בס »ד
Paracha Vayéchev
La Paracha Vayéchev décrit les péripéties des Chevatim (les fils de Yaacov Avinou, ancêtres des Tribus d’Israël) dans les débuts de leur parcours.
Précisons, avant toute approche des évènements tels qu’ils sont décrits dans la Torah que le langage de la Torah n’est en rien comparable à celui d’un quelconque livre rédigé par un être humain.
La Torah est le message de Hachem Qui nous exprime les notions fondamentales nécessaires à notre développement. A ce titre, la Torah « épaissit le trait » dans sa description des « manques » des précurseurs de notre Histoire, afin de rendre la critique, ou plutôt l’exigence envers chaque homme, accessible à notre intellect limité. Seul celui qui est pleinement conscient qu’il ne s’agit ni d’un livre d' »histoire », ni d’un livre de « contes et légendes » peut accéder à la lecture de la Torah !
Les faits et gestes des Chevatim en particulier, qui sont décrits dans cette Paracha et les suivantes, ne peuvent en aucun cas être déchiffrés sans être guidés par les commentaires de nos ‘Hakhamim de toutes les générations.
Le Midrach (Beréchit Rabah, 98, 3) rapporte qu’au moment où Yaacov a réuni ses fils, les Chevatim, avant sa mort pour leur octroyer les Berakhot qui accompagneront leurs descendants au fil de l’Histoire, il leur demanda s’ils étaient en « rupture » si peu que ce soit avec Hachem. Ils répondirent alors par le verset : « Chema Israël, Hachem Elokénou, Hachem E’had » (Ecoute Israël, Hachem notre Dieu, Hachem est Un) !
Rav Dessler (Mikhtav MeEliahou, V, p.437) cite le Maharal relatif à ce Midrach. Le Maharal explique que l’unité peut s’exprimer de deux manières : l’Unité absolue de Hachem Qui est l’unité intrinsèque. L’unité issue de la convergence d’éléments distincts, comme dans le corps humain qui est défini par le Sefer Yetsira comme basé sur 12 organes fondamentaux. En résonnance avec cette unité de l’Homme, il y a les 12 Chevatim attachés à l’Unité de Hachem. Ils se décomposent en 1, Lévi, dédié Kadoch à Hachem, correspondant au « א« de « E’had » (valeur numérique = 1). Puis les 8 fils des Ra’hel et Léa, correspondant au « ח« de « E’had » (valeur numérique = 8). Enfin les 4 fils de Bil’a et Zilpa, correspondant au « ד« de « E’had » (valeur numérique = 4).
Les Chevatim ont ainsi confirmé leur convergence et leur unité par ce verset « Chema Israël Hachem Elokénou Hachem E’had » par lequel nous proclamons chaque jour matin et soir notre allégeance totale à Hachem.
Rav Dessler (Mikhtav MéEliahou, V, p. 451) rapporte également l’explication du Maharal (Gour Arié, Beréchit, 28, 11) concernant les pierres que Yaacov plaça autour de sa tête lorsqu’il se coucha à l’emplacement du Beth HaMikdach sur son chemin vers ‘Haran. Rachi cite là-bas le Midrach qui dit que les pierres se querellèrent, chacune voulant être le support de la tête du Tsadik, jusqu’à ce que Hachem les unifia en une pierre unique (28, 18). Rav Dessler développe les paroles du Maharal et explique que Yaacov savait qu’il était destiné à mettre au monde les 12 Chevatim qui constitueraient la base du Peuple Juif. Toutefois il était conscient que cela dépendrait de sa propre capacité à unifier la réalité matérielle dans sa convergence spirituelle profonde d’outil de manifestation de l’Unité de Hachem. C’est cela que représente l’unification des douze pierres.
Nous sommes accoutumés à attendre de la part des Tsadikim une perfection de Mal’akh (« Ange »), c’est-à-dire de « mécanisme » dont toutes les actions sont parfaites, sans même la moindre erreur de calcul.
A l’opposé, nous sommes animés d’une indulgence sans limites, pour ne pas dire d’une complaisance « allant de soi » pour toutes nos failles et faiblesses personnelles quotidiennes. Nous verrons ici que ce n’est pas la vision juste. Si un Tsadik devait être un Mal’akh, alors la Création aurait déjà atteint son but !
Après ces préambules indispensables, nous pouvons aborder la lecture des épisodes de notre Paracha, que ce soit les différends entre Yossef et ses frères, ou que ce soient les péripéties concernant Yehouda.
Le Midrach (Beréchit Rabah, 84, 18) introduit le jugement des Chevatim relativement à leur frère Yossef HaTsadik, qui aboutit à sa vente comme esclave et son séjour en Egypte par le verset : « Pourquoi nous fais Tu dévier de Tes chemins, Tu « durcis » notre cœur de Ta crainte ?! Reviens pour Tes serviteurs, les Chevatim de Ta possession ! » (Yechayahou, 63, 17). Le verset se réfère aux Chevatim comme « Tes serviteurs ». Le Midrach explique la phrase « Pourquoi nous fais Tu dévier de Tes chemins, Tu « durcis » notre cœur de Ta crainte ?! » ainsi : « Lorsque Tu as voulu, Tu as mis dans leur cœur d’aimer, et lorsque Tu as voulu, Tu as mis dans leur cœur de haïr ».
Cette phrase du Midrach qui explique l’amour particulier de Yaacov pour Yossef, et « l’animosité » de ses frères à son encontre comme dus à l’intervention de Hachem est surprenante !
S’il en est ainsi, où se situe la « Be’hira » (Libre Arbitre) de l’Homme, ?! Que reste-t-il de la responsabilité de l’Homme sur ses actions, qui doit justifier le jugement à son égard, et la récompense et la punition ?!
De même, le Midrach (85, 8) explique la rencontre de Yehouda avec Tamar de laquelle sera issue la lignée qui mènera à David HaMélekh et au Machia’h. (38, 13-19) : « Rabbi Yo’hanan dit : il voulut passer son chemin, et Hachem lui présenta le Mal’akh (l’ »Ange ») préposé aux « pulsions », qui lui dit : « Yehouda, où vas-tu ? d’où les Rois (d’Israël) s’élèveront-ils ?! d’où les Grands s’élèveront-ils ?! « . Il se détourna alors vers elle vers le chemin, malgré lui, pas à son avantage.
Comment comprendre ce Midrach qui bouleverse tous nos a priori ?!
Remarquons tout d’abord la différence entre Yehouda, qui était un des Chevatim, un Tsadik de très grande dimension, et un homme simple, issu du « commun des mortels » : Qui, dans ce monde, a besoin de l’intervention d’un Mal’akh, d’une « impulsion » spirituelle, pour céder à une quelconque pulsion ?! Nous voyons déjà ici la grandeur des Chevatim ! Il ne s’agit pas d’un moment « d’égarement » trivial, comme le monde qui nous entoure nous habitue à considérer l’existence. Sortons de la contagion de la culture des nations pour revenir à une regard Juif authentique sur les valeurs de la vie !
Considérons maintenant le Midrach sur le jugement des frères de Yossef.
Rav Its’hak Zeev Yadler (Tiférèt Tsion sur le Midrach) souligne la souplesse avec laquelle les Chevatim passent d’une décision (exécuter Yossef qu’ils avaient perçu comme cherchant par ses paroles à Yaacov à les exclure de l’avenir du Peuple de Hachem) à une décision plus « légère » de l’expulser de l’environnement en l’envoyant en esclavage en Egypte. Rav Yadler remarque que leurs décisions étaient en permanence soumises totalement à leur raison sans interférence aucune des sentiments qui auraient bridé leur analyse. Nous voyons ici des êtres hors de notre perception, d’un niveau approchant de celui des Mal’akhim (« Anges »), qui sont des « mécanismes » accomplissant sans hésitation ni choix la Volonté Divine.
Rav Its’hak Aïzik Scherr (Leket Si’hot Moussar, p. 130) développe, pour expliquer le changement de « programme », qu’en présence du moindre doute sur le bien-fondé d’une décision, le choix doit être d’éviter toute action à caractère « irréversible ».
Devant l’analyse de Yehouda (37, 26-27), les Chevatim renoncent à leur premier verdict, bien que leur jugement sur les défauts de Yossef ne dévie pas, au point que même 22 ans plus tard, lorsqu’ils le cherchent lors de leur premier voyage en Egypte (voir Beréchit Rabah 91, 6), ils ne le cherchent que dans des lieux mal famés.
Le Midrach ci-dessus semble limiter la Be’hira, liberté et responsabilité dans nos choix d’action. Rav Yadler explique que l’Homme n’est libre que de choisir entre ce qu’il perçoit comme Bien ou Mal. Il n’est toutefois pas maitre de l’analyse de la qualité réelle de chaque option sans l’aide de Hachem. Même après que l’homme a choisi d’agir positivement, il peut être induit en erreur dans la compréhension des faits. C’est ce que veut nous enseigner le Midrach à propos du jugement des Chevatim.
Leur intention était essentiellement d’accomplir la Volonté de Hachem. Mais Hachem considérant que l’avenir des Bené Israël ne se réaliserait pas sans la Galout (Exil), a mis en place les conditions qui amèneraient finalement Yaacov et sa famille à descendre en Egypte. C’est pour cela que le verset de Yechayahou que cite le Midrach conclut en qualifiant les Chevatim comme « Tes serviteurs », qui ont accompli la Volonté de Hachem.
Rav Its’hak Aïzik Scherr (Leket Si’hot Moussar, p. 126) soulève, lui aussi la question de la Be’hira apparemment « mise à mal » par le Midrach. Il cite le Gaon de Vilna qui explique que Hachem implante dans l’Homme les pensées appropriées pour la réalisation du Plan Divin (commentaire sur Michlé (19,21). Rav Scherr souligne que même la simple interprétation des faits, comme dans les diverses confrontations des Chevatim avec le « Vice-Roi » d’Egypte dans lequel ils ne reconnaitront à aucun moment Yossef, témoigne de l’aveuglement de l’Homme sans l’aide de Hachem. Toutefois Rav Scherr conclut que ça n’entame pas du tout notre Be’hira, car nous avons cependant les moyens d’analyser nos pensées et d’arrêter le mouvement en changeant radicalement d’orientation.
Rav Scherr explique encore (p.135) le rapport entre les « erreurs » proposées à l’Homme par Hachem, et ses propres choix. Il cite pour cela les paroles de Rav Yehochou’a Heller qui analyse le principe selon lequel Hachem accompagne nos choix globaux et nous « mène » dans le sens que nous choisissons (Toldot Yehochou’a, sur Avot, 4, 2).
Rav Heller explique la notion de cette Michna : « Une Mitsva entraine une Mitsva, et une Avéra entraine une Avéra » par l’exemple suivant : un homme engagé dans l’étude assidue de la Torah commence à s’investir dans les actions de ‘Hessed dans des circonstances où ce n’est pas justifié (le ‘Hessed pouvait être accompli par quelqu’un d’autre qui n’était pas occupé à l’étude …). Il y a ici une Mitsva doublée d’une Avéra. Hachem procure à l’homme d’autres circonstances importantes de ‘Hessed, qui lui donneront l’impression que Hachem « l’encourage » dans sa démarche. En réalité, c’est une épreuve présentée à l’homme pour qu’il examine soigneusement la situation à la lumière de la Torah pour décider du bien-fondé de ses choix. Il s’avère donc qu’on a toujours la Be’hira intacte, mais que Hachem « accompagne » nos décisions en fonction du plan global.
Concernant les Chevatim, nous pouvons alors comprendre qu’il n’y a aucune contradiction entre la qualité fondamentale de leurs options, et la « critique » toute relative de la Torah sur leurs décisions. Il y avait chez eux un manque « infinitésimal » dans le « Lechem Chamaïm » (« pour la Volonté de Hachem ») qui justifie le regard rigoureux de la Torah à leur égard. Le tout sans préjudice de la perception de leur grandeur spirituelle incommensurable qui nous échappe totalement.
Ces quelques explications nous aident à lire la Torah avec la prudence indispensable, et à en retirer les enseignements vitaux pour la conduite de notre existence. Sachons comprendre les facettes complémentaires des circonstances auxquelles Hachem nous amène, en scrutant en permanence nos choix à l’éclairage de la Halakha (décisions conformes à la Torah).
Chabbat Chalom !