Parasha – 119 ‘Hayé Sarah 5784

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La Paracha ‘Hayé Sarah nous décrit la mission qu’Avraham Avinou confia à Eliezer, son serviteur, de trouver dans sa famille à ‘Haran une épouse pour son fils Its’hak.

Dans l’accomplissement de cette mission, Eliezer est confronté à Lavan, le petit-neveu d’Avraham. Lavan, qui est le frère de Rivka Iménou, l’épouse d’Its’hak Avinou et qui sera ainsi pour nous d’abord un “grand-oncle. Puis, il deviendra également notre ancêtre, en tant que père de Ra’hel et Léa, les épouses de Yaacov Avinou.

A ces titres, on aurait pu s’attendre qu’il s’agisse d’un personnage de grande qualité…

Or, dans les versets et dans la tradition de la Torah Orale, la Torah “s’acharne” sur lui, soulignant abondamment ses divers défauts de comportement.

Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat Torah, 29,13 ; recueil de ses cours de ‘Houmach pour les élèves venus du monde occidental …) remarque face à ses disciples, issus d’un monde “moderne”, qu’il y a généralement une réticence face à ce genre d’informations péjoratives que nous communiquent nos ‘Hakhamim relativement à divers personnages. Il explique que chacun de nous abrite en lui une petite part de Toum’a (impureté) qui ne supporte pas facilement la critique du mal, et de ceux qui le portent en eux. Il nous est inconfortable d’accepter qu’un homme cache au plus profond de lui une telle “bassesse”.

Toutefois la Halakha (règle de comportement selon la Torah) dicte qu’alors que chaque homme doit être jugé favorablement, un Racha doit être considéré sans la moindre indulgence, et chacune de ses actions passées au crible ! Il s’agit là-bas de la rencontre de Yaacov Avinou avec son oncle Lavan, mais le même principe vaut ici lors de sa rencontre avec d’Eliezer.

Il nous reste à comprendre la place de Lavan dans notre généalogie, et l’utilité pour nous de ces “révélations” de la Torah sur un personnage qui ne nous semble pas digne d’un tel intérêt !

Nos Maîtres répètent abondamment que la Torah ne s’occupe pas de personnages insignifiants.

Il s’agit soit des Tsadikim exceptionnels, soit de Rechaïm de dimension particulière. La Torah ne vient pas décrire un monde “médiocre”, mais nous montrer les enjeux profonds de la Création.

Considérons les comportements de Lavan : après que Rivka soit venue raconter (Beréchit 24,28) sa rencontre avec Eliezer à la source lorsqu’elle a abreuvé ses chameaux (24, 15-27), la Torah nous décrit la réaction de Lavan (24, 29) : “…et Rivka avait un frère, et son nom était Lavan ; et Lavan courut vers l’homme à l’extérieur à la source. Et ce fut lorsqu’il vit l’anneau et les bracelets, sur les mains de sa sœur … et il vint vers l’homme et voici il se tenait auprès des chameaux sur la source …”

L’ordre de ces versets semble inversé. La Torah commence par dire que Lavan a couru, et ne mentionne qu’ensuite ce qu’il a vu ! Rachi explique que le second verset explique en réalité le mouvement du premier verset. C’est parce que Lavan a vu les bijoux qu’il a couru avec empressement à la rencontre d’Eliezer !

La Torah continue la description des mouvements de Lavan :  Il dit : Viens, béni de Hachem ! pourquoi restes-tu à l’extérieur ? Et moi, j’ai dégagé la maison … !” (24, 31).

De quel encombrement Lavan a-t-il débarrassé la maison ?

Rachi répond : “de l’idolâtrie !”.

Lavan, sachant qu’Eliezer était issu de la maison d’Avraham, comprend que ce visiteur n’entrera pas dans une maison ou trônent les idoles. Aussi, “pour les besoins de la cause”, pour pouvoir conclure des accords “juteux” avec ce riche interlocuteur, tout se justifie, y compris de “transiger” temporairement avec ses concepts religieux. Il sera toujours temps de ressortir les idoles du “cagibi” après le départ d’Eliezer.

Ainsi en va-t-il des convictions lorsque les pulsions dominent !

Rav Wolbé (Alé Chour II, p.257) souligne la phrase de notre “Vidouï” (la prière de reconnaissance des fautes à Yom Kippour) : “…Sur la faute que nous avons commise devant Toi par la course des pieds vers le mal”. Mais que veut dire “les pieds” ? n’est-ce pas moi qui ai couru ?!

Rav Wolbé commente que le désir profond commande les actions au-delà de la programmation consciente. Comme si les pieds étaient animés d’un mouvement indépendant. Il souligne que la racine du mot “ratsone” (volonté) est issue de : “routs” (courir) ! Ce que l’homme désire, il y court sans réfléchir !  

Lavan court. Et pourquoi court-il ? Lavan courut… Vers quoi courait-il ? Le verset dit : “Ce fut lorsqu’il vit l’anneau etc. …” (24, 30) Lavane pensait que si tels étaient les cadeaux pour avoir abreuvé les chameaux, combien plus importants seraient les cadeaux pour un hébergement complet !

 Le Chela HaKadoch (IV, p.97) souligne que l’empressement de Lavan à l’appât du gain l’amena à répondre à la proposition de mariage d’Eliezer pour Rivka avant Betouel son père (24, 50) par crainte d’une “maladresse” de Betouel qui pourrait “faire capoter” l’affaire !

Dans la déclaration qui accompagne les Bikourim (Prémisses) que nous apportons au Beth Hamikdach (le Temple) nous mentionnons la menace venant de Lavan sur l’existence de Yaacov (…”un Araméen (Lavan) a voulu anéantir mon ancêtre” – Devarim 26, 5).

Rav Moché Ye’hiel Epstein (Beér Moché, Devarim, p.826) explique que Lavan est l’opposé de ce que représentent les Bikourim. Lavan cultive sa puissance (Beréchit 31,29), tandis que nous élevons nos mains vers Hachem en signe que tout nous vient de Lui. Lavan voit les bijoux et convoite l’argent d’Eliezer ; et nous voyons dans les prémices de nos récoltes la gratification de Hachem !

Rav Chalom Chapira (HaMaor ChèbaTorah, I, p.180) compare l’hospitalité de Lavan à celle d’Avraham Avinou. En apparence, Lavan est l’égal en ‘Héssed (Don gratuit) d’Avraham et de Rivka : bien que fils de Roi (Betouel), il n’hésite pas à accueillir lui-même Eliezer, et à se “mettre en quatre” pour le servir. Quelle émotion ne nous saisirait pas à ce spectacle ?!

Mais la Torah nous dévoile le “dessous des cartes” : l’argent ! Rav Chapira compare la conduite de Lavan au service dévoué du personnel des grands hôtels qui n’attend en vérité que son pourboire !

Rav Chalom Schwadron (Lev Chalom, I, p.251) nous livre une analyse complète du personnage de Lavan.

Il souligne que bien que Lavan soit un Racha parmi tous les autres, le titre qui lui est attribué est “Arami” (araméen – anagramme de “Ramaï” (trompeur).

Chaque Racha est défini par sa caractéristique principale. En ce qui concerne Lavan, c’est la duplicité !

Rav Schwadron précise que Lavan n’est pas un trompeur anodin dont les “talents” s’exercent exclusivement à l’encontre des autres. Lavan se persuade en permanence de son bon droit, et il est convaincu de lutter pour la juste cause. Un tel “phénomène” n’est absolument pas à même de se remettre en question. Aucun remord de conscience ne peut l’atteindre.

La question devient ainsi d’autant plus poignante : Pour quel motif un tel personnage a-t-il eu droit à une place aussi centrale dans la genèse de notre Peuple, le Peuple de Hachem ?!

Et nous sommes d’autant plus surpris par l’analyse de Rav David Powarski (Moussar Vadaat, I, p.23) qui décrit l’épreuve considérable des Chevatim (Fils de Yaacov Avinou), qui ont été élevés dans la maison d’un tel grand-père.

Et il ne s’agit pas d’un simple hébergement !

Rav Powarski souligne l’attachement profond de Lavan à ses petits-fils, qui s’exprime particulièrement lors de leur séparation définitive après la fuite de Yaacov (Beréchit 32, 1).

Rav Sim’ha Zissel Ziv (Or Rechaz, I, p.173) répond à toutes ces interrogations. Nous souffrons tous d’une méconnaissance totale des forces profondes qui dirigent nos pas. Nous sommes plongés en permanence dans l’erreur, et sommes pétris de fierté de nos nobles actions. Chacune de nos Mitsvot nous semble un titre de gloire face à Hachem qui devrait nous attirer Sa reconnaissance sans bornes.

Là est l’enseignement de la Torah lorsqu’elle nous dévoile les turpitudes de Lavan !

Il nous incombe d’ouvrir les yeux sur nos propres manques profonds. Il est facile de comprendre, alors, la délicatesse dont nous faisons preuve envers Lavan, lorsque nous sommes réticents à intégrer les commentaires de la Torah sur ses agissements, comme l’a souligné Rabbi Yerou’ham (cité plus haut).

Nous pouvons également comprendre partiellement la nécessité de faire grandir les Chevatim auprès d’un tel “sommet” d’incompréhension de ses propres défauts, comme un “vaccin” pour préparer les générations à venir.

Il ne nous incombe pas, loin de là, de chercher l’épreuve, mais cela fait partie du “Plan Divin” de confronter chacun aux circonstances nécessaires à son élévation !

Le Chem MiChmouel (‘Hayé Sarah, année 680) rapporte au nom du Rabbi de Kotsk que les mots du verset (24, 29) : “Lavan courut vers l’homme à l’extérieur sur la source (“Ayin”)” peuvent se comprendre selon le Midrach (Rabah, 60, 7) comme voulant dire que Lavan a “observé” (“Ayin”- œil) Eliezer et ses qualités face à sa propre bassesse et noirceur, et a ressenti le contraste.

Mais même ainsi, ce bref moment de lucidité n’a eu comme effet que de lui permettre de bénir réellement Eliezer (24, 31). Toutefois l’essence profonde de Lavan n’en a pas été changée.

En conclusion, nous apprenons de notre “noble” grand-père Lavan l’exemple de ce à quoi chacun de nous doit se mesurer dans son effort permanent pour se hisser au-dessus de ses faiblesses naturelles.

Sachons voir qu’en chacun de nous un “Lavan” sommeille, qui doit être jugulé ! Et sachons également faire en sorte que nos “moments” de lucidité laissent en nous des traces durables !

La Torah nous donne ici une leçon “percutante” d’auto-analyse !

שבת שלום !