Parasha – 14 VAYIGACH 5782

Après vingt-deux ans de séparation, Yaacov va enfin rejoindre son fils Yossef en Egypte.

Après que Yossef se soit enfin dévoilé à ses frères (Beréchit 45,1-15), la nouvelle se répand dans tout le palais de Par’o.

Par’o réagit avec enthousiasme à la découverte de la famille de Yossef.

Il dit alors à Yossef : “Dis à tes frères …et tu es ordonné (de leur dire) faites ceci : prenez pour vous du pays d’Egypte des chariots …” (17-20).

Lorsque les Chevatim (les fils de Yaacov) arrivent enfin chez leur père et lui annoncent le résultat de leur voyage, le verset dit : “Ils lui racontèrent en ces termes : Yossef est encore en vie, et il est le gouverneurde tout le pays d’Egypte ! son cœur était “tiède” car il ne les croyait pas. Ils lui dirent toutes les paroles de Yossef qu’il leur avait dites, et il vit les chariots qu’avait envoyé Yossef pour le porter ; et l’esprit de Yaacov leur père revécut” (45, 26-27). Plus loin la Torah dit : “Les enfants d’Israël portèrent Yaacov leur père … dans les chariots qu’avait envoyé Par’o pour le porter” (46,5).

Ces versets suscitent plusieurs questions :

En quoi ces chariots étaient-ils tellement importants pour que la Torah les mentionne à plusieurs reprises ?!

– Comment la seule vue des chariots avait-elle le pouvoir de convaincre Yaacov, alors que les paroles de ses fils n’avaient pas eu ce crédit ? (45, 27)

– Pourquoi ces chariots sont-ils qualifiés alternativement de chariots de Par’o et de chariots de Yossef ?

Nos maîtres proposent diverses réponses à ces questions.

Voyons-en certaines, sans prétendre à une étude exhaustive. 

Rabbi Yerou’ham Lévovitz fait la remarque suivante : (Daat Torah, p.261). Il est extraordinaire de constater que Yossef, qui possédait un immense pouvoir sur un pays richissime, ne prenait rien sans permission. Par’o en était à ce point conscient qu’il a eu besoin de lui donner ordre de prendre des chariots.

Pour aborder l’étude d’un verset, la première étape est, bien sûr, de consulter Rachi ! A propos des mots : “Toutes les paroles de Yossef” (45, 27), Rachi dit : “Il (Yossef) leur avait transmis un signe sur ce qu’il étudiait lorsqu’il l’a quitté (Yaacov) : la Paracha de la Egla Aroufa …”.

Il s’agit de la Paracha (Devarim 21, 1-9) qui décrit le processus que l’on accomplit lorsque le cadavre d’un homme assassiné est trouvé dans la campagne, et que le meurtrier n’est pas identifié.

Les Zekénim (Anciens) de la ville la plus proche doivent alors accomplir un processus dans lequel ils déclarent être innocents de sa mort. Bien sûr les Zekénim ne sont pas suspects de meurtre ! La responsabilité éventuelle dont ils doivent se dégager est de ne pas avoir accompagné cet homme à la sortie de leur ville, laissant l’impression que personne ne se souciera de sa disparition.

Le lien entre les Chariots et la Egla est que les deux mots s’orthographient pareillement en Lachone HaKodèch.” עגלה

En quoi ce message avait-il le pouvoir de convaincre Yaacov de ce que Yossef était encore en vie, plus que les autres détails que les Chevatim pouvaient lui rapporter ?

Nos ‘Hakhamim donnent diverses explications à ce sujet :

– Certains (Rav Yaacov Nééman (Darké Moussar, p. 92) et Rav Chimchon Pinkus (Tiféret Chimchon, p.424) entre autres) relient cela à une anecdote relative au Gaon de Vilna : Une femme vit se présenter à sa porte un homme qui prétendait être son mari qui l’avait quittée sans laisser de traces depuis de nombreuses années. Toutefois, elle ne reconnaissait pas là son mari, et se refusait à l’accueillir comme tel. L’affaire fut alors portée devant les Rabbanim. 

Les Rabbanim étaient perplexes, car l’homme citait force de détails intimes propres à l’identifier. La question fut soumise au Gaon de Vilna, qui dit de mener l’homme au Beth Haknésset afin qu’il leur désigne la place qu’il y occupait jadis. Cette épreuve démasqua l’imposteur auquel le mari avait transmis tous les détails dont il avait fait état. Devant l’étonnement face à cette heureuse issue de l’incident, le Gaon expliqua qu’au moment d’accomplir la grave Avéra (faute) d’amener son épouse à commettre involontairement un adultère avec le voyou qu’il envoyait à sa place, le mari n’avait certainement pas pu penser à un détail de Kedoucha comme sa place au Beth Haknésset.

De même Yossef voulait prouver à Yaacov par le détail de leur étude commune qu’il était bien son fils et non pas un imposteur.

– D’autres Commentateurs (Le Maguid MiDouvno, Ohel Yaacov ; Rav David Powarski, Yichmerou Daat, p.110 …) expliquent que Yossef voulait répondre à la crainte naturelle que Yaacov pouvait ressentir, que Yossef ait chuté de niveau pendant ses péripéties en Egypte. En évoquant le sujet d’étude qu’ils poursuivaient au moment de leur séparation, il lui montrait que ses préoccupations étaient toujours du même ordre.  

– Le Kli Yakar (45,27) explique que La Mitsva d’accompagner un voyageur peut être comprise à deux niveaux. Le premier est l’efficacité immédiate que nous avons vue plus haut, de procurer à l’homme une sorte de “protection” contre les agressions en lui manifestant de l’intérêt afin de dissuader les bandits de l’attaquer par crainte des poursuites. Le second niveau, propre au Peuple de Hachem, est d’accomplir la Mitsva, sans se préoccuper d’être efficace, juste au titre de la Mitsva de Hachem.

Or Yossef ne se contenta pas de donner à ses frères les chariots que Par’o leur destinait. Il les accompagna, en plus lors de leur départ (le mot “vayechala’h” (45, 24) utilisé par la Torah pour décrire le départ des Chevatim de chez Yossef ne signifie pas “envoyer” comme c’est souvent son sens, mais accompagner, comme dans le verset du départ d’Avraham de chez Par’o ; Beréchit 12,20).

Les chariots octroyés par Par’o, identifiables à tous, auraient certainement suffi à eux seuls à protéger les Chevatim de toute agression. En accompagnant ses frères au moment de leur départ, Yossef manifestait à Yaacov qu’il accomplissait la Mitsva comme un digne descendant des Avot, et non simplement comme un homme ayant de grandes valeurs morales.

Toutes ces explications ont en commun de nous montrer la grandeur de nos ancêtres, que ce soit les Avot (Patriarches), ou les Chevatim (Fils de Yaacov Avinou), dont les moindres gestes étaient dictés par les préoccupations les plus élevées.

Lorsque Yaacov retrouva son fils chéri, après vingt-deux ans de séparation, ce n’est pas un sentiment affectif primaire qui était en jeu, mais le sens même de l’Histoire de la Création qui se jouait là.

Souhaitons que les exemples merveilleux de nos ancêtres puissent nous inspirer, et que l’étude de la Paracha, chaque semaine, nous inspire et nous grandisse.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
Tel  France : 01 77 47 24 71   Israel : 05 33 12 24 36