Parasha – 10 VAYICHLAH 5782

La Paracha Vayichla’h est celle de la confrontation entre Yaacov et Essav, au retour de Yaacov de chez Lavane, accompagné de sa nombreuse famille et de ses troupeaux considérables.

La Paracha nous décrit abondamment les péripéties de ces « retrouvailles ».

Rachi (Beréchit 32, 9) rapporte que Yaacov Avinou s’apprête à cette confrontation de trois façons :

  • Par des cadeaux (pour amadouer Essav…)
  • Par la Tefila (ce qui est en réalité l’essentiel ! où il demande à Hachem de le sauver (32, 10-13)
  • Et enfin par la « guerre » face à Essav, si nécessaire. (Les initiatives concrètes de Yaacov ne viennent en réalité que pour respecter la volonté Divine que l’homme agisse selon les règles de la nature et pour minimiser le Ness (Miracle) comme dans chaque action des Avot).

Le Ramban explique cette « guerre » de façon totalement différente de ce que nous concevons sous cette appellation.

Dans son introduction à la Paracha, le Ramban explique que cette Paracha décrit comment Hachem a sauvé Yaacov, ce qui est un « modèle » pour les générations futures dans la confrontation avec le monde d’Essav.

Nous devons nous inspirer de l’exemple du Tsadik, et nous préparer aux trois choses auxquelles il s’est lui-même préparé.

Le Ramban dit : « …et au sauvetage selon le chemin de la guerre, de s’enfuir et d’être sauvé ».

Nous sommes loin ici des « hauts faits » de bravoure stérile qui parsèment la littérature du monde qui nous entoure, « façon Cambronne », (général napoléonien supposé avoir répondu grossièrement à l’invitation à se rendre lors de la bataille de Waterloo où Napoléon fut vaincu).

La victoire consiste pour nous à faire les efforts nécessaires pour rester dans ce monde pour servir Hachem, et non à « briller » dans les livres d’histoire, ou dans les « contes et légendes » …

Examinons la « stratégie » de Yaacov Avinou :

Il commence par adresser des « Mal’akhim », des « messagers d’apaisement » à Essav (4-6), (Rachi nous dit que ses « Mal’akhim  » – messagers sont de véritables Mal’akhim (anges).

Lorsque ses émissaires lui rapportent que Essav vient à sa rencontre, accompagné d’une troupe armée nombreuse, Yaacov envoie à Essav des cadeaux de bétail somptueux (32, 14-22).

Plus tard, après avoir fait traverser une rivière à sa famille, Yaacov est confronté toute une nuit à un adversaire que nos ‘Hakhamim (cité par Rachi,32,24) identifient comme le « Sar » (l’ange tutélaire) d’Essav. Ce combat est en réalité d’ordre essentiellement spirituel, et représente l’affrontement entre le Yetser Hatov (le penchant pour le bien) représenté par Yaacov, et le Yétser Hara (le penchant pour le mal, l’opposition à la manifestation exclusive de la Présence Divine dans le monde), représenté par Essav qui prône un monde tourné vers les « valeurs » matérielles.

Arrive enfin la rencontre entre Yaacov et Essav, ainsi que leur dialogue (33, 1-17).

Leur entretien se déroule apparemment comme une manifestation de soumission totale de Yaacov à Essav. Yaacov devance ses épouses et ses enfants et s’avance alors vers Essav, en se prosternant sept fois avant d’arriver jusqu’à lui.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       

Essav court à sa rencontre, l’étreint et l’embrasse, et tous deux pleurent.

Essav voit alors les épouses de Yaacov et leurs enfants et s’étonne : « Qui sont ceux-là pour toi ? ». Et Yaacov lui répond : « …les enfants que Dieu a accordés à ton serviteur ».

Les épouses et leurs enfants s’avancent ensuite et se prosternent.

Essav proteste ensuite contre les cadeaux, en disant qu’il a lui-même des biens en surabondance. Mais Yaacov Avinou insiste et dit que Hachem l’a gratifié et qu’il a « tout », et Essav cède et accepte les cadeaux.

Après cela, Essav propose à Yaacov de cheminer de concert, et, devant le refus de Yaacov, propose de lui accorder une escorte, que Yaacov refuse pareillement.

Tout cela semble « plein de poésie » !

Nous savons, bien évidemment, que la Torah n’est pas un recueil de romantisme façon « 19ème siècle ». Sous les apparences simples, se cache un sens profond touchant aux véritables enjeux de la Création.

Essav n’est pas un « jouisseur » ordinaire.

A la base, il est l’égal de Yaacov dans l’héritage d’Avraham et Its’hak, nos Avot. Son destin initial était d’être l’associé de Yaacov dans la Avoda (Service de Hachem). Son rôle devait être de prolonger la Avoda de maîtrise des élans personnels de Its’hak. Sa déviation consiste en une valorisation spécifique des « valeurs matérielles ». (Voir nos Divré Torah sur ces Parachiot, disponibles sur demande à kvlhm.ezr@gmail.com).

Rachi rapporte (25, 22) l’explication de nos ‘Hakhamim sur le fait que les deux enfants s’agitaient dans le ventre de leur mère Rivka Iménou : « ils disputaient la possession des deux mondes « Olam Hazé » (celui que nous voyons), et « Olam Haba » (le monde « à venir ») ».

Rav ‘Haïm Friedlander (Sifté ‘Haïm, Beréchit, p.415 et suivantes) développe l’étude de Yaacov et Essav, représentants Essav de « ce monde », et Yaacov du « monde à venir ». Il souligne (p. 423) au nom du Zohar HaKadoch que le « monde à venir » ne doit pas être compris au « futur ».

Il ne s’agit pas d’un monde qui « viendra » après celui du quotidien. C’est le « monde qui vient en parallèle du quotidien » au présent, et se construit par nos actions.  

Rav Friedlander remarque qu’au retour de Yaacov de chez Lavane le conflit semblerait s’être éteint, Essav allant jusqu’à proposer à Yaacov une forme « d’association »…

Toutefois le refus de Yaacov montre qu’il n’en est rien.

Rav Friedlander souligne (p.422) l’étonnement d’Essav devant la prospérité matérielle de Yaacov à son retour de chez Lavane.

Essav considérait jusque-là que le « partage » entre eux, attribuant à Essav « ce » monde-ci, en échange de ce que Yaacov choisissait le « Olam Haba » », impliquait un désinvestissement total de Yaacov des biens matériels.

En constatant la richesse impressionnante de Yaacov, et sa famille épanouie, Essav veut remettre en cause la répartition. S’il est possible d’accéder à « un peu » de « Olam Haba » sans renoncer au « Olam Hazé », alors « pourquoi se priver » ?!

Cette erreur fondamentale d’Essav, à laquelle Yaacov ne peut en aucun cas souscrire si peu que ce soit, est de croire à la dichotomie entre les deux facettes de la Création, les valeurs spirituelles et les « valeurs » matérielles.

Rav Friedlander rapporte la Michna (Berakhot 54a) qui dit qu’au Beth HaMikdach (le Temple) les Berakhot étaient ponctuées par les termes « Baroukh Hachem Eloké Israël ad Haolam » (Bénit soit Hachem Dieu d’Israël « jusqu’au monde »).

Après que les hérétiques dévièrent et dirent qu’il n’y a qu’un seul monde (celui du quotidien matériel), les ‘Hakhamim ajoutèrent « min Haolam vead Haolam », pour souligner la présence des valeurs spirituelles fondamentales.

Rav Friedlander demande pourquoi les ‘Hakhamim ne mentionnaient initialement « qu’un seul monde » ?! Il répond qu’en réalité il n’y a « qu’un monde » en tout, la réalité matérielle n’ayant comme but que d’aider à la construction du « Monde spirituel ».

Nous pouvons comprendre ainsi l’attitude de Yaacov, qui, au nom de la fragilité des enfants, refuse la moindre association avec Essav.

C’est également le sens de la réponse de Yaacov pour qu’Essav accepte ses cadeaux : « J’ai tout ».

Pour Yaacov, les biens matériels ne sont pas une réalité distincte des valeurs spirituelles. Ses biens sont un outil dans la construction de son « monde », y compris pour acheter la « bienveillance » d’Essav. Plus tard il ira jusqu’à abandonner à Essav toutes ses acquisitions de chez Lavane en échange de sa place dans Me’arat Hamakhpéla pour y être enterré aux côtés de Léa et des Avot, Avraham et Its’hak, ainsi que Adam et ‘Hava (Rachi 50,5).

Rav Dessler (Mikhtav MeEliahou, III, p.155-156) analyse la rencontre de Yaacov et Essav, ainsi que le fait que Yaacov se soit prosterné. Il cite le Zohar HaKadoch qui explique qu’en réalité c’est à Hachem que Yaacov se prosternait. Rav Dessler explique que derrière l’apparente soumission à Essav, c’est au décret Divin de la Galout (l’Exil) que Yaacov se soumet.

C’est là que réside la véritable victoire de Yaacov sur Lavane et Essav (Rachi 32, 29).

Si Yaacov a clairement eu le dessus sur Lavane, en quoi est-il considéré comme l’ayant également emporté sur Essav ?

Il s’agit là de la victoire profonde sur l’épreuve d’acceptation des décrets de Hachem.

Rav Dessler explique que c’est en cela que la Galout n’a jamais entamé l’âme du Peuple d’Israël. Toutes les concessions et flatteries faites aux ennemis n’ont jamais agi sur nos ancêtres au fil des générations.

Ce n’est que dans l’époque moderne, avec l’affaiblissement des valeurs intérieures que nos ennemis ont pris de la valeur à nos yeux, ce qui a entrainé un sentiment de honte et une tendance à suivre leur comportement. La perte de la conscience de notre véritable grandeur mène à valoriser le monde d’Essav.

C’est ce danger que Yaacov Avinou voyait pour ses descendants dans la proximité avec les enfants d’Essav.

La vie de Yaacov n’est pas construite sur l’ascèse en opposition à l’opulence de l’existence d’Essav.

Comme nous l’avons vu dans le Dvar Torah de la semaine passée, au nom de Rav Eliachiv, la vraie vie de Torah se situe dans la conservation de notre intériorité quelles que soient les péripéties de l’existence.

Dans la richesse comme dans le dénuement matériel, nous devons garder précieusement notre identité profonde d’héritiers des Avot.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
Tel  France : 01 77 47 24 71   Israel : 05 33 12 24 36