Parasha – 147 A’haré Mot 5784

בס »ד

A’haré Mot

La Paracha A’haré Mot comporte principalement deux parties que nous lisons à Yom Kippour, la première le matin et la seconde l’après-midi à Min’ha.

La première section (Vayikra 16, 1-34) décrit la Avoda (le Service) du Cohen Gadol à Yom Kippour, seul jour dans l’année où il est permis, et seulement au Cohen Gadol, d’entrer dans le Kodèch HaKodachim qui est l’espace le plus intime du Beth HaMikdach (le Temple) où repose le Aron HaKodech qui abrite les Lou’hot (les Tables des Dix Commandements).

La dernière section (18, 1-30) dicte les règles spécifiques de comportement « moral » que les membres du Peuple de Hachem doivent suivre. Ce passage est introduit par la prescription de nous éloigner du comportement des peuples, et de leurs principes de vie profondément ancrés dans leur « culture ».

La Torah enchaîne en énumérant les unions interdites à un Juif.

Le contraste entre les deux volets de la Paracha est flagrant !

Du haut de la Avoda la plus élevée, où la plus grande personnalité spirituelle du Peuple Juif représente tout Israël face à Hachem, nous « tombons » dans l’abime des interdits liés aux pulsions les plus « animales » de l’Homme.

Comment relier ces deux « mondes » ?!

Comment comprendre la place de la seconde partie dans la lecture de la Torah à Yom Kippour ?!

Nous pouvons trouver un élément d’unification de ces facettes dans un verset de l’introduction au passage dédié aux interdits « moraux ». La Torah dit (18, 5) : « vous garderez Mes décrets et Mes lois, que l’homme accomplira et qu’il vivra « en » (par) eux ; Je suis Hachem ! ».

La Guemara (Youma 85b ; Sanhédrin 74a) déduit de ce verset que lorsqu’il y a un enjeu « vital » (un danger naturel ou une menace extérieure) la Mitsva est de sauver la vie même au prix d’une « transgression » (qui n’en est en fait pas une puisque c’est la priorité définie par la Torah), sauf en ce qui concerne les trois fautes « capitales » : l’idolâtrie, le meurtre, et les relations interdites passibles de la peine spirituelle de Karèt (retranchement de l’entité spirituelle du Peuple Juif). Seuls ces interdits se maintiennent face à une situation de danger.

Rav Chimchon Raphaël Hirsch explique (18, 5) que ces 3 interdictions constituent respectivement l’apogée des Mitsvot face à Hachem (l’idolâtrie), face à notre prochain (le meurtre), et face à la Kedoucha (« Sainteté ») de son âme (les interdits de relation).

D’autre part, Rachi (et le Targoum Onkelos) expliquent que la « vie » mentionnée dans ce verset est la vie éternelle dans le Olam Haba (le Monde à Venir) !

De prime abord, il semble que ces deux explications du verset sont en opposition ! Soit la Torah vient privilégier la sauvegarde de la vie physique, soit elle nous dicte de focaliser notre intérêt sur la vie spirituelle, apparemment même « au détriment » de la vie physique ?!

Le Haamèk Davar répond en analysant le terme « ‘Haï » (trad. vivant). Il souligne que suivant les contextes ce terme signifie « vivant » par opposition à « mort », auquel cas il s’agit de simple « survie » physique, ou « vivant » dans le sens « épanoui ».

Par ailleurs, il explique que le verset qui dicte de « garder les décrets et les lois » comporte deux niveaux de lecture :

– Il peut s’appliquer à l’accomplissement des Mitsvot, et alors le terme « ‘Haï » définit la priorité de la « survie » physique destinée à permettre une existence prolongée d’accomplissement des Mitsvot.

– Il peut se comprendre comme définissant les modalités de l’étude de la Torah (les « décrets » étant les « modes d’interprétation » de la Torah, et les « lois » les enseignements qui en découlent). Dans ce sens, le mot « ‘Haï » se réfère à la vie réelle de l’être, épanouie par l’étude de la Torah.

Selon cette explication, il n’y a pas d’opposition, mais des « niveaux » différents d’application …

De nombreux Commentateurs reprennent le développement du Ramban qui explique que la « vie » de chacun dans les Mitsvot s’ajuste à ses motivations. Depuis le niveau le plus inférieur, de celui qui attend de l’accomplissement des Mitsvot une existence matérielle satisfaisante, et qui y aura « droit », jusqu’au niveau le plus élevé de celui qui ne vise qu’à l’attachement à Hachem, qui atteindra l’épanouissement total de son être, comme Eliahou HaNavi qui a même accédé à l’immortalité de son corps physique. Ainsi toute la gamme des sens du mot « ‘Haî » est représentée dans ce verset.

Rav Chalom Noa’h Bérézovski (Netivot Chalom, p. 81) souligne la contradiction apparente des deux interprétations du verset. Si le verset se réfère à la vie éternelle dans le Olam Haba, comme le rapporte Rachi, comment alors la Guemara peut-elle appliquer ce verset à la vie physique ?! Il répond qu’en réalité les deux niveaux se combinent, dans le sens où il faut accomplir les Mitsvot, avec « vie », avec toute sa personne.

Cette façon d’accomplir les Mitsvot est la racine et la source de l’existence dans le Olam Haba.

Le Sfat Emet (année 647) rapporte les paroles de son grand-père le ‘Hidouché HaRim, qui explique que le verset vient donner à l’homme la recette de l’existence : seuls les Tsadikim qui investissent tout leur intérêt dans l’accomplissement des Mitsvot de Hachem et Sa Torah « vivent » réellement. Les Rechaïm dont l’aspiration est centrée sur leurs appétits physique ne « vivent » que de « manger et boire ».

Le Sfat Emet souligne que la Torah accorde la « vie » dans la mesure de l’effort que l’homme fait pour centrer son existence sur la Torah et les Mitsvot.

Les Mitsvot accomplies de façon sèche et mécanique ne sont pas suffisantes !

Rav Eliezer Türk (Otsrotéhèm Amalé, p. 349) illustre cet enseignement du Sfat Emet par l’anecdote suivante que Rav Chakh répétait à de nombreuses occasions :

Cet épisode se situe à l’époque tragique des décrets du Tsar, qui visaient à déjudaïser les Juifs, d’une part en interdisant l’étude de la Torah, et d’autre part par le décret des « cantonistes », qui consistait à « enrôler » dans l’armée russe un contingent d’enfants Juifs soustraits à leur famille dès leur plus jeune âge, pour prétendument les préparer à un service militaire qui durerait lui-même 25 ans.

Un enseignant de haute qualité, Rabbi David, appelé « Rabbi David « l’aveugle », car il n’élevait jamais son regard au-delà de ses « quatre coudées », prodiguait son enseignement à un groupe de jeunes garçons, parmi lesquels ‘Haïm HaLévi Soloveitchik, (le futur Rav ‘Haïm de Brisk), fils du « Beth HaLévi », le Rav de Brisk. Au milieu de cette étude, un soldat qui passait par là perçut le bruit de l’étude qui s’élevait d’une cave. Il fit irruption, et, sidéré de l’audace de ce Juif qui bravait les Interdits, tendit la main et saisit un garçon pour l’entraîner à l’extérieur. Avant que quiconque dans ce sous-sol n’ait pu réaliser ce qui se produisait, Rabbi David jaillit de sa place, s’approcha du soldat et lui assena une gifle retentissante.

Un grand silence suivit son action, tous les enfants étaient persuadés que le militaire dégainerait son arme pour abattre Rabbi David sur place.

De façon surprenante, le soldat resta figé, puis s’enfuit de l’endroit, plein de honte ! Cette « action d’éclat » de Rabbi David était terriblement dangereuse. Au-delà du « suicide » qu’elle représentait de la part de son « héros », elle aurait pu mettre en péril toute la communauté.

De fait, le soldat, sidéré par l’audace de Rabbi David, non seulement ne songea pas à revenir, mais eut honte de raconter à ses camarades de caserne sa mésaventure humiliante, d’avoir été frappé par un « misérable petit Juif ». L’incident se conclut donc sans conséquences fâcheuses.

Toutefois le Rav rencontra ultérieurement Rabbi David et lui demanda avec étonnement d’où lui était venue l’audace de gifler le militaire, mettant ainsi en danger sa propre existence et celle de tous les Juifs de Russie ?! Rabbi David répondit qu’en réalité il n’avait pas prémédité son acte, mais le soldat avait fait irruption au milieu d’une question de Tossefot (commentaire sur la Guemara), et Rabbi David dit :  » lorsqu’il commença à entraîner l’enfant, j’étais au milieu de l’explication de la profondeur de cette question … Que pensait-il (le soldat) ?! qu’on allait lui permettre d’interrompre au milieu des paroles de Tossefot ?! Que pensait-il ?! qu’on le laisserait nous interrompre au milieu de la vie ?! « 

Rav Türk rattache cette anecdote aux paroles du Sfat Emet. Quelle plus belle illustration trouver d’un investissement à ce point profond qu’il dépasse tous les calculs de raison ?!

Il ne semble pas nécessaire de chercher des explications plus « rationnelles » de la profonde unité des sens de la « vie » apparemment « différents » exprimés dans ce verset.

Il est ainsi évident que ce passage constitue la « transition » naturelle entre la Avoda de Yom Kippour et les « restrictions » morales de la fin de la Paracha. Seul celui qui vit sous l’emprise de ses sens perçoit les règles de la Torah comme des contraintes. Cependant, celui qui vit dans le quotidien dans l’atmosphère profonde de la Torah, voit dans les détails du quotidien le prolongement naturel de Yom Kippour, et se sent en permanence dans le Kodèch HaKodachim.

La période du Omer dans laquelle nous « cheminons » depuis la Sortie d’Egypte à Pessa’h, au Don de la Torah à Chavouot, est particulièrement propice à une élévation progressive vers de tels sommets. Nous ne pouvons bien sûr pas « sauter les étapes ». Toutefois nous pouvons, et devons, chercher à vivre réellement !

Suivons la suggestion du Sfat Emet, et appliquons nos efforts à imprégner notre quotidien de l’atmosphère qui régnait dans la « cave » de Rabbi David !