Parasha – 118 Vayéra 5784

בס”ד

Dans la précédente Paracha, Lekh Lekha, nous avons vu Avraham Avinou confronté à divers personnages, Par’o (le Roi d’Egypte), Lot (le neveu et beau-frère d’Avraham) et le Roi de Sedom.

Dans la Paracha Vayéra, nous voyons Avraham également faire face à divers interlocuteurs parmi lesquels Avimélekh, le Roi de Grar.

Les enseignements que nous devons tirer de ces évènements sont liés aux situations qu’affronte Avraham, ainsi qu’aux comportements de ses interlocuteurs.

Parmi les péripéties de la vie d’Avraham que la Torah nous décrit dans ces Parachiot figurent deux faits comparables et cependant différents dans la nature des protagonistes et des enseignements à tirer de ces récits :

– Dans la Paracha précédente (Beréchit 12, 10-20), lorsqu’Avraham se rend en Egypte, il craint qu’on attente à sa vie afin de s’emparer de son épouse Sarah. Cette préoccupation se concrétise effectivement puisque que Sarah est prise au palais de Par’o, sans la moindre concertation avec Sarah elle-même ni avec Avraham qui s’était présenté aux Egyptiens comme étant son frère. Hachem protège Sarah en frappant immédiatement Par’o et toute sa maisonnée d’une maladie qui fait comprendre à Par’o son “erreur” !

Par’o appelle alors Avraham au palais et lui reproche de lui avoir causé cette “embuche”. Par’o accorde alors à Avraham et Sarah une escorte jusqu’à la frontière d’Egypte pour assurer leur sécurité.

– Un évènement comparable se produit dans notre Paracha, (Beréchit 20, 1-18) lorsqu’Avraham se rend dans le pays de Grar. Là également, Avraham craint pour sa sécurité et présente Sarah comme sa sœur, afin d’éviter les risques d’agression. Cette fois aussi, le danger vient “d’en haut” de l’échelle sociale, car c’est Avimélekh lui-même, le Roi de Grar, qui s’empare de Sarah.

La réponse de Hachem ne se fait pas attendre, et Hachem se manifeste à Avimélekh pour lui reprocher d’avoir enlevé une femme mariée, et Il lui signifie à ce titre un décret de mort.

Avimélekh, qui n’a pas encore approché Sarah, se défend dans son “dialogue” avec Hachem, en se justifiant par l’erreur causée par Avraham lui-même et son entourage qui ont unanimement présenté Sarah comme la sœur d’Avraham (voir verset 12 et Rachi). Avimélekh convoque alors Avraham et lui reproche de l’avoir induit en erreur.

Avraham se justifie en disant : “Car j’ai dit : seulement il n’y a pas de crainte de Dieu dans cet endroit, et ils me tueront à cause de ma femme !” (20, 11).

A la suite de cet “échange” Avimélekh gratifie Avraham abondamment pour se faire pardonner, et lui dit : “Voici mon pays est devant toi, là où ce sera bon à tes yeux, installe-toi !” (20,15).

Le contraste entre ces deux épisodes est frappant et appelle analyse !

Dans les deux cas, il est vrai, les Rois ont immédiatement reconnu leur faute et la réparent. Toutefois, Par’o, craignant un incident de comportement de ses sujets, doit faire raccompagner Avraham jusqu’à la frontière (Rachi 12,19), tandis qu’Avimélekh offre à Avraham le choix de s’installer à l’endroit qu’il lui plaira dans son royaume, manifestement sans crainte d’un “dérapage” de ses sujets.

Par ailleurs, alors que Par’o a dû comprendre de lui-même son erreur lorsqu’il se retrouve affligé de la plaie envoyée par Hachem, Avimélekh a droit, en plus, à un message personnel de Hachem. (Quelle que soit la nature de la révélation dont il a bénéficié, qu’il s’agisse là d’une Prophétie de niveau inférieur ou plus, nous constatons que la Torah nous décrit Avimélekh comme un personnage qui mérite une intervention personnalisée de Hachem).

Il reste à comprendre la réponse qu’Avraham a faite à Avimélekh ?!

En quoi consiste la justification d’Avraham sur la ruse qu’il a employée ?

Et en quoi la réclamation d’Avimélekh différait-elle de celle de Par’o pour qu’elle ait nécessité cette réponse d’Avraham ?

Nos ‘Hakhamim (Guemara Baba Kama 92a) expliquent le “dialogue” entre Avimélekh et Hachem (20, 3-7). Avimélekh se défend face à Hachem en invoquant l’erreur qu’il a commise de “bonne foi”.

Hachem lui répond que sa faute commence à l’accueil d’Avraham : “Un hôte de passage arrive en ville, relativement à la nourriture et à la boisson on l’interroge, ou relativement à la femme qui l’accompagne, on le questionne : “est-ce ta femme ? est-ce ta sœur ?” ?!

La Guemara conclut de façon surprenante : “de là on voit qu’un “Ben Noa’h” (descendant de Noa’h = tout être humain !) mérite la mort (par la Main de Hachem) car il aurait dû apprendre et il n’a pas appris !”.

Cette réponse est en soi étonnante, car nous sommes habitués au principe de la Torah qu’un homme n’est pas responsable d’une faute dont il n’a pas été “informé” préalablement par Hachem !

De plus, quel est l’enseignement pour nous Juifs dans cette notion qui semblerait limitée aux “non-juifs” ?

Rav Dessler (Mikhtav MéEliahou I, p.72) réalise une analyse sur les motivations des actions de l’Homme. Il souligne l’influence des mécanismes profonds des pulsions. Il établit une distinction entre le Yétser Hara (le penchant pour le mal) “naturel”, inhérent à la constitution de l’Homme composée de deux tendances opposées pour le Bien et pour le Mal, et le Yétser Hara “spirituel”, un “Mal’akh” (“Ange”), entité spirituelle créée pour maintenir l’équilibre de la Be’hira (“Libre-arbitre”), outil du mérite de l’Homme dans ses actions.

Rav Dessler explique ainsi le dialogue entre Avraham et Avimélekh : celui-ci se justifie de son forfait par l’erreur due aux “informations erronées” fournies par Avraham et ses proches ; Avraham lui répond en refusant d’accorder une quelconque confiance aux “valeurs morales de la civilisation” de son pays. Avraham ponctue son accusation en soulignant que le manque de “Crainte de Dieu” met l’homme à la merci de toutes les pulsions criminelles de ses semblables.

Venons-en aux outils permettant de maîtriser ses pulsions. Le terme “Dérekh Erets” est fréquemment mentionné. Toutefois, Il ne s’agit pas, comme certains se plaisent à croire, des “bonnes manières à l’occidentale”, comme celles qui avaient cours chez Avimélekh, comme le lui a reproché Avraham. Celles-ci ne servent qu’à cacher les abimes d’égoïsme et d’insensibilité à autrui qui résident dans le cœur de l’homme qui ne s’est pas “travaillé” au moyen de la “Crainte de Hachem” … Et si Avimélekh, qui bénéficia d’un message de Hachem a été condamné pour le manque de valeur réelle de sa “civilisation”, que dire du monde décadent de notre époque, qui manifeste au niveau public et au niveau individuel, un rejet des valeurs morales et sociales les plus élémentaires ?! … Seule la “Crainte de Hachem” peut freiner les appétits de l’Homme.

Rav Nathan Tsvi Finkel, le Saba MiSlobodka, (Or Hatsafoun, I, p. 173 et suivantes) fait l’analyse de ce que la Torah appelle “Dérekh Erets”. Il explique qu’il s’agit de l’élan naturel implanté par Hachem dans l’Homme pour les actions positives, tout comme chaque élément de la Création porte en lui une nature positive, avant que la “faute initiale” d’Adam Harichon n’ait introduit le Râ (Mal) dans le Monde.

Le Saba ajoute que même après la faute, il reste encore des élans positifs perceptibles dans les créatures. C’est le sens des paroles de Chlomo HaMélekh (Michlé 6, 6) : “Vas vers la fourmi, paresseux, vois ses chemins et apprends ! …”.

Rav Finkel ajoute que tel est le sens de l’enseignement que le “Dérekh Erets” a devancé la Torah (le Don de la Torah au Har Sinaï) de 26 générations (Midrach Vayikra Rabah, 9, 3). Il explique que le Dérekh Erets englobe toutes les bonnes Midot (les traits de comportement) et qu’elles ont été imprimées dans l’Homme dans sa nature, sans qu’il ait besoin pour cela du Don de la Torah. La Torah nous a été donnée pour élargir vers le haut nos efforts vers Hachem.

Le Saba ajoute que ce Dérekh Erets est également une “Torah” que les générations anciennes respectaient avec précision. L’obligation de suivre cette “Torah” se manifeste dans le jugement de Hachem à l’égard des individus à ce sujet. Rav Finkel cite diverses illustrations de cette exigence, et en particulier la condamnation exprimée par Hachem à Avimélekh à la suite de l’enlèvement de Sarah. Le fait d’avoir manqué au comportement de Dérekh Erets, comme Avraham le lui a souligné par la suite, relativement aux modalités de l’accueil d’un hôte de passage. Il apparait donc que l’exigence de vivre selon ces règles qui devraient être naturelles à l’Homme, et qui, sinon, doivent s’apprendre auprès des Tsadikim comme Avraham, s’impose même aux simples descendants de Noa’h, comme Avimélekh, jusqu’à justifier d’une condamnation sans excuse pour la moindre transgression.

Rav Its’hak Ayzik Scherr, Talmid du Saba, développe encore en son nom (Leket Si’hot Moussar I, p.58; III, p.594) que l’Homme a la capacité, et doit donc redresser son “Sékhel” (l’intelligence innée) de façon à y puiser la compréhension de ce que Hachem attend de lui, en amont de la révélation de la Torah. Le Sékhel a été donné par Hachem à l’Homme “droit”, et ce n’est que par son comportement déviant que l’homme fausse son Sékhel. Il incombe ainsi à chacun de faire le nécessaire pour restaurer au Sékhel sa qualité innée.

Dans le même, sens, Rav Chalom Chapira (HaMaor ChèbaTorah, V, p. 251) explique le sens de la phrase dans notre reconnaissance des fautes à Yom Kippour : “pour les fautes que nous avons commises devant Toi par ignorance !”. Comment comprendre le sens d’une faute “par ignorance” ?! Il explique, en citant le Chela HaKadoch (Parachat Balak) qui comprend ainsi les paroles de Bil’am (Bamidbar, 22, 34) : “J’ai fauté, car je ne savais pas que tu te dressais face à moi dans le chemin …”. Bil’am parlait ainsi au Mal’akh (“Ange”) qui s’était interposé par trois fois devant son ânesse jusqu’au point où Bil’am l’avait frappée. Au lieu de la compréhension “classique” que Bil’am chercherait ainsi à excuser sa faute par l’ignorance, le Chela explique que Bil’am reconnait là la faute de ne pas avoir cherché à comprendre la raison d’un comportement anormal de son animal. Cette “indifférence” à l’évènement sortant du commun est en elle-même une faute. L’Homme doit être en permanence à l’écoute de tout ce qui peut lui montrer le chemin droit du Sékhel.

Ces diverses explications nous montrent l’importance du message, apparemment secondaire, que la Paracha nous adresse par sa critique d’Avimélekh.

Loin de nous abriter derrière l’ignorance, nous avons, et même en amont de la révélation de la Torah, l’obligation de redresser notre Sékhel, jusqu’à échapper aux “pièges” de la “civilisation” qui banalise et déresponsabilise.

Une fois de plus, nous découvrons les messages exigeants de la Torah, y compris dans ses descriptions des personnages semble-t-il les moins marquants.

שבת שלום !