de la Berakha des « outils » supplémentaires pour accomplir le but pour lequel il a été amené dans ce monde.

L’épanouissement de ces « outils » dépend ensuite de ce que celui qui a reçu cette Berakha choisit d’en faire. Il incombe à chacun de nous d’utiliser ce « capital » dans le sens de la Avoda (Service de Hachem).

Cela est vrai, bien sûr, en ce qui concerne les moyens matériels dont nous disposons…

Mais cela n’est pas moins vrai relativement aux circonstances qui se présentent dans notre existence qui sont destinées à nous donner accès à une compréhension plus profonde de la Présence de Hachem.

C’est donc là que se situe le lien entre la « révélation » du « Kèts » et l’impact des Berakhot sur l’avenir du Peuple Juif et sur l’Histoire jusqu’à la Gueoula.

Rav Moché Ye’hiel Epstein (Beèr Moché, p. 841) analyse ainsi les paroles de Yaacov Avinou (49,1) : « …ce qui vous arrivera à la fin des temps » : Yaacov Avinou dit à ses fils : « Sachez et voyez que vous n’êtes pas de simples présence « particuliers » ; mais tout ce qui vous est arrivé est un maillon dans la chaîne qui mène du Début (la Création) jusqu’à la Fin (la Gueoula ultime). « …ce qui vous arrive n’est pas un fait temporaire, ou un évènement particulier sans suite. Mais tout est lié au point central, l’aboutissement de la Création « à la fin des temps« . Tous vos actes ont un retentissement au plus haut.

Rav Dessler (Mikhtav MeEliahou, I, p. 8-15) mentionne cette notion de « chaîne de l’histoire » dans son développement relatif au « Zekhout Avot » (le mérite de nos Patriarches) que nous considérons souvent à tort comme une sorte de « joker » qu’il nous suffit de « brandir » face à Hachem pour échapper aux conséquences de nos fautes.

Rav Dessler compare le Zekhout Avot à une longue chaîne destinée à conserver un objet précieux. La chaîne n’a pas de valeur en elle-même. Son but est seulement de relier l’objet important afin qu’il ne s’égare pas. Si la chaîne n’a pas de valeur intrinsèque, a fortiori chaque maillon de la chaîne n’a pas de valeur.

Cependant chaque maillon est indispensable car la rupture d’un seul anneau causerait la perte irrémédiable de l’objet précieux !

Tel est le sens véritable du « Zekhout Avot ».

Hachem a promis aux Avot que l’aboutissement de la Création serait issu d’eux et de leur descendance.

Toutefois entre Avraham Avinou et la génération du Machia’h il y a de nombreuses générations, et toutes ces générations sont reliées entre elles comme une longue chaîne dont les maillons sont attachés les uns aux autres. Dans cette succession, il y a des individus ou des générations entières qui n’ont pas de mérite d’existence. Ces « maillons » existent en fait non par leur propre « Zekhout » (mérite), mais par celui de leurs ancêtres et de leurs descendants, en tant seulement qu’anneaux de la chaîne.

Personne ne souhaite, bien évidemment, devoir son existence à un mérite aussi ténu !

La démarche de Yaacov Avinou et sa limitation par Hachem nous enseignent que l’essentiel de notre Avoda se situe dans la Galout, et consiste à percevoir pleinement la Présence de Hachem. Si Yaacov avait réussi à révéler plus clairement cette notion, il n’y aurait plus eu « d’épreuve », et le sens de l’Histoire aurait été altéré.

Toutefois, nous voyons que des périodes de grandeur ont existé.

Nous devons comprendre en quoi consistait dans ces situations « l’épreuve » de ce monde.

Rav Sim’ha Zissel Broïdé (Sam Dérekh, p.118) analyse la réaction de Par’o face à Yossef lorsque celui-ci lui interpréta ses rêves (Beréchit 41, 37-40).

Il souligne la grandeur d’un personnage capable de mesurer la dimension réelle de son interlocuteur au point de braver les tabous sociaux de l’Egypte et de remettre les rênes du pouvoir absolu entre les mains d’un jeune étranger, esclave emprisonné, du fait de la sagesse d’origine Divine qu’il a manifestée.

Après nous avoir abondamment décrit la grande sagesse de Par’o, Rav Broïdé nous montre comment le même personnage peut se retourner « comme un rien » et proclamer face à Moché Rabénou plus tard : « Qui est Hachem pour que j’écoute Sa voix ?! » (Chemot 5, 2).

L’intérêt de cette étude pour nous n’est évidemment pas le personnage de Par’o lui-même, car la Torah ne nous livre pas des analyses historiques à but purement »scientifique ».

Le but est de réaliser la fragilité de la conscience humaine telle qu’elle se manifeste chez chacun de nous, pour que nous sachions maîtriser nos élans face à chaque situation.

La période d’existence du Beth HaMikdach (Temple) était caractérisée par des Nissim (miracles) impressionnants, dont certains sont énumérés dans la Michna (Avot, 5,5).

La Présence Divine incontestable n’empêchait pas ceux qui en étaient témoins de commettre des fautes. La force de l’habitude entraine une banalisation qui laisse place à la légèreté. Ce n’est pas l’intellect qui dirige la volonté, mais, au contraire, la volonté qui mène l’intellect aux interprétations les plus « farfelues », pour mener aux conceptions « philosophiques » appropriées aux choix de vie de l’homme. Ainsi, il en est demême face aux manifestations les plus claires de la Présence permanente de Hachem dans notre quotidien.

Notre existence individuelle et collective est ainsi parsemée de circonstances variées au sein desquelles nous devons reconnaître la Main de Hachem. Hachem alterne les « épreuves » au rythme de nos besoins, tantôt la « grandeur », tantôt la « difficulté ».

Le but est de nous amener finalement à la pleine conscience du véritable fonctionnement du Monde, pour revenir au niveau de la grandeur d’Adam Harichon avant la faute.

Toutefois, ce n’est pas dans l’opulence, « la bouche pleine » que l’attachement réel à Hachem se révèle, mais dans les troubles de la Galout. La fidélité du lien, même entre personnes, ne doit pas être tributaire des avantages qui en découlent.

Le sommet de l’amour entre Hachem et Son Peuple est « chanté » dans Chir Hachirim (le Cantique des Cantiques) qui décrit en long les péripéties de la Galout.

Tel est le message que Yaacov a transmis à ses fils, et au-delà, à nous tous, ses descendants : apprendre à voir Hachem dans chaque détail du quotidien. Et les Berakhot viennent souligner à chacun son domaine particulier dans la Avoda (comme nous l’avons déjà rapporté dans notre Dvar Torah sur d’autres Parachiot).

On rapporte l’histoire d’un Grand Rav qui, dans un camp de concentration nazi, fut interpellé par un mécréant qui lui dit : « Et maintenant, continuerez-vous à dire : « Tu (Hachem) nous (les Juifs) as choisis » ?!

A quoi le Rav répondit : « Maintenant plus que jamais !! Car je préfère être à ma place plutôt qu’à la leur ! ».

Au-delà de la grandeur de « qualités humaines » profondes révélées par cette réponse, nous voyons ici la capacité d’un Juif à voir en chaque situation la Main de Hachem !

Après la « mise en place » des « outils » reçus des Avot et des Chevatim, commence dans le Séfer Chemot le long parcours de l’Histoire qui mène la Création depuis Adam Harichone à la Gueoula Ultime, bientôt de nos jours. 

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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