Parasha – 130 Vaéra 5784

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A la fin de la Paracha Chemot, Moché Rabénou demande à Par’o au nom de Hachem de libérer les Bené Israël. Par’o durcit alors ses positions face aux Bené Israël (Chemot 5, 1-18). À la suite de cela, Moché Rabénou dresse un “constat d’échec” apparent de sa mission (5, 22-23).

La Paracha Vaéra entame un nouveau “départ” dans le processus de la Sortie d’Egypte.

Hachem annonce à Moché Rabénou le début réel de la réalisation de la Gueoula (Délivrance) (6, 2-13).

A cette étape, la Paracha se livre à une longue digression généalogique sur les trois premiers Chevatim (Tribus), Reouven, Chimon et Lévi (6, 14-25). Cette interruption au milieu de la description des étapes de la Gueoula est étonnante. Quelle est la place du développement généalogique juste à cette étape du récit de la Gueoula ?

Le Ramban explique que le but est de souligner ici la grandeur de Moché et Aharon.

C’est pourquoi la Torah ne s’étend pas en détails sur les deux premiers Chevatim, Reouven et Chimon, mais s’attarde abondamment sur les générations de Lévi, la Tribu dont Moché et Aharon sont issus.

Sforno dit que l’objectif est de montrer combien le choix de Moché et Aharon pour être les messagers de Hachem pour diriger le Peuple d’Israël était justifié. La Torah souligne ici qu’Ils étaient les hommes les plus dignes du Peuple pour être les messagers de Hachem et diriger le Peuple d’Israël.

Aucun membre issu de la descendance de Reouven et Chimon les deux premiers Chevatim “aînés” ne manifesta une personnalité qui méritait d’être soulignée par son nom.

C’est pourquoi seuls ceux de ces familles qui sont descendus en Egypte avec leurs ancêtres, Reouven et Chimon eux-mêmes, inclus dans les 70 personnes de la maison de Yaacov sont cités dans la Torah.

En revanche, Lévi, qui vécut après tous ses frères, puis son fils Kehat et son petit-fils Amram, qui eurent droit comme lui à une longévité exceptionnelle (Chemot 6, 16 ; 18 ; 20), élevèrent leurs descendants dans la grandeur de la transmission de la Torah héritée des Avot (nos Patriarches). C’est de cette grandeur qu’émergèrent Moché et Aharon.

Sforno souligne que la Torah mentionne également Elichéva, l’épouse d’Aharon, sœur de Na’hchon Prince de la Tribu de Yehouda, personnage remarquable de sa génération, et leur couple mit au monde ceux qui furent les têtes de la génération, appelés à devenir les Cohanim œuvrant dans le Michkan (Tabernacle).

La Torah mentionne encore Elazar, fils d’Aharon, et son épouse fille de “Poutiel”, de laquelle naquit plus tard Pin’has qui mérita l’alliance de “Chalom” pour avoir sauvé le Peuple entier par son intervention lors de la faute de Chitim (Bamidbar 25, 1-8).

Ce développement attire notre attention sur la “qualité” particulière des deux guides choisis par Hachem pour présider à cet évènement grandiose de la Délivrance des Bené Israël d’Egypte, qui devait aboutir à la révélation au Mont Sinaï et au don de la Torah.

Un tel moment ne pouvait pas être accompagné par des personnages “quelconques” !

Rav Chimchon Raphaël Hirsch adopte une autre démarche dans son analyse de ce passage. Il remarque que la Torah ne s’est pas contentée de citer la généalogie de Moché et Aharon. Elle passe en revue brièvement les deux Chevatim de Reouven et Chimon qui précèdent le leur. En plus, dans leur Tribu elle-même (Lévi), la Torah développe les branches secondaires, les oncles et leurs enfants (6, 17 ; 19 ; 21 ; 23-25).  Rav Hirsch explique que la place de ce développement est ici, à la jointure entre les débuts de la mission de Moché et Aharon qui ont “échoué” totalement dans leur démarche face à Par’o, et l’amorce du cheminement qui va aboutir de façon éclatante.

Il explique que si ce n’était les évènements qui vont se réaliser à partir de maintenant, cette digression généalogique n’aurait pas été nécessaire. Mais face à un rôle exceptionnel, tel qu’aucun mortel avant ou après eux n’y accèdera, la Torah doit souligner leur dimension humaine. Il faut témoigner face à toutes les générations que Moché et Aharon étaient des êtres humains tout à fait “ordinaires”.

Il fallait contrer tout risque de “divinisation”, comme cela s’est déjà produit dans l’antiquité, sans parler de l’exemple plus récent dont la remise en question de la soi-disant origine divine a donné lieu à des persécutions sans limites !

“Notre” Moché était un homme, et est resté pour toujours un homme, et alors qu’il avait déjà amené la Torah sur terre, et que son visage resplendissait de cet éclat, Hachem lui a ordonné d’écrire sa propre généalogie dans la Torah ! Tous connaissaient sa famille, ses oncles, tantes et cousins. Cela faisait alors 80 ans qu’il était bien connu comme un être “de chair et de sang”, soumis à toutes les contingences de la nature humaine.

Rav Hirsch souligne un autre but de ce développement généalogique, diamétralement opposé : il s’agit d’écarter l’idée, elle aussi répandue plus tard, que n’importe quel homme, sans exception, même le plus inculte ou déséquilibré, peut accéder du jour au lendemain à la Nevoua (Prophétie). L’humanité a abondamment développé cette croyance que les délires “pseudo prophétiques” d’un déficient mental témoigneraient d’une mission divine !

La description des générations aboutissant à Moché Rabénou vient réfuter également cette élucubration dangereuse. Hachem choisit soigneusement Son messager !

Il trie dans les Chevatim, puis au sein de la Tribu de Lévi, pour aboutir aux personnages les plus aptes et exceptionnels dans leur construction personnelle.

En dehors de ces considérations généalogiques, et de “terrain” familial propice, la Torah nous dévoile fort peu de détails sur la construction personnelle de Moché Rabénou avant son accession à cette mission grandiose d’accompagner les Bené Israël de la Sortie d’Egypte au Don de la Torah.

Mis à part son sauvetage miraculeux à la naissance, lorsque sa mère, Yokhéved, dut le déposer dans un panier sur le Nil, d’où Batia, la fille de Par’o le “récupéra” pour l’élever dans le palais même de Par’o, la Torah nous confie fort peu d’éléments. Elle ne nous décrit pas les premières années de la vie de Moché auprès de ses parents, Amram et Yokhéved, à qui Batia la fille de Par’o l’avait confié pour l’allaiter. La Torah ne nous dévoile pas comment il reçut le ‘Hinoukh (formation) de son père Amram, alors qu’il évoluait dans le palais de Par’o. Ce ne sont pas de tels détails qui sont marquants. Bien sûr, ce n’est pas de Par’o que Moché Rabénou a “absorbé” la Yir’at Chamaïm (la “Crainte du Ciel”) qui a dirigé tous ses pas. Pour nous enseigner cela, la Torah se contente d’énumérer les générations de Grands de notre Peuple qui ont abouti à la naissance et à l’évolution “d’un Moché” !

La Torah nous rapporte deux faits marquants dans son parcours :

– L’évènement qui causa sa fuite d’Egypte, lorsque Moché Rabénou tua un égyptien qui s’acharnait sur un Ben Israël (2, 11-15)

– Et immédiatement à la suite de cet épisode, la Torah enchaîne (16-22) sur le sauvetage des filles de Yitro persécutées par les bergers, et l’entrée de Moché Rabénou dans la famille de Yitro.

Or de nombreuses années s’étaient écoulées entre ces deux faits !

Le point commun entre ces deux évènements est l’élan (bien sûr réfléchi et pas impulsif …) pour réagir à une injustice !

Notre maître, Rav ‘Haïm Yaacov Rottenberg, zatsal, expliquait ainsi le terme : “Nééman” (fiable-fidèle) choisi par Hachem (Bamidbar 12, 7) pour définir la qualité exceptionnelle de Moché Rabénou face à l’étonnement de Aharon et Myriam sur son comportement “étonnant” (Bamidbar 12, 1-16). Moché Rabénou tua l’égyptien car il ne pouvait pas rester insensible face à un comportement inique.

Cet acte eut pour conséquence qu’il dut prendre la fuite pendant de nombreuses années pour échapper aux poursuites de Par’o qui l’avait condamné à mort. (Imaginons la situation actuelle de quelqu’un qui serait recherché par la CIA à travers le monde entier …).

On pourrait s’attendre que Moché Rabénou ait “appris la leçon” de ce que son action lui avait causé comme catastrophe personnelle, et qu’il ne “se mêlerait plus des affaires des autres” !

Au lieu de cela, lorsqu’il arrive à Midian et voit les bergers molester les filles de Yitro, Moché Rabénou “récidive” et intervient pour les sauver de leurs agresseurs. C’est cette fidélité à une valeur qu’il a acquise en lui qui lui vaut le qualificatif que Hachem lui attribue “Nééman” !

Et c’est cette constance dans ses principes de vie qui le place au-dessus même de Neviim exceptionnels comme son frère Aharon et sa sœur Myriam. (Non qu’ils manquent eux-mêmes de constance ; mais du fait que cette qualité a atteint chez Moché Rabénou un sommet inégalable …).

Rav Avigdor Miller (recueil Torat Avigdor, Parachat Chemot) souligne une autre “préparation” de Moché Rabénou à sa dimension exceptionnelle. Il remarque que la majeure partie de la vie de Moché Rabénou s’est déroulée dans la solitude, fuyant les poursuites de Par’o, puis faisant paître les troupeaux de son beau-père Yitro.

Il souligne que telle fut également l’existence de David HaMélekh jusqu’à ce qu’il soit nommé Roi d’Israël. Rav Avigdor explique qu’ainsi l’un comme l’autre échappait à la “pollution” des contacts “sociaux” qui entrainent l’homme dans les conversations futiles. Ce n’est qu’en “prenant du recul” et en méditant longuement dans la solitude que l’Homme peut développer son contact intime avec Hachem qui est l’essentiel de l’existence.

Rav Avigdor Miller développe que chaque instant peut, et doit être dédié à la reconnaissance des bienfaits de Hachem et au “dialogue” avec Lui. C’est ce que Moché Rabénou, et plus tard, David HaMélekh, ont su vivre pleinement.

Il ne s’agit évidemment pas d’idéaliser le mythe de l’ermite drapé d’un pagne sur sa montagne dans l’Himalaya, ni l’image bucolique du berger berçant ses troupeaux du son de sa flûte. Il n’est question ici que du recul indispensable face au torrent d’insanités qui accompagne inévitablement toute rencontre entre personnes autrement que pour se tourner vers Hachem dans un contact permanent exclusif.

L’association de l’héritage des générations de Tsadikim qui ont eu à cœur de transmettre leur acquis à leurs descendants, et du travail personnel inlassable pour enraciner en lui les qualités qui l’attacheraient à Hachem ont abouti au Guide Unique dans l’Histoire apte à mener les Bené Israël du fond de l’abime de l’Egypte au sommet de la Révélation de Hachem au Har Sinaï.

Tous ces éléments nous enseignent les qualités qui font un vrai Grand apte à guider sa génération.

Le Rambam (Michné Torah Hil. Techouva, 5, 2) dit que “chacun est apte à être Tsadik comme Moché Rabénou …”. Il n’est pas possible d’accéder à la Nevoua comme Moché Rabénou, comme la Torah le conclut (Devarim 34, 10). Mais chacun peut développer ses potentialités intérieures comme Moché Rabénou a mis en valeur les siennes.

Chacun de nous peut, et doit, consacrer son énergie à développer le capital spirituel que Hachem a mis en lui, jusqu’à atteindre la perfection maximum et la constance dans les qualités qu’il possède potentiellement.

La Torah nous montre dans ce passage la “recette” de la Gueoula collective.

Et il nous appartient d’appliquer la même recette à notre Gueoula “individuelle”, de laquelle émergera la Gueoula collective que nous attendons tant !

 Chabbat Chalom !