Parasha – 132 Bechala’h 5784

בס”ד

La Paracha Bechala’h relate les péripéties de la Sortie d’Egypte et nous décrit l’arrivée des Bené Israël devant la Mer des Joncs (appelée aujourd’hui la Mer rouge).

Hachem a ordonné à Moché Rabénou de dire aux Bené Israël qui s’étaient avancés dans le désert de retourner vers l’Egypte, se plaçant ainsi entre l’Egypte et la Mer, afin d’induire Par’o en erreur (Chemot 14, 1-9). À la suite de cela, Par’o croit voir là le signe que les Bené Israël sont égarés et donc vulnérables et cela l’incite à les poursuivre avec tout son peuple.

Pris en tenaille entre la masse des égyptiens et la Mer, les Bené Israël sont dans une détresse majeure.

La Torah nous décrit (14, 10-14) leurs réactions et la réponse de Moché Rabénou :

“Et Par’o approcha ; et les Bené Israël levèrent leurs yeux et voici l’Egypte venait à leur poursuite, et ils eurent très peur. Et les Bené Israël crièrent vers Hachem. Ils dirent à Moché : est-ce par manque de tombeaux en Egypte que tu nous as pris pour mourir dans le désert ?! Que nous as-tu fait là de nous sortir d’Egypte ?! N’est-ce pas le propos que nous t’avons tenu en Egypte en disant : laisse-nous servir l’Egypte, car il est préférable pour nous de servir l’Egypte que nous ne mourrions dans le désert ! Et Moché dit au Peuple : N’ayez crainte ! tenez bon et voyez la délivrance de Hachem qu’Il vous fera ce jour, car comme vous avez vu les égyptiens aujourd’hui, vous ne les reverrez plus jamais ! Hachem combattra pour vous, et vous vous tairez !”

Comment comprendre cet épisode ?

– Que signifient les paroles des Bené Israël ?

– Quel est le sens de la réponse de Moché Rabénou ?

– Pour quelle raison Hachem les a-t-Il confrontés à cette épreuve ?

– Quel message cet épisode apporte t’il aux générations futures ?

Le Ramban interprète la phrase : “Et les Bené Israël crièrent vers Hachem” comme signifiant que les Bené Israël se tournèrent vers Hachem en priant qu’Il les sauve de cette situation sans issue.

Si tel est le cas, comment comprendre l’enchainement avec les “récriminations” contre Moché pour les avoir sortis d’Egypte ? Comment les mêmes personnes pourraient-ils avoir ces deux langages opposés : prier Hachem, et contester le bien-fondé de la démarche ?!

Le Ramban donne à cela diverses réponses :

– Ce ne sont pas les mêmes hommes qui ont manifesté les deux approches. Les uns se sont tournés vers Hachem, tandis que les autres se sont rebellés. Il distingue ainsi entre ceux qui sont définis par le terme “Bené Israël” qui représente la grandeur spirituelle, et le “peuple” qui est mentionné dans le verset (14, 31) “et le peuple, ils craignirent Hachem” après le sauvetage miraculeux. Pour ceux qui avaient récriminé, ce n’est qu’après l’épreuve et son dénouement heureux qu’ils en vinrent à une relation saine avec Hachem. (“Le peuple” désigne à plus d’un endroit dans la Torah le niveau inférieur parmi les Bené Israël dans le désert).

– Les Bené Israël avaient Emouna en Hachem, mais avaient des doutes sur la mission de Moché Rabénou.

– Dans un sens proche, le Ramban cite le Midrach (Mekhilta) qui dit : “Après qu’ils aient “mis le levain dans la pâte”, ils sont venus contester Moché Rabénou. Le Ramban explique que “le levain dans la pâte” désigne le “Yétser Hara” (le penchant pour le mal). C’est à dire qu’initialement, les Bené Israël ont prié Hachem qu’Il fasse repartir Par’o qui les poursuivait. Mais lorsque leur demande n’a pas été exaucée, une pensée mauvaise est entrée dans leur cœur de contester Moché Rabénou.

Rav Dessler (Mikhtav MeEliahou III, p.141) et Rav Yehouda Leib ‘Hassman (Or Yahel, I, p. 133, 137) développent dans le même sens, que l’Homme est fait de deux composantes opposées, la Nechama, de dimension spirituelle, et le corps, lié à la terre. Lorsqu’il maîtrise les élans matériels, l’homme voit clairement la présence de Hachem. Mais le moindre choc le fait basculer dans un regard matérialiste sur tout ce qui l’entoure.

C’est ainsi que les mêmes Bené Israël qui, l’instant d’avant, se tournaient vers Hachem, ont pu chuter instantanément et ne plus percevoir la dimension spirituelle de la Création. Rav ‘Hassman ajoute que de même que l’homme bascule facilement vers le bas, il a la possibilité de se ressaisir en un instant comme l’illustre la guerre contre Amalek à la fin de la Paracha (17,11) : “Et c’était lorsque Moché levait sa main , alors Israël l’emportait (en se tournant vers Hachem comme la main de Moché Rabénou les y appelait); et lorsqu’il relâchait sa main (et que les Bené Israël n’avaient plus ce rappel de Moché de se tourner vers Hachem …) alors Amalek l’emportait”.

Nous voyons ici une alternance permanente, qui est le modèle de ce qui se produit chez tous et chez chacun tout au long de l’existence. A charge pour nous de retenir cette leçon précieuse …

Dans un autre paragraphe de la Mekhilta (2, 13), nos ‘Hakhamim expliquent les paroles de Moché Rabénou comme s’adressant à quatre groupes d’attitudes différentes :

* Les uns suggéraient de se jeter dans la mer. Moché leur dit : “Tenez-vous et voyez le sauvetage de Hachem” ; c’est-à-dire “restez sur place ! ne vous jetez pas dans la mer”.

* D’autres suggéraient de retourner en Egypte. Moché leur répondit : “Car comme vous avez vu les égyptiens aujourd’hui, vous ne les reverrez plus jamais !

* À ceux qui voulaient combattre les égyptiens, Moché dit : ” Hachem combattra pour vous”

* À ceux qui voulaient “crier face aux égyptiens”, Moché dit ” et vous vous tairez”.

Il est possible que leurs “cris” désignent la prière adressée à Hachem ; dans ce cas, la réponse de Moché Rabénou qui leur enjoint de se taire parait surprenante !  

Toutefois, Rav Tsvi Shraga Grossbard (Daat Shraga, Chemot, p.93) explique que leur prière n’a pas été exaucée parce qu’ils définissaient dans leur prière la manière dont ils escomptaient l’Intervention Divine, faire repartir Par’o sur ses pas.

Ce n’est pas à l’homme de “dicter” à Hachem les solutions ! L’homme doit s’en remettre à Hachem sur la dimension qu’Il décidera de donner à Son intervention pour l’aider dans sa détresse.

Et si les cris dont il s’agit signifient “crier pour effrayer les égyptiens” et les faire fuir, alors cela s’apparenterait à ceux qui voulaient combattre. (Dans le sens moderne, ça ressemblerait à toutes les démarches “diplomatiques” pour défendre nos intérêts dans les instances politiques dans le monde. Il est évident qu’il faut agir dans le domaine “naturel” tant que Hachem ne nous montre pas Ses interventions miraculeuses, mais uniquement dans un sens “concret” et non simplement “politique” …)

L’attitude la plus surprenante est celle qui suggérait de retourner en Egypte.

Rav Moché Ye’hiel Epstein (Beér Moché, Chemot p. 368) remarque que ceux qui ont dit : “N’est-ce pas la chose que nous t’avons dit en en ces termes : laisse-nous, et que nous servions l’Egypte …” étaient Datan et Aviram. Ces deux hommes étaient ceux que Moché Rabénou avait séparés alors qu’ils se querellaient (Chemot 2, 11-15) et l’avaient dénoncé à Par’o pour avoir tué l’égyptien.

À la suite de cet incident, Moché avait dû s’enfuir pour échapper à la mort.

Ces mêmes individus poursuivirent leur démarche de déstabilisation tout au long du périple des Bené Israël. Après avoir interpellé Moché Rabénou à la sortie de son intervention auprès de Par’o (5, 20-21), ils restèrent en arrière à la sortie d’Egypte (Targoum Yonathan Ben Ouziel, Chemot 14, 3), et ne rejoignirent les Bené Israël que pour les déstabiliser en mission pour Par’o. Ils finirent leur parcours lors de la contestation de Kora’h (Bamidbar 16, 1-33).

Rav Epstein souligne que tout au long de leur “carrière”, ils prétendaient chercher le bien des Bené Israël.

Le Beér Moché conclut qu’à toutes les générations il se trouve des “dirigeants” qui incitent les Bené Israël à se détourner des guides valables (fidèles à Hachem) sous prétexte de “nationalisme” et de préoccupation pour l’intérêt d’Israël, soi-disant…

Rav Meïr Sim’ha HaCohen (Mechekh ‘Hokhma, Chemot 14, 14) commente les paroles de Moché Rabénou “Hachem combattra pour vous, et vous vous tairez !”. Il cite ce Midrach (Mekhilta, 2, 14) : “non seulement à ce moment uniquement Il combattra pour vous, mais toujours Hachem combattra vos ennemis” !

Il explique que Moché Rabénou a dit ainsi aux Bené Israël que non seulement maintenant, où ils avaient un argument pour solliciter l’intervention de Hachem pour donner un sens à leur sortie d’Egypte, mais même aux époques où ” vous vous tairez”, c’est-à-dire que vous n’aurez aucun argument pour soutenir votre demande, et que vous aurez honte face à Lui, Hachem combattra pour vous.

Rav Chimchon Pinkus (Tiférèt Chimchon) développe que : “et vous vous tairez” veut dire : “se taire de conversations et de préoccupations permanentes sur les craintes de la guerre, et les évaluations sur la situation, car maintenant c’est le temps de la Techouva, de la Tefila et de la Tsedaka, et particulièrement du renforcement dans l’étude de la Torah ! Et si vous faites ainsi, alors “Hachem combattra pour vous”.

Cette Paracha n’est donc pas “du passé”, ni un simple récit historique !

Nous avons là un message précieux dans les moments d’inquiétude et d’incertitude tant individuellement que collectivement : ne cédons pas aux tentations de prendre notre destin dans nos mains, comme certains le répètent inlassablement dans les dernières générations. Il faut certainement agir dans chaque situation avec les moyens “naturels” que Hachem nous accorde, tout comme nous devons nous alimenter et agir pour obtenir les besoins de subsistance. Mais ne pas basculer à “idéaliser” notre force face aux épreuves, et savoir n’accorder notre confiance qu’aux Grands de la Torah, en suivant leurs décisions.

“Hachem combattra pour vous, et vous vous tairez !”.

שבת שלום – Chabbat Chalom !