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Nous voici à nouveau au seuil de Tich’a BeAv, qui clôture les trois semaines depuis le 17 Tamouz.
A partir du 17 Tamouz, qui est la date de la faute du Eguel (Veau d’or) nous lisons le Chabat des Haftarot de « sanction » (de mise en garde par les Neviim contre les conséquences de nos fautes).
L’apogée de cette période douloureuse, Tich’a BeAv, nous replonge dans le deuil qu’il représente pour nous.
Cette période fut scellée lors du retour des Meraglim (Explorateurs) que Moché Rabénou avait envoyés en Erets Israël, dont le rapport défavorable a entraîné les pleurs des Bené Israël. De là découla le décret des malheurs qui frapperaient les Bené Israël au fil du temps, en particulier la destruction des deux Beth HaMikdach (Temple) à 490 ans d’intervalle à cette même date.
Comme toutes les Mitsvot, le deuil qui nous est dicté à Tich’a BeAv n’est certainement pas l’expression d’une tristesse stérile, mais celle d’une démarche de réflexion sur les manques dans nos actions qui ont conduit à ces malheurs. Nous devons chercher à réparer ces manques. En effet, si nous n’avons pas mérité de vivre en présence du Beth HaMikdach jusqu’à ce jour, c’est que les raisons qui ont mené à sa destruction sont encore présentes en nous.
Mais comment comprendre que dès le jour de Tich’a BeAv nous « atténuons » le deuil à partir de l’après-midi, comme il est mentionné dans le Choul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm, 559, 3) ?!
Qu’avons-nous fait dans la première partie de la journée pour justifier cet allègement !
De plus, dès le Chabat suivant, commencent les sept Chabatot de « réconfort », c’est-à-dire les sept Chabatot où nous lisons, après la lecture de la Torah, des textes de Haftara (extraits des Neviim-Prophètes) réconfortants (Ora’h ‘Haïm 428, 8).
Cet enchaînement des trois semaines douloureuses (du 17 Tamouz à Tich’a BeAv), puis des sept semaines de « réconfort » (alors que la raison de leur place à cette période particulière nous échappe…), et qui aboutissent à Roch Hachana, Yom Kippour et Soucot est étonnant….
Comment relier les « trois semaines » de deuil entre les deux jeûnes (17 Tamouz et 9 Av) à un quelconque réconfort, avant d’avoir réparé nos manques si peu que ce soit ?! Et comment rattacher tout cela à la période de Tichri et ses Moadim (« rendez-vous »), jours de rencontre particulière avec Hachem ?!
Serait-ce que nous fuyions les sentiments empreints de tristesse et de lourdeur de Tich’a BeAv, comme si ce jour devait passer prestement de notre mémoire ?!
La lecture de la Torah de Tich’a BeAv est issue de la Paracha Vaèt’hanan que nous lisons le Chabat qui suit Tich’a BeAv, sensé amorcer une période de « consolation », et cette année, dès le surlendemain du Jeûne …
Toutefois, il est remarquable que dans la Paracha Vaèt’hanan, qui ouvre sur la période de « réconfort », Moché Rabénou mentionne la faute de Peor (Devarim 4, 29-5, 4).
Vient ensuite un bref rappel de Maamad Har Sinaï, et des mises en garde contre la tentation de l’idolâtrie (tentation qui nous échappe, car les ‘Hakhamim à l’époque du second Beth HaMikdach ont prié pour que soit annulé le pouvoir du Yétser Hara dans ce domaine). (4, 9-24).
Enfin, après ces préambules vient précisément le passage que nous lisons le matin de Tich’a BeAv ! (4, 25-40). Ce passage commence par le verset (Devarim 4, 25) : « Lorsque tu mettras au monde des fils et des petit-fils, et que vous « vieillirez » dans la Terre, et vous vous détériorerez, et vous ferez des idoles etc… ».
Comment comprendre aussi que le « réconfort » commence avec la Paracha qui nous annonce la Galout ?!
Et que signifie cet avertissement du risque de « vieillissement » en Erets Israël, qui mènerait à l’abandon du lien avec Hachem, et à la dispersion parmi les peuples (4, 25-28) ?
Rav Its’hak Zeev Yadler (‘Houmach Tiférèt Tsion) explique le terme « Venochanetèm » (vous « vieillirez ») du verset :
– L’homme qui place l’essentiel de son intérêt dans les choses spirituelles, est qualifié dans son grand âge par le terme « Zakène » : « qui a acquis la Sagesse », chacun à son niveau.
– Mais celui dont la préoccupation tourne principalement autour des choses matérielles, est désigné par le terme « Yachane » – vieux, car son corps a vieilli comme toutes les choses matérielles qui finissent par s’user.
Le verset vient ainsi sanctionner l’usure des générations qui ne possèderont rien qui justifie du terme « Zakène », car elles n’auront rien acquis !
La conséquence inévitable est « Vehich’hatèm » : « vous vous détériorerez », car, vides de Torah et d’actions positives, ils tomberont certainement dans l’immoralité et l’idolâtrie, auxquelles on ne peut échapper qu’au moyen des efforts constants dans l’étude de la Torah et des actions positives (Voir Bamidbar 15, 39 ; le passage dédié aux Tsitsit).
Pour le Haamèk Davar, le « vieillissement » mentionné dans ce verset tel que l’oubli du lien avec Hachem, est dû à un investissement exclusif dans la subsistance et la culture de la terre. Ces occupations mènent à croire que la réussite dépend du soleil et autres conditions naturelles, jusqu’à partager les croyances des peuples qui dédient un culte au soleil pour s’assurer la prospérité.
Rav Chimchon Raphaël Hirsch souligne qu’à la différence de « Zakène » – terme qui s’oppose à « Tsa’ir » (jeune), « Yachane » est le contraire de « ‘Hadach » (neuf) et de « Raanan » (épanoui, frais).
Il explique qu’après avoir vécu pendant deux ou trois générations en Terre (d’Israël), les habitants se considèreront comme citoyens d’un peuple né dans la Terre, et oublieront leurs origines. Ils se détourneront de Celui Qui leur a donné la Terre et Qui les y maintient. Rav Hirsch souligne que c’est pour ces raisons, que nous avons reçu tant de Mitsvot destinées à prévenir ce danger.
Rav ‘Haïm Ephraïm Zaïtchik (Or Hanéfech, p.392) souligne le danger de l’accoutumance qui entraîne une « usure » des impressions. L’émerveillement premier des bienfaits que Hachem nous prodigue cède rapidement la place à la banalisation et à l’oubli. De là la chute à l’ennui et à la dépression.
La garantie exclusive de l’intérêt pour les Mitsvot est l’éveil permanent et l’émerveillement ininterrompu. Rav Zaïtchik énumère les manifestations de cette notion à travers la Torah et les évènements de notre Histoire.
Il rapporte, entre autres, l’anecdote suivante relative au ‘Hafets ‘Haïm, Grand parmi les Grands de notre Peuple il y a un siècle.
Au cours de son exil dans les profondeurs de la Russie pendant la première Guerre mondiale, le ‘Hafets ‘Haïm fut choqué de voir un Juif transgresser le Chabat (spectacle révoltant auquel il n’était pas exposé dans sa ville d’origine …).
Le ‘Hafets ‘Haïm en fut secoué et trembla de tous ses membres. En arrivant à sa demeure, il éclata en sanglots.
Il se lamenta, disant qu’il lui était arrivé là, à l’âge de 60 ans, ce qu’il n’avait jamais vu pendant 60 ans.
Il déplorait la « punition qui lui avait été infligée là d’être témoin d’un tel spectacle, sans pouvoir se consoler.
Lorsqu’après trois Chabatot, il fut à nouveau exposé à ce même spectacle choquant, il eut la même réaction. Toutefois, il s’empressa d’aller parler longuement à sa Yechiva, soulignant qu’il ressentait un affaiblissement de sa réaction par rapport à la première fois. Il lui semblait (« à son niveau » …) qu’il s’était déjà accoutumé si peu que ce soit à un évènement qui doit secouer jusqu’au plus profond de notre être. Tels étaient des personnages de la dimension du ‘Hafets ‘Haïm !
Voyons encore des extraits de la Paracha Vaèt’hanan qui suit chaque année immédiatement Tich’a BeAv.
Moché Rabénou met en garde (Devarim 4, 9-10) contre le risque d’oubli de l’évènement grandiose de Maamad Har Sinaï, lorsque nous avons reçu la Torah dans une manifestation extraordinaire de la Présence de Hachem. Toute notre existence dépend de notre capacité à conserver la « fraicheur » de nos sentiments et de nos souvenirs.
Combien parmi nous ne cèdent pas à la « nostalgie » de la mémoire émue mais stérile du grand-père ou de l’arrière-grand-père « rabbin » ou Cho’hèt en Algérie, au Maroc, en Pologne ou en Lituanie etc… ?!
Combien ne se contentent pas des souvenirs, qui restent de simples souvenirs sans implication actuelle, des jeunes années enthousiastes à la Yechiva ?!
Tout cela reste malheureusement de l’ordre du « souvenir », sans impact sur le vécu présent !
Ainsi, le deuil de Tich’a BeAv lui-même risque de n’être qu’une pratique « sèche », « machinale », sans effet d’éveil.
C’est là le sens du réveil auquel nous sommes appelés par la rupture des manifestations de deuil dans l’après-midi de Tich’a BeAv.
C’est l’appel de la Paracha Vaèt’hanan, immédiatement au sortir de Tich’a BeAv, à ranimer la « flamme » en nous, pour « remonter » au niveau d’éveil vital.
C’est le sens des 7 semaines accompagnées par des Haftarot d’encouragement pour nous préparer à notre rendez-vous de Tichri avec Hachem.
Délivrons-nous d’un deuil stérile et préparons-nous dès Tich’a BeAv à ce renouveau, afin de mériter enfin la Gueoula (Délivrance) complète !
שבת שלום !