Parasha – 125 Mikets 5784

בס”ד

La Paracha Mikets continue le récit de la vie de Yossef en Egypte et nous décrit la confrontation de Yossef à Par’o, le Roi d’Egypte (Beréchit 41, 1-46).

Nous sommes particulièrement sensibles à l’impact de cette rencontre sur Yossef, du fait que cette confrontation constitue un tournant décisif dans la vie de Yossef, et dans l’Histoire à venir du Peuple d’Israël.

Par’o ayant fait des rêves qu’il a perçus comme prémonitoires, il cherche à leur trouver un sens.

Après les explications insatisfaisantes que lui proposent les membres de son entourage, le “Sar Hamachkim” (Prince échanson) se souvient que Yossef avait interprété son propre rêve alors qu’il était en prison avec lui (40, 6-23), et en fait part à Par’o.

Par’o raconte ses rêves à Yossef, et écoute son interprétation dont il est plus que satisfait. Cependant, lorsque nous parcourons la Paracha, la réaction de Par’o ne retient pas forcément notre attention, notre intérêt étant centré sur Yossef lui-même, ainsi que les péripéties qui suivront dans son existence, et particulièrement ses “retrouvailles” avec ses frères et la manière dont il gèrera cet épisode.

Toutefois il y a lieu de remarquer à quel point la réaction de Par’o est surprenante (41, 37-45) :

– Il commence par attirer l’attention de ses proches sur la sagesse incomparable de Yossef (38) : “Trouverions-nous comme celui-ci un homme dans lequel se manifeste l’Esprit de Dieu ?!”.

– Puis il adresse à Yossef une série d’annonces exceptionnellement favorables : “Après que Dieu t’a fait savoir tout cela, il n’y a pas d’intelligent et de sage comme toi !” (39).

Puis : “Tu seras sur ma maison, et sur ta bouche tout mon peuple sera nourri par le trône, seulement je serai plus grand que toi ” (40). Et il ajoute :  “Vois je t’ai placé sur toute la terre d’Egypte” (41). Puis, Par’o joint l’acte à la parole en retirant sa bague garnie de son sceau, et la place lui-même à la main de Yossef, le fait vêtir d’habits princiers, et d’un collier en or à son cou (42). Les marques de distinctions se suivent… à notre grande surprise !

Car comment comprendre une réaction aussi démesurée ?! Qui plus est venant de la part d’un tyran absolu aux caprices sans borne, qui a “fêté” son anniversaire deux ans avant sa rencontre avec Yossef en faisant pendre son ex-Chef Panetier (40, 22) en même temps qu’il rétablissait le Chef Echanson dans ses fonctions !

Nous sommes d’autant plus étonnés car selon un de nos Maitres, ce même Par’o nia plus tard face à Moché connaitre Hachem ! (Voir Rachi Chemot 1, 8 ; Ramban Chemot 5, 3).

Quel retournement d’attitude de la part d’un même homme (ou son successeur) qui ne pouvait pas ignorer l’histoire de son pays dans la période antérieure (Ramban Chemot 5, 3).

Nos ‘Hakhamim des différentes générations ont abondamment souligné ce fait étonnant et en ont tiré les enseignements utiles pour notre approche de la vie. Tous soulignent la grande sagesse de ce personnage hors du commun, Par’o !

Rav David Powarski (Yichmerou Daat, p.104) souligne le contraste entre l’intelligence exceptionnelle de Par’o qui coexiste avec sa cruauté sans frein. Il explique que Par’o comprend parfaitement l’intérêt pour lui de confier le pouvoir à Yossef, et que les faits lui ont donné raison et qu’il a fait là une “affaire en or” ! Yossef a acquis finalement tout le pays d’Egypte (47, 20) en plus de tout l’argent drainé d’Egypte et de Canaan (47, 14).

Et pourtant, Par’o qui se faisait passer pour une divinité a cependant reconnu explicitement l’existence de Hachem (Beréchit 41, 38-39) !

Rav Sim’ha Zissel Ziv (‘Hokhma OuMoussar, I, 140) développe la caractéristique de la “‘Hokhma” – la sagesse. Un ‘Hakham ne peut pas composer avec ce qui lui apparait clairement vrai, même si c’est contre sa nature par ailleurs. Face à l’évidence, Par’o ne peut que s’incliner. Tous les préjugés des égyptiens contre les Hébreux, et les dénigrements du Sar HaMachkim ne peuvent pas faire dévier Par’o de l’évidence qu’il perçoit.

Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat Torah, Beréchit 41, 44) fait une analyse du personnage de Par’o dans sa globalité. Il introduit par une question “intéressante” qu’il a vue accidentellement dans un journal Juif, alors qu’il n’était pas coutumier de ce genre de lecture. L’auteur se penchait sur le personnage de Goethe, un écrivain allemand du 18ème siècle. Ses positions sur les Juifs en auraient fait à une époque ultérieure un parfait “hitlériste”. Mais pas ailleurs, en tant qu’avocat, il avait exprimé des paroles très favorables sur les Juifs. De ce fait, l’auteur de l’article était dans l’incompréhension de prises de position aussi incompatibles à ses yeux.

Rabbi Yerou’ham répond pour ses élèves à cette énigme (qui certainement agite, à notre époque également, plus d’un, face aux attitudes de nombre de nos contemporains …) qui pour Rabbi Yerou’ham n’en est pas du tout une !

Il cite la Guemara (Chabat 116) qui rapporte qu’à l’époque de Raban Gamliel il y avait un “philosophe” qui s’était fait le renom de ne pas accepter de “pots de vin” dans ses jugements.

Raban Gamliel et sa sœur eurent immédiatement à cœur de mettre à mal cette réputation surfaite. Ils le prirent comme arbitre d’un supposé conflit d’héritage entre eux. Le premier jour, la sœur lui apporta un candélabre en or, suite à quoi il attribua l’héritage à la sœur. Le lendemain, Raban Gamliel “contrattaqua” en lui donnant un âne de grande qualité, ce qui lui valut un “revirement” du jugement en sa faveur.

La fin de l’histoire est que le troisième jour, ils vinrent ensemble, la sœur suggérant au juge d’éclairer son jugement “comme le candélabre”. A quoi Raban Gamliel répliqua (le tout en séance publique, bien sûr …) “l’âne est venu et a renversé le candélabre !”.

Rabbi Yerou’ham explique que de tels faits sont la norme chez les “sages” des nations.

Dès lors que la réputation d’intégrité du “juge” fut publiée, Raban Gamliel et sa sœur eurent à cœur de le démasquer.

Par’o agissait de la même façon : il était certes animé des mêmes sentiments que tous ses sujets, et avait de plus entendu toutes les paroles de dénigrement du Sar HaMachkim (un “jeune”… “hébreu”… “esclave” …).

Rabbi Yerou’ham souligne abondamment le caractère exceptionnel d’un tel personnage qui surmonte pour sa conscience claire des faits tous ses préjugés. Par’o est un exemple de la conduite du véritable “‘Hakham” hors de la Torah.

Toutefois, il conclut en constatant que de nos jours un tel phénomène ne se manifeste plus. Quelle différence fondamentale entre l’antiquité (dotée de tels personnages), où la sagesse allant jusqu’à la conscience claire existait, même si elle était rare, et le monde moderne où de tels comportements sont totalement absents …

Rav Sim’ha Zissel Broïdé (Sam Derekh, Beréchit 41, 37-40) souligne lui aussi le caractère exceptionnel de la réaction de Par’o face à la sagesse de Yossef. Il que l’élévation de Yossef au pouvoir était à ce point “révolutionnaire” pour l’Egypte, que nous constatons plus tard, lors de l’annonce des retrouvailles de Yossef avec sa famille, un grand soulagement de l’Egypte de découvrir après 9 ans au pouvoir que le Vice-Roi n’était pas un simple “esclave étranger repris de justice”, mais le fils d’une famille honorable (Ramban 45,16) !

Rav Broïdé ajoute, citant l’explication des Baalé HaTossefot sur le verset (Chemot 1, 6-8) : “…S’éleva un nouveau Roi sur l’Egypte qui ne connaissait pas Yossef…”.

Il s’agissait pourtant du même Par’o qui refusa tout d’abord de s’attaquer aux Bené Israël comme le souhaitait son peuple. Et même après avoir été destitué pour ce refus, Il résista pendant trois mois, refusant d’être ingrat envers la famille de Yossef en persécutant les Bené Israël comme les égyptiens l’exigeaient. Toutefois, lorsqu‘il finit par céder afin de remonter sur son Trône, il perdit tout son amour de la ‘Hokhma (Sagesse) et sombra dans un abime de refus, jusqu’à être aveugle face à la personnalité de Moché Rabénou et aux Manifestations Divines qui précédèrent la Sortie d’Egypte.

Voilà jusqu’où peut chuter l’homme le plus sage, lorsque ses aspirations personnelles, et particulièrement l’appétit du pouvoir sont en jeu, lorsque la Yir’at Chamaïm (“Crainte” de Hachem) n’est pas dans son cœur …

Rav Yaacov Neyman (Darké Moussar p. 87) souligne la différence entre le Par’o de Yossef et celui de Moché Rabénou (que ce soit le même, selon une explication, ou un autre, le contraste reste le même …).

Le Par’o de Yossef accueille avec enthousiasme un “Dieu” qui lui annonce la prospérité et l’enrichissement. Par contre, le Par’o de Moché Rabénou accueille avec réticence et “négationnisme” un “Dieu” qui veut lui arracher un peuple entier d’esclaves gratuits !

Rav Neyman remarque là la différence fondamentale entre un Juif et le reste de l’humanité. Le non-juif n’adore son dieu que tant qu’il lui apporte la réussite matérielle. Dès lors que se profile la famine : “Et ce sera lorsqu’il sera affamé, et il sera courroucé, et il maudira son roi et son dieu …” (Yechayahou, 8, 21).

Telle est la fidélité des hommes sans Torah à leurs idéaux. Comme la Torah le souligne : dans le rêve de Par’o (41,1) “et Par’o rêva et voici qu’il se tenait sur le fleuve” (le Nil qui était la divinité de l’Egypte). Par contre, dans le rêve prophétique de Yaacov (28, 12-13) ” et voici que Hachem Se tenait sur lui (Yaacov)”.

Les idolâtres se tiennent sur leur divinité qui doit ne leur apporter que des satisfactions. Sinon ils la rejettent sans hésitation.

Les Tsadikim sont totalement dévoués à Hachem et ne Lui demandent rien pour leur “confort”.

Ces quelques enseignements viennent rééquilibrer notre regard sur le monde, après plus de deux siècles de “lumières” prétendues de la “civilisation” et du culte de la liberté et des sacro-saints “Droits de l’Homme”, accompagnés de la floraison de toutes sortes d’organismes caritatifs locaux ou internationaux dont les positions sont éloquentes sur leur sincérité profonde …

Et si déjà la sagesse réelle d’un Par’o n’a pas réussi à le protéger face à ses intérêts mesquins, combien plus fragile alors est la sympathie toute relative de l’humanité d’aujourd’hui qui vit vautrée dans la recherche du confort immédiat. Toute démarche individuelle ou collective de notre part, visant à imiter les nations ou à chercher à nous faire une place parmi elles, n’est qu’un leurre décevant.

Seule la sagesse accompagnée d’une Emouna et d’un Bita’hon (confiance) intégraux en Hachem est Emet – véritable !

 Chabbat Chalom !