Parasha – 112 Haazinou – Chabat Chouva 5784

בס”ד

Chaque année, nous lisons la Paracha Haazinou soit entre Rocha Hachana et Yom Kippour, à Chabat Chouva, soit entre Yom Kippour et Soucot, lorsqu’il y a un Chabat entre Yom Kippour et Soucot.

Il n’existe pas de “hasard” dans les faits de la vie, et cette Paracha trouve naturellement sa place dans le processus de régénération que nous vivons chaque année au mois de Tichri. Que ce soit entre Roch Hachana et Yom Kippour, pour préparer le resserrement de notre lien avec Hachem à Yom Kippour, ou entre Yom Kippour et Soucot, pour concrétiser la prise de conscience globale de Tichri en vivant un contact particulier avec Hachem dans la Souca, cette Paracha nous “remet les idées en place” !

La Paracha Haazinou est appelée “Chira” (Cantique) en raison de la façon dont elle est écrite dans la Torah, comme la Chira de la Paracha Bechala’h récitée par Moché Rabénou et les Bené Israël après le passage de la Mer. Elle est annoncée à la fin de la Paracha Vayélekh, comme devant servir de témoignage éternel des avertissements de Hachem à Son Peuple sur les conséquences qu’auront au fil de l’Histoire les écarts des Bené Israël de l’Alliance avec Hachem.

Pour introduire ces mises en garde, Hachem remonte aux prémices de l’Histoire du Monde, après le Maboul (le Déluge), avant la dispersion de la Tour de Bavel.

Le caractère universel du verset suscite notre attention face à la destinée particulière d’Israël (Devarim 32,8) : “Lorsque le Très Haut fit prendre possession aux peuples, lorsqu’Il sépara les hommes, Il érigea les frontières des nations selon (ou “pour”) le nombre des Bené Israël”.

Ce verset fait allusion à la dispersion des peuples qui émergent à partir des fils de Noa’h (Beréchit 10, 5) : “De ceux-ci (les fils de Yafèt) se séparèrent les iles des peuples, dans leurs terres, chaque homme selon sa langue, pour leurs familles dans leurs peuples”.

Dès le début de l’Histoire humaine, apparaît l’importance de la terre particulière de chacun !

Rav Chimchon Raphaël Hirsch souligne (Devarim 32, 8-9) la divergence entre les nations qui ont acquis leur identité spécifique par la terre sur laquelle chacune s’est développée. C’est le résultat de l’interaction entre le peuple et la terre avec ses caractéristiques et son climat qui forge la construction d’une culture particulière.

A l’opposé, Israël est “né” dans le désert (Devarim 32, 9-10), et a amené avec lui vers sa terre, sa “culture” de Peuple de Hachem, avec ses dimensions matérielles, spirituelles, morales et sociales. L’Histoire d’Israël n’est pas le résultat de l’influence de sa terre sur lui, ni de sa “conquête” du terrain.

Rabbi Moché ‘Haïm Luzzato (Derekh Hachem, II, Chapitre 4) explique la différence fondamentale entre Israël et les nations : à la suite de la “faute”, Adam Harichone chuta d’un niveau très élevé à une situation de ténèbres. L’Humanité qui naquit de lui était inapte au niveau élevé éternel initialement prévu. Il restait toutefois dans l’Humanité des traces de sa dimension profonde, et Hachem accorda un délai pour que se “décante” une “racine” apte à entrainer la Création à sa suite. Cette limite correspond à l’époque de la Tour de Bavel, époque où seul Avraham se montra prêt à construire l’avenir de la Création.

Le reste de l’Humanité continua à vivre selon son niveau inférieur, tandis que les descendants d’Avraham Avinou accédèrent à une intervention permanente de Hachem dans leur existence. Cette différence est ce qui est perçu comme la différence entre la soumission aux “lois” de la nature, et le chemin d’une existence de Ness (Miracle). L’existence liée au Ness n’est pas ce qu’on qualifie facilement de “miracle”, lorsque nos désirs sont comblés au-delà des probabilités statistiques. Il s’agit en réalité d’une vie où tout est géré en fonction de nos actes, comme la Torah le développe abondamment.

La pluie ne tombe pas “naturellement” chez celui qui a respecté la Chemita (l’année Chabatique), en “oubliant” le voisin qui a profané ce lien avec Hachem !

La réussite ou la ruine ont elles un lien “naturel” avec les mérites des gens ?!

Tout cela constitue la dimension “miraculeuse” de l’existence du Peuple de Hachem, comme la Torah l’exprime dans le second paragraphe du Chema (Devarim 11, 13-17) et comme le développe le Ramban (Chemot 13, 16).

La référence que la Torah fait dans cette “Chira” à la spécificité des “terres” des peuples, comme cela a déjà été mentionné dans la Paracha Noa’h relativement aux descendants de Noa’h manifeste une influence décisive des particularités des “climats” sur les hommes.

Nous sommes habitués à constater l’effet du climat sur les plantes, les animaux ou même sur les personnes fragiles (en particulier les malades). Mais il nous semble exagéré d’accorder une attention spéciale aux caractéristiques de chaque pays, qui nous semblent globalement “accidentelles”. L’insistance de la Torah sur ce sujet montre que, comme tous les détails de la Création, le climat s’inscrit dans le “projet” de Hachem.

Rabbi Yerou’ham Levovitz s’étend beaucoup sur ce sujet (entre autres, Daat Torah Devarim 32,8 ; Vayikra p.52), et élargit la considération au “climat spirituel”. Il souligne la différence profonde entre les nations et Israël dans ce domaine. Il explique que toute la Création est question de climat. C’est le sens du lien particulier du Peuple d’Israël avec sa Terre : le climat spirituel de la Terre d’Israël est empreint d’un lien privilégié avec Hachem.

Toutefois l’imprégnation de l’environnement n’est pas absolument décisive, sans quoi nous serions totalement déterminés dans nos actes, et la notion de mérite et de faute n’aurait plus de sens. Ces climats sont autant d’épreuves auxquelles nous sommes confrontés.

C’est ainsi que Rabbi Yerou’ham remarque (Daat ‘Hokhma OuMoussar, I, p.84) que les Midot (les traits de caractère) des Juifs diffèrent considérablement d’un pays à l’autre. Il explique que profondément nous portons l’héritage des Midot positives travaillées par nos ancêtres. Les fragilités diverses que nous pouvons voir chez nous selon les régions résultent de l’imprégnation des différentes Galouyot (exils) dans lesquelles nous “baignons”.

Cette influence de l’environnement est évoquée par nos ‘Hakhamim (Midrach Bamidbar Rabah 20,21 ; Sifri, Balak, 25,1) relativement à l’endroit nommé Chitim où les Bené Israël furent entraînés à l’immoralité par les femmes Moavites et Midianites. Le Midrach dit que “Chitim” est apparenté à “Chtout” la racine signifiant “folie”, car cet endroit avait la propriété de favoriser l’immoralité.

Nos ‘Hakhamim disent que certaines sources qui produisent des hommes forts, d’autres des hommes faibles, beaux, laids, réservés, ou dévergondés (comme celle de Chitim …).

C’est ainsi que nous pouvons comprendre la diversité des cultures humaines. Hachem a programmé les différentes tendances à partir des “climats” des lieux de résidence des familles humaines. Ces influences ne sont que des potentialités auxquelles il convient de faire face avec maîtrise. Là réside la différence profonde entre les nations et le Peuple de Hachem. Alors que les peuples du monde s’abandonnent à l’influence de l’environnement et vont jusqu’à “diviniser” les forces de la nature qu’ils perçoivent, et idéaliser leurs travers, notre mission est de surmonter ces éléments naturels et de mettre ainsi en valeur la convergence réelle inhérente à la Création.

Le rapport entre les nations et leurs terres, et entre l’Histoire des nations et celle du Peuple de Hachem, est donc bien à sa place depuis le début de la dispersion de l’Humanité dans la Paracha Noa’h, et jusqu’à la Paracha Haazinou qui décrit le parcours des générations jusqu’à la Gueoula ultime que nous attendons tant. C’est la base fondamentale de l’Histoire de la Création. De même, cette attente de l’aboutissement de l’Histoire s’inscrit dans la période de Tichri et les rendez-vous où nous tendons vers la révélation complète de la Présence de Hachem dans le Monde.

Que Hachem nous aide à revenir enfin non seulement “vers” Lui, mais “Jusqu’à” Hachem, comme nous le lisons dans la Haftara (texte des Neviim : Hochéa 14,2) de ce Chabat.

 

A nouveau Roch Hachana ! Un nouveau “jour du Jugement” se tient devant nous, comme nos ‘Hakhamim le définissent !

Comment allons-nous aborder ce nouveau Roch Hachana ? Allons-nous le banaliser, en pensant que, somme toute, nous avons déjà passé nombre de “Jours du Jugement”, et nous sommes toujours là ?

Est-ce vraiment le sens à donner à ce jour extraordinaire ?!

Dans la Tefila de Moussaf de Roch Hachana, nous ajoutons trois Berakhot, accompagnées chacune de dix versets, Malkhouyot (proclamation de la Royauté de Hachem), Zikhronot (Hachem Se “souvient” de tous les actes de chacun) et Chofarot (les manifestations de Hachem soulignées par la sonnerie du Chofar).

Ces trois notions sont évidemment complémentaires et constituent un tout. Mais que signifient-elles en réalité ?

– Quel est le sens de la “Royauté” de Hachem, et particulièrement pour nous, héritiers des générations récentes qui ont “déboulonné” les Rois un peu partout dans le monde ?! 

– Que signifie le “souvenir” de Hachem ? Est-il imaginable que Hachem “oublie” pour parler à Son sujet de “souvenir” ?!

– Quel est le rôle du Chofar dans notre relation à Hachem ? Et quelle est sa place dans l’Histoire ?!

Dans les Tefilot de Roch Hachana, après la sonnerie du Chofar qui accompagne chacune des trois Berakhot, nous disons “Hayom Harat Olam …” généralement traduit par : “Aujourd’hui le Monde a été créé …”.

Le Monde ayant été créé le 25 Elloul, le 1 Tichri – Roch Hachana correspond au sixième jour, jour de la Création de l’Homme, Adam Harichone.

La suite de cette Tefila mentionne que ce jour est le jour du “Jugement”. Il ressort de là que ce Jugement, qui coïncide avec l’anniversaire de l’aboutissement de la Création, la Création de l’Homme, est, en quelque sorte, le jour annuel du “bilan”. Il s’agit de constater dans quelle mesure les “objectifs” ont été atteints ?!

Nous arrivons là au point fondamental de la compréhension de l’existence et de l’Histoire.

A l’opposé des conceptions “aléatoires” du Monde, qui n’y voient qu’une suite d’évènements décousue, sans finalité, nous savons que nous avons notre place dans un “projet” grandiose. Hachem a créé le Monde pour l’Homme qui en est l’apogée, et dont le but est de réaliser pleinement sa relation au Créateur.

Adam Harichone représentait l’exemple de l’Homme le plus “accompli” de la Création, mais la possibilité de choisir la manière de “servir” Hachem (c’est-à-dire de lier chacun de ses instants à la Volonté de Hachem) l’amena à un choix erroné qui aboutit à un obscurcissement de sa conscience.

Là où Adam ne voyait initialement que la possibilité d’accomplir la Volonté de Hachem, il entra dans un état où l’éventualité d’un écart existait. C’est ce qui s’appelle la “connaissance” du bien et du mal, à la place d’une conscience claire de l’opposition entre la vérité (la réalité) et le mensonge (l’illusion) ! (Voir Rav Dessler, Mikhtav MeEliahou II, p.137 et suivantes).

Depuis cette erreur fatale, l’Homme est confronté à l’épreuve de régénérer dans ce monde “obscurci” la conscience permanente de la Création, ce qui s’appelle “ramener la Présence de Hachem dans le Monde” ! Hachem est bien sûr “Omniprésent” ; rien n’existe, à aucun instant, sans Sa volonté.

Mais le manque de conscience de ce fait de la part de la Créature centrale, l’Homme, occulte cette Présence. L’Histoire du Monde est axée sur cet objectif, et chaque Roch Hachana est le moment du “bilan” pour “faire le point” sur l’avancement de ce Projet.

Rav Moché ‘Haïm Luzzato (Maamar Ha’Hokhma) explique ainsi ce qu’on ajoute dans la troisième Berakha de la Tefila : “Ata Kadoch”. Nous prions alors pour que Hachem soit enfin plus perceptible dans le Monde, afin que l’Histoire de la Création aboutisse à sa réalisation. Cet objectif passe essentiellement par Israël, le Peuple héritier de la prise de conscience d’Avraham, complétée par les efforts successifs d’Its’hak et Yaacov. La Kedoucha surgira à partir de l’élévation spirituelle d’Israël (la conscience de la Présence du Créateur) qui rayonnera sur l’ensemble de l’humanité.

A partir des explications concises de Rav Luzzato que les trois Berakhot représentent les facettes de Roch Hachana, nous pouvons développer :

– Malkhouyot, la conscience de la Royauté de Hachem, qui constitue tout notre appui dans l’existence. Pour cela, nous devons rompre avec les clichés usés de la royauté exploitant le peuple, pour revenir à une définition saine du roi qui “porte” sa nation.

L’échec des nations devient de plus en plus manifeste, et nous pouvons mieux réaliser combien leur conception faussée est la cause de leur déchéance, plutôt que de condamner le régime royal au profit d’autres modèles politiques qui débouchent aujourd’hui sur une faillite spectaculaire de leur système de valeurs ! …

– Zikhronot, le “Jugement” réel, associant tous les temps de l’Histoire, passé, présent et futur, pour préciser la place de chacun dans le “programme” de la Création. Tous les actes, paroles, et pensées de tous s’inscrivent dans l’Histoire de la Création. Hachem accorde à chaque choix de chaque homme son impact dans l’aboutissement de la Création. Il nous incombe de faire des choix qui nous situent dans la participation positive à ce projet.

Les Rechaïm, quant à eux, ont leur place dans l’Histoire par les efforts que leurs démarches négatives imposent aux Tsadikim pour “remonter le courant”. (Voir Mikhtav MeEliahou de Rav Dessler I, p.251; II, p.82; IV, p.102). Dans l’effondrement du monde actuel et de ses “valeurs”, lorsque tous les idéaux ont révélé leurs failles profondes, il est grand temps pour nous d’assumer notre fonction de “représentants” de Hachem dans les ténèbres des nations.

– Chofarot, les “carrefours” fondamentaux de la Création sont marqués par une manifestation définie par le Chofar : Matane Torah (le Don de la Torah) a été accompagné du son du Chofar (Chemot, 19,16). L’aboutissement de la Gueoula (Délivrance) ultime sera accompagné du son du Chofar que le Navi Yechayahou qualifie de “Chofar Gadol” (le “grand” Chofar) (27, 13).

Il va de soi que nous ne percevons pas le sens profond de cette notion du Chofar !

Mais comprenons-nous réellement tous les phénomènes “naturels” auxquels nous sommes habitués, au point de ne même plus les remarquer (la respiration, les divers mécanismes de notre corps, la simple présence du soleil, etc…).

Le “Jugement” de Roch Hachana consiste ainsi dans l’analyse de la position de chacun dans l’avancement du “projet” de Hachem.

Dans quelle mesure sommes-nous suffisamment conscients de la Présence de Hachem à nos côtés à chaque instant, comme “Roi” face à Ses sujets ?!

Dans quelle mesure réalisons-nous combien l’obscurité du monde qui nous entoure occulte cette Présence ? Comprenons-nous qu’il nous incombe de percer ces ténèbres pour assumer notre rôle “d’ambassadeurs” de Hachem ?!  Suivons-nous l’exemple des Grands de notre Peuple qui ont inspiré le respect des non-juifs par la dimension Divine de leurs qualités ?!

Rav Moché ‘Haïm Luzzato explique que le son du Chofar vient renforcer la manifestation de Matane Torah, et préparer la manifestation éclatante de la Gueoula Ultime.

Rav Matityahou Salomon compare la préparation à Roch Hachana à la préparation à une séance de photos chez le photographe. On soigne sa présentation, on vérifie qu’il n’y ait pas de taches sur nos vêtements, on ajuste tous les plis et revers ! Le but étant de paraître au mieux sur la photo !

Ainsi, à Roch Hachana, ce qui est jugé, ce n’est pas tant le passé, avec son cortège d’erreurs plus ou moins excusables ou réparables !

Ce qui importe, c’est le projet que nous présentons face à Hachem, le “budget prévisionnel” de notre “activité” dans le programme de Hachem.

Rav Matityahou explique que la dimension de Yom Kippour est toute autre. A Yom Kipour, nous nous présentons devant Hachem comme devant un médecin auquel nous exposons tous nos “bobos”, sans rien cacher, afin qu’Il nous aide à surmonter nos faiblesses passées. C’est pourquoi nous disons la prière du Vidouï (la reconnaissance de nos fautes) à Yom Kippour et pas à Roch Hachana.

Roch Hachana doit être abordé avec sérieux, de même que nous nous préparons à affronter le banquier pour négocier un nouveau crédit.

Mais n’oublions surtout pas que nous avons affaire à “Un Banquier” qui sonde notre cœur et sait reconnaitre la sincérité de notre projet.

Que Hachem nous aide à faire de ce Roch Hachana une véritable réussite qui fasse avancer réellement la Création vers son accomplissement.

שבת שלום !