Parasha – 09 VAYETSE 5782

La Paracha Vayétsé décrit le séjour de Yaacov Avinou chez son oncle Lavane.

Yaacov ayant reçu les Berakhot de Its’hak à la place de son frère Essav, il est contraint de fuir le foyer de ses parents Its’hak et Rivka, afin d’échapper à la colère de Essav.

Nos ‘Hakhamim déduisent du verset (Rachi – Beréchit 28, 9) qu’à son arrivée chez Lavane, Yaacov était âgé de 77ans, soit quatorze ans après avoir reçu les Berakhot de son père.

Ils expliquent que Yaacov s’est préparé au séjour “corrosif” dans l’environnement de Lavane en allant étudier la Torah pendant quatorze ans à la Yechiva de Chem (le fils de Noa’h) et Ever son petit-fils.

Rav Yaacov Kamenetski explique (Emet leYaacov, p.164) que la Torah enseignée chez Chem et Ever différait de celle que Yaacov avait reçue de son grand-père Avraham Avinou et de son père Its’hak.

Les Avot avaient construit un environnement protégé de Yechiva, apte à grandir et s’élever considérablement dans la Emouna (ce qui explique la décision de Sarah Iménou de bannir Yichmaël dont le comportement était inapproprié… 21, 9-10).

Par contre, Chem et Ever, qui avaient vécu exposés au contact des Rechaïm, enseignaient la Torah en lutte avec l’environnement hostile.

Les évènements décrits dans cette Paracha contrastent très fortement avec l’existence antérieure de Yaacov Avinou, qui semblait être destiné à une vie d’étude et de Avodat Hachem (Service de Hachem) permanentes.

La construction d’une cellule familiale de quatre épouses (Ra’hel et Léa, auxquelles se sont adjointes Bilha et Zilpa), puis l’acquisition en six ans (31, 41) de troupeaux considérables ne correspondent pas dans notre esprit au portrait du Tsadik “type” tel que nous nous projetons.

De plus, l’image de Yaacov Avinou, disciple d’Avraham et Its’hak, qui va travailler comme simple berger pour son oncle Lavane pendant vingt ans, de l’âge de 77 ans à 97 ans, nous interpelle !

Yaacov avait jusque-là consacré chaque instant à l’étude de La Torah, comme le souligne Rachi sur le verset (28, 11) : “…il se coucha à cet endroit” (le Har HaMoria – emplacement de la Akédat Its’hak, où le Beth HaMikdach se dressera plus tard).

C’est seulement à cet endroit que Yaacov se coucha, mais pendant les quatorze ans chez Chem et Ever, Yaacov ne s’était pas couché, afin de rester disponible pour l’étude de la Torah.

Yaacov allait se retrouver brusquement projeté dans un monde totalement étranger.

Il n’y a aucun “hasard” dans le fonctionnement du monde, et la Torah ne choisit certainement pas les faits qu’elle décrit en fonction de leur qualité “journalistique” !

Dans le Dvar Torah de l’année précédente (disponible sur demande à kvlhm.ezr@gmail.com), nous avions abordé la question de ce “virage” dans l’existence de Yaacov Avinou, que Rav Guedaliahou Scherr explique ainsi : cette partie de la “construction” de notre ancêtre Yaacov est liée à la Berakha initialement destinée à Essav, que Yaacov a “reprise à son compte”.

Si Essav avait assumé la Avoda qui lui était assignée initialement, c’est lui qui aurait développé le Kidouch Hachem (la sanctification du Nom de Hachem) dans l’activité matérielle.

Toutefois, dès lors que Yaacov reçut cette Berakha, c’est à lui qu’il incombait de “cumuler” cette mission avec celle de l’étude de la Torah.

Le “détournement” de la Berakha a également entrainé qu’au lieu que les Cohanim soient issus de Yaacov, et les Melakhim (rois) d’Essav, les deux facettes complémentaires (la Kehouna et la Malkhout) seraient issues exclusivement de Yaacov.

La Avoda quotidienne de Yaacov devenait ainsi une épreuve consistant à conserver son niveau spirituel magnifique tout en étant “plongé” dans les tâches prosaïques du métier de berger.

Et au fil des générations, nous avons maints exemples similaires de cette épreuve :

Moché Rabénou a également été mis à l’épreuve de cette manière avant que Hachem ne lui confie la responsabilité incomparable de mener les Bené Israël de la Sortie d’Egypte au Don de la Torah.

De même, David HaMélekh ne fut révélé par Hachem qu’après de longues années de “servitude” en tant que berger au sein-même de sa famille, lorsque Hachem envoya Chemouel HaNavi l’oindre à l’âge de vingt-huit ans (Midrach rapporté par Rav ‘Haïm Friedlander dans Sifté ‘Haïm, Midot veAvodat Hachem, p.204).

La Guemara (Taanit p.23) cite un Grand parmi les Tannaïm (les ‘Hakhamim de la Michna), Aba ‘Hilkya, qui travaillait dans les champs en tant qu’ouvrier journalier et qui reçut la visite des ‘Hakhamim qui venaient le solliciter de prier pour faire tomber la pluie. Ce personnage, jugé apte à obtenir la grâce Divine et la pluie, ne s’interrompit pas pour accueillir ses visiteurs, afin de ne pas “voler” un instant de son travail !

Rav Eliachiv développe l’analyse des deux périodes de la Avoda de Yaacov Avinou (Divré Agada, p.88). Il cite un Midrach (Yalkout Chim’oni, Vayétsé,119) qui dit que pendant les vingt ans qu’il a gardé les troupeaux de Lavane, Yaacov Avinou récitait les Tehilim. (Que David HaMélekh a donc “renouvelés” …).

Il va de soi qu’il ne s’agit pas de la récitation toute “simple” que nous connaissons, mais d’une approche infiniment plus profonde.

Toutefois cette Avoda contraste radicalement avec la période précédente.

Rav Eliachiv explique que par sa Avoda, Yaacov deviendrait un guide et une référence pour les générations à venir.

Un “Ben Torah” (littéralement “fils de la Torah”) est au-dessus des contraintes du temps. Sa dimension ne se mesure pas au “pointage” d’un certain nombre d’heures d’étude “académique”, mais à son dévouement total à son lien avec la Torah. Et s’il arrive qu’il soit contraint par les circonstances de faire face à d’autres obligations, il n’en garde pas moins son “titre” de Ben Torah et sa réelle Grandeur.

La Torah témoigne que pendant les 14 ans d’étude chez Chem et Ever (entre la réception de la Berakha d’Its’hak et le départ chez Lavane, voir Rachi 28,9) Yaacov Avinou (“l’assidu” par excellence …) ne s’est jamais couché et sa dimension d’assiduité est restée intacte tout au long de son séjour chez Lavane (28, 11).

Rav Eliachiv cite Rabbi Israël Salanter qui compare cela à un pauvre qui va de maison en maison pour quémander de la nourriture. S’il s’attache au “protocole” des repas et veut consommer dans l’ordre les entrées, puis le plat de résistance et enfin le dessert, il risque de rester affamé. Il doit se satisfaire de ce qui est disponible à chaque porte où il frappe. Ainsi doit-on faire pour la Torah : en situation extrême, pour la construction spirituelle, il faut “faire feu de tout bois”.

C’est ainsi que Rav Eliachiv explique le rêve prophétique de l’échelle que Yaacov a reçu. Quand on regarde le haut de l’échelle, on prend peur : comment gravir une telle hauteur ?! Mais si on se contente de regarder un échelon à la fois, on finit par arriver en haut.

Au seuil de cette étape chez Lavan, Hachem lui dictait un nouveau chemin.

C’est également la leçon qui nous est transmise ici pour toutes les générations.

Revenons à l’épreuve quotidienne de Yaacov.

Rav Chimchon Pinkus (Tiférèt Chimchon, p.312, 318, 319) souligne diverses facettes de l’épreuve.

Nous avons cité Rav Guedalyahou Scherr qui explique qu’après avoir reçu la Berakha de Its’hak à la place d’Essav, Yaacov doit “changer de cap” afin d’endosser la mission qui avait été initialement assignée à Essav. Il explique que c’est le sens de l’enseignement de la Guemara (‘Haguiga 15a) qui dit que le Tsadik “prend” la part du Racha au Gan Eden. Il ne s’agit pas d’un “appartement spacieux” dans un “paradis” d’image d’Epinal ! Il ne s’agit que de remplir la mission à laquelle le Racha a failli.

Plus loin, la Torah dit : “Yaacov travailla pour Ra’hel sept années, et elles furent à ses yeux comme quelques jours dans son amour pour elle” (29, 20). Ce verset soulève particulièrement l’étonnement ! Le fait qu’une chose soit très attendue rend généralement le temps “long” !

Rav Pinkus cite Rav Aharon Kotler qui dit que pendant cette période précédant son mariage avec Ra’hel, Yaacov s’est préparé à la construction du Peuple d’Israël.

Rav Pinkus développe cette réponse de Rav Kotler en comparant cela à quelqu’un qui aurait un besoin vital d’un million de dollars. Si on lui promet qu’il recevra cette somme dans cent jours, chaque jour qui le sépare du but lui semblera une année. Mais si on lui propose un emploi devant lui rapporter dix-mille dollars par jour, il valorisera positivement chaque jour qui contribue à l’obtention de la somme totale.

Ainsi en était-il des années de Yaacov Avinou chez Lavane. Pour lui, ce n’était pas le “contrat” avec Lavane qui était en jeu, mais la Avoda qu’il devait accomplir en vue d’être à même de construire la Peuple de Hachem.

Rav Pinkus souligne encore un aspect important de la Avoda de Yaacov Avinou au cours de cette période. Comment réagirions-nous face à la malhonnêteté d’un être tel que Lavane ? Serions-nous aptes à travailler avec la même assiduité sept années supplémentaires, après avoir été grugés par un “Lavane” qui, après avoir conclu le contrat avec Yaacov de lui accorder Ra’hel à l’issue de sept ans de travail, lui impose de travailler encore sept ans de plus pour “payer” ce qui lui était déjà dû ?! Qui peut prétendre être capable d’un tel exploit ?!

C’est dans ces diverses épreuves que se situait la seconde mission de la Avoda de Yaacov.

Yaacov est resté le même “Ben Torah” par excellence, depuis les quatorze ans pendant lesquels il a étudié chez Chem et Ever (couronnant les soixante premières années de sa vie auprès de son grand-père Avraham et de son père Its’hak …) où il ne se coucha pas afin de rester disponible à l’étude de la Torah, jusqu’aux vingt ans de travail “inférieur” chez Lavane, avec la même disponibilité !

C’est dans ces épreuves que se “forge” Yaacov, l’apogée des Avot. C’est ainsi qu’il construit “l’héritage” qu’il transmettra à son fils Yossef (appelé, lui aussi, à vivre l’épreuve de la Galout (l’exil), pendant 22 ans en Egypte), puis à tous les Grands (et “moins grands”… comme chacun d’entre nous…) de notre Peuple, comme Moché Rabénou, David HaMélekh, et Aba ‘Hilkya, que nous avons cités plus haut.

La grandeur des Avot (Patriarches) ne se limite pas dans les moments d’exaltation, mais encore plus dans les situations difficiles.

C’est l’héritage que nous transmettent les Parachiot de Beréchit.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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