Parasha – 126 Assara BeTévèt 5784

בס »ד

Jeûne du 10 Tévet 

Ce vendredi, 10 Tévet, nous jeûnons pour raviver le souvenir du début du siège de Yerouchalaïm par Nevou’hadnétsar, le Roi de Bavel, qui a mené à la destruction du premier Beth HaMikdach (Temple).

C’est le premier dans la chronologie des quatre jeûnes que les ‘Hakhamim ont institués en rapport avec la destruction des deux Beth HaMikdach.

Les trois autres jeûnes sont :

– Le 17 Tamouz, l’entrée des ennemis dans Yerouchalaïm, (le 17 correspond au second Beth HaMikdach, pour le premier c’était le 9 Tamouz – Tour Ora’h ‘Haïm, 549).

– Le 9 Av, prise du Beth HaMikdach, suivie de sa destruction (les deux Beth HaMikdach)

– Tsom Guedalia (le Jeûne du 3 Tichri) jour de l’assassinat de Guedalia que Nevou’hadnétsar avait nommé comme Gouverneur sur les juifs restés après la destruction du premier Beth Hamikdach et la Galout (Exil) à Bavel (Babylonie).

De prime abord, le jeûne du 10 Tévet revêt à nos yeux une importance moindre, face à la catastrophe finale de la destruction du Beth HaMikdach et à la Galout qui s’ensuivit. Et même le jeûne de Guedalia, qui souligne l’achèvement de la catastrophe avec la déportation du reste des Juifs, « parle » plus à notre cœur que le 10 Tévet qui n’est que le premier cran dans l’annonce de notre malheur.

De plus, la gravité des règles liées à la période depuis le 17 Tamouz jusqu’au 9 Av, avec des contraintes croissantes sur notre quotidien vient renforcer l’impression que le 10 Tévet est, finalement, un jeûne secondaire.

Toutefois le fait que ce jeûne puisse tomber la veille de Chabat, ce qui ne peut jamais être le cas selon le calendrier pour aucun des quatre autres jeûnes dédiés à la destruction du Beth Hamikdach (Maguen Avraham sur Choul’han Aroukh 549, 5), attire notre attention sur sa particularité.

Le Beth Yossef (Tour Ora’h ‘Haïm, 550) rapporte au nom de Rabbi David Aboudraham que si le 10 Tamouz avait pu tomber Chabat, à la différence des trois autres jeûnes qui sont repoussés au lendemain, on n’aurait pas pu le repousser car le verset de la Nevoua (Prophétie) de Ye’hézkel (24, 2) le définit par « ce jour-même » !

Nous voyons là que ce jeûne revêt une importance particulière, même si elle ne se concrétise pas réellement par une gravité de ses règles.

De plus, le Choul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm 580) énumère une liste de jours où il « conviendrait » de jeûner pour les malheurs qui s’y sont produits. Ces jeûnes ne sont généralement pas suivis, mais leur « empreinte » reste présente dans la conscience de notre Peuple, et ils peuvent même être rappelés dans nos Tefilot (Prières). C’est le cas des 8 et 9 Tévet qui sont mentionnés dans les Seli’hot récitées le 10 Tévet dans les texte Achkenaz. Le Choul’han Aroukh explique chacun des jours qu’il mentionne. Pour le 8 Tévet, il dit que c’est le jour où la traduction de la Torah en Grec a été achevée, à l’époque de Talmaï (Ptolémée, le Roi Hellénique d’Egypte qui avait fait traduire la Torah par des ‘Hakhamim).

C’est ce qui est appelé la « Bible des Septante » (70) du fait que Talmaï réunit et obligea par ruse 72 Sages à lui traduire la Torah en Grec pour sa Bibliothèque à Alexandrie. Il réunit ces 72 Hakhamim, puis les enferma chacun dans une maison séparée, et seulement alors dévoila à chacun son exigence (Guemara Meguila 9a). Le but de Talmaï dans son procédé était d’empêcher toute connivence entre les ‘Hakhamim pour occulter quoi que ce soit de la Torah. Ils changèrent toutefois chacun séparément la formulation de certains versets qui auraient pu prêter à confusion, et Hachem leur inspira à tous les mêmes modifications mineures. Cette œuvre pourrait sembler innocente, sinon même bénéfique par l’enseignement de la Torah aux nations. Toutefois, le Choul’han Aroukh ajoute qu’il y eut trois jours de ténèbres dans le monde à cause de cette traduction.

Nos ‘Hakhamim qui abordent ce sujet soulignent de manière diverse la catastrophe que causa cette œuvre.

Dans la Beraïta cette catastrophe est comparée à la faute du Eguel (le Veau d’or) (Sofrim 1, 7 ; imprimée dans les Guemarot après la Massékhèt Avoda Zara).

Rav Avigdor Miller développe abondamment les conséquences néfastes de cet évènement. Il cite la Beraïta ci-dessus, et explique que de même que les intentions de ceux qui firent le Eguel étaient positives (pour donner une représentation perceptible de la proximité de Hachem à Son Peuple), mais entraina un malheur, de même cette traduction qui aurait pu sembler favorable comme enseignement de la Torah aux nations a causé un dommage considérable à l’honneur de la Torah (Am Segoula II, paragraphes 227-228).  Cela donna accès aux non-juifs à la Torah et aux textes des Neviim (Prophètes).

Les non-juifs se servirent de leur lecture faussée pour y trouver confirmation de conceptions opposées au sens réel de la Torah. Au fil du temps, cette dérive s’étendit malheureusement à certains Juifs.

Les remontrances des Neviim exprimées dans le langage particulier de la Torah qui « grossit » chaque manque pour en faire comprendre la gravité spécifique relative au Peuple de Hachem qui se doit d’être au seuil de la perfection, furent « comprises » à plaisir au sens littéral afin de noircir les Bené Israël.

Ce n’est que grâce à son herméticité que la Torah Orale échappa à la malveillance (jusqu’aux générations récentes où des renégats vinrent la dénigrer sous couvert de démarche intellectuelle …)

Rav Its’hak Hutner souligne le fait que la Torah Orale soit restée délibérément orale afin qu’elle reste l’apanage du lien privilégié d’Israël avec Hachem, et que les nations ne se l’accaparent pas, comme ça a été le cas pour la Torah écrite (Pa’had Its’hak, ‘Hanouka, 1).

Même après que la Galout avec ses difficultés ait conduit à l’écriture de la Michna, puis de la Guemara, les ‘Hakhamim ont eu soin de conserver à la Torah orale sa part de « secret » qui nécessite la transmission orale pour y accéder réellement.

En ce qui concerne le 9 Tévet, le Tour ainsi que le Choul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm, 580) disent que le malheur qui s’y est produit n’est pas connu. Le Taz et le Maguen Avraham s’étonnent de cette affirmation, alors que le texte des Seli’hot mentionné ci-dessus rattache cette date à la mort de Ezra, qui avait guidé les Bené Israël au retour de la Galout à Bavel.

Nos ‘Hakhamim ont comparé Ezra à Moché Rabénou dans sa part à la transmission de la Torah. La Guemara (Sanhédrin 21b) dit que la Torah aurait pu être donnée par l’intermédiaire d’Ezra, si Moché Rabénou ne l’avait pas devancé … Nous voyons là la grandeur particulière d’Ezra parmi les Grands de notre Peuple. Sa disparition aurait pu et dû être ressentie à un degré exceptionnel.

Le ‘Hatam Sofer (Torat Moché, p.44-45) explique que Ezra étant mort à la même date que le jour où il était né, son départ de ce monde prenait simplement l’apparence de l’accomplissement d’une mission, sans qu’il soit associé à une chute du Peuple. Ce n’est, dit le ‘Hatam Sofer, qu’après l’évolution négative ultérieure des Bené Israël qu’on perçut a postériori le vide que son absence avait entrainé.

Bien que nous voyions les Grecs honorer de façon accentuée les Bené Israël, comme Alexandre le Grand qui se prosterna face au Cohen Gadol Chimon HaTsadik (Meguilat Taanit, 9) en expliquant qu’il voyait son apparence avant les batailles victorieuses, ou comme Talmaï qui eut à cœur de posséder une traduction de la Torah, là n’est pas notre vraie grandeur. Chimon HaTsadik ne savourait certainement pas l’honneur que lui manifestait Alexandre. Toutefois ce contact eut probablement un impact sur le Peuple, qui regarda avec « un rien » de satisfaction cette déférence. De là s’ouvrit « si peu que ce soit » la porte entre les deux mondes opposés.

Et bien que le prêt à intérêt avec les non-juifs soit totalement permis par la Torah, les ‘Hakhamim (Baba Metsia, 71a) l’ont interdit pour éviter tout contact avec les non-juifs. (Ce n’est permis à nouveau de nos jours que parce qu’en Galout, il ne nous est pas possible de subvenir à nos besoins sans commerce avec les non-juifs – Tour et Choul’han Aroukh Yoré Dé’a 159, 1).

Chaque contact avec les non-juifs entraine un rapprochement qui fausse nos valeurs profondes. Nous comprenons de là que même la traduction contrainte par Talmaï était probablement le résultat de cette ouverture. Nous pouvons comprendre ainsi les paroles du ‘Hatam Sofer qui explique que ce n’est que plus tard que fut perçu l’impact réel de la disparition d’Ezra. C’est le sens de ce que dit le Tour que la raison de jeûner le 9 Tévet n’est pas explicitée par les ‘Hakhamim.

Rav Chimchon Raphaël Hirsch développe la finalité des évènements qui nous ont frappé (Bemaaguelé Chana II, p.25-90). Il insiste particulièrement (p.82 et suivantes) sur la perte de la conscience de notre grandeur qui n’a rien à recevoir des nations. Tout rapprochement manifeste un déficit de notre perception des valeurs complètes de la Torah qui n’ont rien à emprunter au dehors.

Notre époque, plus qu’accablée des conséquences de l’assimilation des générations récente, doit spécialement intérioriser le message délivré par les jeûnes, et en particulier le jeûne du 10 Tévet qui montre la gravité des premiers pas vers le monde étranger à la Torah.

Souhaitons que l’atmosphère actuelle de réveil aille en s’amplifiant, et débouche sur la prise de conscience collective qui nous fera sortir des ténèbres de la Galout vers la Lumière de la Gueoula complète bientôt.

 Chabbat Chalom !