Parasha – 12 MIKETS 5782

La Paracha Mikèts nous montre la confrontation des Chevatim (les fils de Yaacov Avinou) avec leur frère Yossef. Les Chevatim étaient descendus en Egypte pour y chercher des provisions en raison de la famine qui sévissait partout sauf en Egypte où Yossef, nommé vice-roi par Par’o, avait pris les précautions nécessaires pendant les sept années d’abondance qui avaient précédé la famine.

Les Chevatim ne reconnaissent pas leur frère Yossef dans le vice-roi d’Egypte. Yossef ne se fait pas reconnaitre de ses frères, et adopte à leur égard une attitude très réticente, (Beréchit 42,7-25) allant jusqu’à les accuser d’espionnage.

Par la suite, Yossef, après avoir retenu leur frère Chimone emprisonné, laisse les autres frères repartir afin d’apporter des provisions à leurs familles, en leur enjoignant de revenir accompagnés de Binyamin, le seul frère qui n’était pas du premier voyage en Egypte.

Lors de leur départ, il donne instruction à ses serviteurs de remettre l’argent de leurs achats de céréales dans leurs sacoches.

A leur retour, il continuera à les mettre en difficulté, allant jusqu’à faire mettre sa coupe en argent dans le sac de Binyamin, à leur départ, pour ensuite accuser Binyamin et ses frères de vol (44,1-17).

Dans l’intervalle, Yossef les reçoit à sa table et se montre plus que courtois envers eux (43, 16-34).

Le comportement de Yossef tout au long de ces péripéties ne laisse pas d’étonner !

Quel est son but, et comment s’autorise-t-il ces « persécutions » à l’encontre de ses frères ?! 

Et comment comprendre son silence prolongé à l’égard de son père qui souffre de son absence depuis 22 ans et qu’il attendra jusqu’à la fin de la réalisation de ses « plans » relatifs à ses frères pour se manifester à lui et le rassurer sur son sort ?! Et qu’a-t-il attendu pendant toutes ces années ?!

Nos Commentateurs nous offrent des réponses variées à ces questions :

– Le Ramban (42,9) explique que les rêves (37,5-10) de Yossef étaient des visions prophétiques. Hachem montrait par là à Yossef son rôle central dans la construction du Peuple d’Israël. Yossef, voyant un début de réalisation de ces Nevouot (Prophéties) par la venue de ses frères, agit selon les indications de ces Nevouot pour respecter le message Divin. En effet, un Navi (Prophète) est astreint, tout comme ceux auxquels il transmet le message, à respecter sa Nevoua.

– D’autres Maitres, comme Rav Yaacov Kamenetski (Emet LeYaacov, p.212), s’éloignent de cette explication. Rav Kamenetski objecte qu’il ne s’agissait pas d’une Nevoua de Mitsva, mais de l’annonce favorable de son rôle dans la construction du Peuple d’Israël. Il n’incombait pas à Yossef, d’après lui, de faire en sorte que la promesse de Hachem s’accomplisse.

Rav Kamenetski propose une analyse totalement différente. Yossef prend en compte que la décision des Chevatim (ses frères) à son égard (37,18-28) était un véritable jugement, considérant son attitude à leur égard comme un complot pour les exclure du Peuple d’Israël (comme Yichmaël et Essav aux générations précédentes …) afin de devenir lui-même le seul héritier spirituel des Avot (Patriarches). (Voir l’explication de Sforno, 37,18, sur la raison du jugement des frères contre Yossef, suite aux rêves et à la faveur particulière dont il jouissait auprès de Yaacov Avinou, qui avaient inquiété ses frères sur ses « appétits de domination » ; 37,5-11).

Yossef voulait faire prendre conscience à ses frères que leur jugement, pour totalement honnête et sincère qu’il ait été, était erroné. C’est dans ce but qu’il décida d’effectuer la démonstration « sur lui-même », en affectant de se tromper sur leur compte en les soupçonnant d’espionnage. Puisqu’ils se savaient innocents de ce dont Yossef les accusaient, ils en viendraient à réfléchir sur leur propre erreur de jugement au moment où ils avaient vendu Yossef.

Rav Kamenetski analyse ainsi en détail toutes les initiatives de Yossef face à ses frères, jusqu’au fait d’avoir choisi de placer sa coupe dans la sacoche de Binyamin en particulier.

Nos ‘Hakhamim disent que Binyamin est un des rares hommes à n’être mort que du fait de la faute initiale d’Adam Harichone, sans avoir commis la moindre Avéra – faute personnelle de toute son existence.

Rabbi Mordekhaï Miller (Talmid de Rav Dessler, Directeur du Séminaire de jeunes filles de Gateshead) analyse dans son « Chiour Leyom HaChabat » la position des Chevatim eux-mêmes face aux évènements. Il commence par leur étonnement et leur inquiétude lorsqu’ils constatèrent que l’argent de leurs achats en Egypte avait été remis dans leurs sacoches. (42, 28) : « … ils manifestèrent leur panique l’un à son frère en disant : « Que nous a fait là Hachem ?! »

Rabbi Miller souligne le contraste avec les versets précédents, lorsque Yossef les avait accusés d’espionnage (42, 21-22) : « Ils dirent l’un à son frère : Certes, nous sommes coupables envers notre frère dont nous avons vu la détresse de son âme, alors qu’il nous suppliait, et nous ne l’avons pas écouté ; c’est pourquoi cette détresse nous est venue ! … »

Rabbi Miller demande pourquoi ils n’ont pas reconnu la péripétie de l’argent dans leurs sacoches comme un signe supplémentaire de punition Divine pour cette faute ? Il ajoute : Quel était le but de Yossef en les effrayant de cette manière ?

Il explique que toutes les interventions de Hachem sont « mida kenéguèd mida », c’est-à-dire « mesure pour mesure ». Même si nous ne comprenons pas les causes d’une punition Divine, nous devons au moins analyser la forme de la détresse qui s’abat sur nous afin de voir si nous pouvons déceler une quelconque allusion à la faute passée qui s’est installée » en nous et justifie le problème. Si nous trouvons une piste, il nous reste à nous efforcer de le réparer. Or les Chevatim ne percevaient pas le sens de cette manifestation délibérément hostile de remettre l’argent dans leurs sacoches, manifestement dans le but de les accuser ultérieurement …

Rabbi Miller poursuit son étude sur le comportement de Yossef envers ses frères avant de se dévoiler finalement à eux. Le but de chaque étape est deleur rappeler une facette de leur faute à son égard.

Ils l’ont jeté dans le puits (37, 24), ils sont jetés en prison.

Ils l’ont accusé de monter leur père contre eux, ils sont maintenant accusés d’espionnage.

Ils l’ont vendu comme esclave, ils doivent accepter face au « vice-roi » d’Egypte d’être ses esclaves (44,34) suite à la découverte de la coupe (44,16).

Ils n’ont pas pris en compte la peine que ressentirait leur père lorsqu’ils avaient vendu Yossef, Yehouda est contraint maintenant de dire pour dégager Binyamin : « car comment pourrai-je monter vers mon père … ».

Depuis la première réaction des frères : « mais nous sommes coupables… », il apparait que les actions de Yossef ont atteint leur but.

La vérification de leur changement profond se manifeste à la fin dans leur défense farouche de Binyamin.

Rabbi Miller rapporte le Chem MiChmouel (Beréchit II, p.292) qui explique que Yossef voulait faire prendre conscience à ses frères que derrière leur erreur de jugement il y a plus qu’une simple « erreur », mais forcément une mauvaise intention cachée au plus profond. (Il ne s’agit pas d’une malveillance comme nous pouvons en trouver au niveau de nos générations, mais de traces infinitésimales …). L’argent remis dans leurs sacoches ne pouvait plus être compris comme une erreur, comme l’accusation initiale d’espionnage. Il y avait clairement là volonté délibérée de nuire. L’objectif était de les amener à reconsidérer leur propre passé à la lumière de l’épreuve que Hachem leur envoyait ici.

Yossef voulait que les Chevatim prennent conscience qu’une erreur de « jugement » équivaut à une faute délibérée.

A travers ces analyses, nous voyons la grandeur de nos ancêtres, les Chevatim, qui devaient déceler le sens de messages aussi fins, et les relier à un fait vieux de vingt-deux ans. Notons que dans leur introspection, ils n’ont rien trouvé d’autre qui donne lieu à remise en question ! Ils ont immédiatement compris à quoi correspondait le message Divin. Pendant toutes ces années, ils ont certainement scruté en permanence leurs actes, car, sinon, ils n’auraient pas pu réagir aussi rapidement au message véhiculé par ces évènements. Et cependant, pendant vingt-deux ans, ils ne voyaient aucun problème à leur démarche passée. Et cependant, dès la première secousse que Hachem leur a envoyée par l’intermédiaire de Yossef, ils ont immédiatement fait le lien. Cela nous montre leur grandeur impressionnante.

La Torah nous donne un exemple aussi extraordinaire pour nous inspirer. Bien sûr, nous sommes loin d’un tel niveau ; nous devons toutefois apprendre à réfléchir aux évènements et tenter d’en tirer leçon pour corriger nos erreurs.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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