Parasha – 128 Vaye’hi 5784

בס »ד

Voici enfin Vaye’hi, la dernière Paracha du Séfer Beréchit, que le Ramban a défini dans son introduction au Séfer Chemot comme étant le livre de la « formation ».

De même que la description de la Création dans la Paracha Beréchit constitue la base de l’Histoire du Monde, ainsi toutes les Parachiot consacrées aux Avot (nos Patriarches) et aux Chevatim (les fils de Yaacov Avinou, ancêtres des Tribus d’Israël) constituent les fondements de l’Histoire du Monde.

La Paracha Vaye’hi s’achève sur les dernières recommandations que Yossef HaTsadik adresse à ses frères.

Il leur dit : « Je mourrai, et Dieu « Pakod Yifkod » (se souvenir, se souviendra) de vous, et Il vous fera monter de ce pays vers le pays qu’Il a promis à Avraham, à Its’hak et à Yaacov (Beréchit 50, 24).
Yossef soumit les Bené Israël à un serment en disant : « Pakod  » (se souvenir), Dieu  » Yifkod » (Se souviendra) de vous, et vous monterez mes ossements d’ici ! »

Cette conclusion est significative, car il n’y a rien de fortuit dans la Torah. Cette « jointure » entre ce que le Ramban (voir son introduction au Séfer Chemot) appelle le « livre de la « Yetsira » (formation), création initiale du Monde ainsi que « Yetsira » de chaque créature, puis les évènements des Avot (Patriarches) qui étaient comme la « Yetsira » pour leur descendance … », et le Séfer Chemot  » au sujet de la première Galout (l’Exil) qui a été décrétée explicitement, et la Gueoula d’elle  » (la première Galout, en Egypte), demande à être analysée.

Ces mêmes termes « Pakod Yifkod », se retrouvent dans la Paracha Chemot (Chemot 3, 16), lorsque Hachem donne mission à Moché Rabénou d’être le « messager » de la Gueoula (la Délivrance). Hachem dit alors à Moché Rabénou de s’adresser aux « Anciens » d’Israël et de leur dire en Son Nom : « Pakod Pakadti » (Me souvenir, Je Me suis souvenu) de vous et de ce qui vous est fait en Egypte ». Hachem annonce ici à Moché qu’en entendant ce message, les Anciens écouteront et s’associeront à sa démarche première auprès de Par’o, le Roi d’Egypte.
Rachi (3, 18) se base sur le Midrach (Chemot Rabah, 3, 11) et explique que les Anciens l’écouteront car ce signe leur a déjà été transmis par Yossef au nom de Yaacov Avinou que c’est dans ces termes ils seront délivrés de la Galout.
Le Ramban s’étonne que si ce « signe » a été transmis au fil des générations, Moché Rabénou peut également l’avoir entendu. En quoi, est-ce alors une preuve qu’il s’agit d’une mission de Hachem ?! Et comment ce signe doit-il garantir les Bené Israël contre un imposteur (comme il y en a eu tant au fil de notre Galout, qui se prétendaient Machia’h …) ?!

Le Ramban donne deux réponses très différentes :

– Les Anciens avaient reçu une Nevoua (Prophétie) de Yaacov transmise par Yossef que le premier homme qui apporterait ce message serait le véritable envoyé de Hachem. C’était une promesse de Hachem qu’il n’y aurait pas d’imposteur.

– Toutefois le Ramban cite un autre Midrach (Beréchit Rabah, 5, 1) selon lequel Moché Rabénou a dû quitter l’Egypte (à la suite de l’épisode où il a tué l’égyptien 2, 11-15) à l’âge de 12 ans, afin qu’il ne puisse pas être soupçonné, lorsqu’il viendrait accomplir sa mission, d’avoir entendu de son père Amram le « code » de la Gueoula. Cette Nevoua n’était transmise qu’aux « Anciens » des Bené Israël, et n’avait pas pu parvenir à ses oreilles.

Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat Torah, Chemot, p.18) explique différemment ce Midrach.

Selon lui, il ne s’agit pas d’amener les Bené Israël à « croire » Moché Rabénou. Le sens de cette expression de « Pakod Pakadti » est que la Gueoula résulte directement de la Mida (conduite du Monde) de « Ra’hamim », qui est une émanation du « Chem HaMeyou’had » (Le Nom « Unique ») Qui représente la Volonté de Hachem dans la Création. Ainsi, il n’y a pas place à une quelconque imposture, car Moché Rabénou ne vient pas « s’authentifier », mais expliquer aux Bené Israël le sens de l’intervention Divine qu’il annonce.

Rabbi Yerou’ham ajoute (Daat Torah, Chemot p. 19) que la Gueoula d’Egypte est liée à la Emouna, et que réciproquement, la Gueoula mène à la Emouna. Il rapporte les paroles du Roch : « car celui qui n’a pas Emouna dans « Qui t’a fait sortir du pays d’Egypte », même dans « Je suis Hachem ton Dieu », il n’a pas Emouna » (Or’hot ‘Haïm, 26).

« As-tu attendu la Délivrance » ?

Rabbi Yerou’ham dit que tout le but de la Sortie d’Egypte, avec tous les signes, les prodiges et les 10 Makot (Plaies) que Hachem a amenées sur Par’o et l’Egypte sont venus exclusivement pour amener les Bené Israël à la Emouna « ressentie », c’est-à-dire non-pas simplement « conceptuelle », mais « vécue ».

Il ajoute (p.20) en citant les paroles de Rabénou Its’hak de Corbeil, parmi les Baalé HaTossefot (‘Hakhamim des générations qui suivirent l’époque de Rachi) (Sma »K, Séfer Mitsvot Katane, Mitsva 1) : « Savoir que Celui Qui a créé les Cieux et la Terre, Lui seul gouverne « en Haut et en Bas etc. … Et Il nous a sortis d’Egypte et nous a fait tous les prodiges … et de cela dépend la question qu’on pose à l’homme après la mort, au moment de son jugement :

Or, où cette Mitsva (d’attendre la Gueoula) est-elle écrite ?! Mais manifestement ça dépend de cela (la Emouna dans la sortie d’Egypte) ! Tout comme nous devons avoir la Emouna qu’Il nous a sortis d’Egypte, comme il est écrit « Je suis Hachem ton Dieu Qui t’a sorti … » et dans la mesure où c’est un des 10 Commandements, c’est une Mitsva d’avoir cette Emouna, ainsi Je veux que vous ayez la Emouna que Je suis votre Dieu et que Je vous rassemblerai et vous sauverai. »

Il reste que ces mots « PaKod Pakadti » ou ceux de Yossef : « Pakod Yifkod » ne peuvent pas être un simple « code » ! Il faut donc comprendre en quoi ils représentent ces notions élevées de Emouna.

Rav Chalom Noa’h Bérézovski (Netivot Chalom, Beréchit, p. 322) cite la question des Commentateurs sur la répétition du verbe dans ces deux mots.
De plus, quel est le sens de la Gueoula d’Egypte que nos ‘Hakhamim ont définie comme réalisée « non pas par un Mal’akh (« Ange ») etc… mais par Hachem Lui-même … » ? Les Mal’akhim eux-mêmes ne sont que des émissaires de Hachem ! Qu’y a-t-il de particulier ici ?!

Rav Bérézovski répond que normalement, la Gueoula peut, se réaliser sous deux « modèles » : « Be’itah » (à son moment) ou « A’hichèna » (Je la « précipiterai »). C’est-à-dire que la Gueoula est appelée à venir soit à une échéance ultime fixée par Hachem, même sans mérites de notre part, soit « précipitée » par nos mérites avant l’échéance ultime. Mais en Egypte, aucune des deux options n’était présente, car nous n’avions pas de mérites justifiant la Gueoula. La raison de l’intervention de Hachem était l’urgence due au niveau désespéré des Bené Israël, au seuil de sombrer dans la Toum’a (l’impureté) des égyptiens.

Toutefois, même une initiative « unilatérale » de Hachem, sans mérites de notre part, nécessite un minimum d’éveil « d’en bas », de l’Homme. Cette participation pour déclencher l’intervention « d’en Haut », c’est la Emouna du Juif dans une telle démarche de Hachem. C’est là le double terme de « Pakad » qui est mentionné ici : les Bené Israël sont arrivés à la double prise de conscience que Hachem veut les aider au-delà de toute « logique » de mérite, et qu’Il voit leur niveau inférieur et qu’il n’est que temps de les sauver avant un « naufrage » irréparable.

C’est là le sens du message adressé à Par’o : « Ainsi a dit Hachem : Israël est mon fils « Bekhor » (premier-né) ! » (Chemot 4, 22). Pour souligner que les Bené Israël ne sont pas de simples esclaves, mais des « fils de Roi » qui ont donc « droit » à un traitement particulier.

Rav Bérézovski ajoute que la même démarche s’applique à la Galout (Exil) personnelle de chaque Juif. Lorsqu’il se voit indigne de l’aide de Hachem, la solution est la Emouna que Hachem l’aime au-delà de toute considération et veut l’aider dans sa lutte contre le Yétser Hara (le Penchant pour le Mal).

Telles étaient les notions profondes d’amour illimité de Hachem que la Nevoua de Yaacov Avinou véhiculait dans le message que Yossef transmit à ses frères par les mots « Pakod Yifkod » qui devaient servir de signe pour le messager de la Gueoula à venir.

Mais quelle était la spécificité de Yossef qui lui valut ce rôle particulier parmi tous les Chevatim (les fils de Yaacov Avinou, ancêtres des Tribus d’Israël) ?!

Nos ‘Hakhamim (Mekhilta Bechala’h, introduction) décrivent ainsi la démarche des Bené Israël tout au long de leur séjour dans le désert : « Le Aron (cercueil) de Yossef cheminait avec le Aron de Hachem (contenant les Lou’hot des Asséret HaDibrot – les 10 Commandements). Les passants leur disaient : « Quelle est la place d’un mort (le Aron de Yossef) pour qu’il aille de concert avec le Aron du « ‘Haï HaOlamim » (Hachem Qui fait vivre les Mondes) ?! « .

Et ils leur répondaient : « Celui qui repose dans cet Aron a accompli ce qui est écrit dans cet Aron… ! La grandeur exceptionnelle de Yossef sert de garantie à tout le Peuple de Hachem, au point que la Mer s’est fendue face à son Aron (Midrach Tehilim, 114) comme nous le lisons dans le Hallel : « La Mer a vu et s’est enfuie ! ».

Il ne s’agit pas ici d’un « joker » que l’on brandit pour « se tirer d’affaire » ! Nos ‘Hakhamim nous ont enseigné que les Bené Israël sont restés purs de tout comportement moral indigne en Egypte par le mérite de Yossef qui avait su résister aux avances de la femme de Potifar (Beréchit 39, 7-12), même au péril de sa vie.

La Emouna n’est pas une simple conception philosophique !

C’est un vécu profond qui doit être « cultivé » et soigné jusqu’à parvenir à la vivre dans les moindres instants de l’existence, favorables ou difficiles. Cette Emouna s’exprime aussi bien dans le comportement moral que dans les relations sociales. Comme le développe Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat Torah Beréchit, p.218), La Emouna est la stabilité inaltérable du comportement qui ne peut s’acquérir que par le vécu permanent du contact avec Hachem.

C’est là la « Pekida » (le souvenir) de Hachem sur chacun de nous, qui dépend en réalité de notre disponibilité à la ressentir profondément. Chacun de nous est en cela l’héritier de Yossef qui nous a précédés dans le creuset d’Egypte pour nous ouvrir la voie.

 Chabbat Chalom !