Parasha – 08 TOLDOT 5782

La Paracha Toldot est la seule Paracha qui a été consacrée à Its’hak Avinou. Elle est toutefois peu prodigue en détails sur son existence et les point “forts” de sa Avoda (le Service de Hachem).

De prime abord, Its’hak Avinou semble faire l’objet d’une critique implicite dans son attachement à Essav qui se manifeste par deux fois dans les versets : “Its’hak aimait Essav …” (Beréchit 25, 28) et : “… il appela Essav, son grand fils … afin que mon âme te bénisse…” (27, 1-4).

La modicité des informations que la Torah nous dévoile à propos de Its’hak, jointe au fait que sa Avoda est définie par tous nos enseignements comme basée sur la “Yir’a” (la crainte de Hachem), nous donnent une image plutôt austère de Its’hak et donc peu “attrayante”, concourent à créer une certaine “désaffection” à l’égard du second de nos Avot (Patriarches).

C’est tout juste si on ne serait pas enclin à une certaine réticence envers quiconque serait tenté de se référer à Its’hak comme modèle pour sa Avoda.

Rav Yaacov Kamenetski (Emet LeYaacov, p.140-141) remarque que bien que Its’hak ait vécu plus longtemps qu’Avraham et Yaacov, la Torah ne lui consacre qu’une seule Paracha, alors que trois Parachiot sont dédiées à Avraham et toute la deuxième partie du Séfer Beréchit à Yaacov.

Rav Yaacov Kamenetski souligne que l’activité d’Avraham Avinou attirait beaucoup plus les foules en raison de l’aspect “convivial” de sa démarche. Son accueil, dont le début de la Paracha Vayéra est un exemple, conquit les cœurs, attirant vers lui une foule de disciples.

De même, la Mida (l’élan) développée par Yaacov, le Emet (la vérité) trouve un écho chez les gens, car même les plus “petits” savent reconnaitre la différence entre la vérité et le mensonge, et apprécient la manifestation de la vérité pure.

Par contre, la Mida de Its’hak, la crainte de Hachem, basée sur la conscience aigüe du but de l’Homme sur terre, vivre chaque pas dans les limites précises de la Volonté Divine, ne trouvait pas tant d’adhérents à son époque.

Toutefois son impact sur l’avenir du Peuple Juif n’est pas inférieur à celui des deux autres Avot. Son dévouement à Hachem est solidement enraciné dans la nature profonde de ses descendants, et a donné la force à nombre des membres de notre Peuple de donner leur vie pour le Kidouch Hachem (la Sanctification du Nom de Hachem).

Rav Guedaliahou Scherr (Or Guedaliahou, p.45) rapporte le premier verset notre Paracha : “Et voici les descendants de Its’hak, fils d’Avraham. Avraham a engendré Its’hak”. Rachi explique cette répétition par le fait que les moqueurs de la génération affectaient d’attribuer la naissance de Its’hak à Avimélekh, et que pour cette raison Hachem façonna le visage de Its’hak à l’image de celui d’Avraham.

Rav Scherr ajoute, en citant le Sfat Emet (année 5642), que les deux Midot (élans) d’amour de Hachem et de crainte se génèrent et se complètent mutuellement.

La Yir’a (crainte) engendre la Ahava (amour), et réciproquement, la Ahava génère et affine la Yir’a, qui dépasse ainsi la crainte de la punition, crainte “intéressée”, pour atteindre les sommets de la Yir’a, respect profond de Hachem au-delà de toute motivation personnelle.

C’est ce que le verset nous enseigne en répétant : “Avraham engendra Its’hak”, c’est-à-dire : de la dimension spécifique d’Avraham est issue celle de Its’hak.

Rav Scherr continue en soulignant qu’il aurait été facile pour Its’hak de s’en tenir à poursuivre simplement la Avoda de son père.

En choisissant un chemin différent, la Yir’a, il a approfondi la Mida de ‘Héssed car la profondeur de la “justice” (Din), qui est la Mida de Its’hak, renferme le “Ra’hamim” (la miséricorde).

Rav Scherr prouve le lien entre la Yir’a et le ‘Héssed au moyen d’un enseignement surprenant de la Guemara (Chabat 89b). Dans le futur, à l’approche de la Gueoula (Délivrance), Hachem “cherche” des mérites pour les Bené Israël qui ont abondamment fauté. Hachem s’adresse successivement à Avraham et Yaacov, qui échouent à trouver un argument favorable à ce peuple fauteur. Hachem Se tourne alors vers Its’hak, qui, lui, se livre aussitôt à un plaidoyer vibrant en faveur des Bené Israël, en commençant par souligner qu’ils sont, non “ses” fils, mais ceux de Hachem Qui les a ainsi qualifiés lors de la Sortie d’Egypte.

Cette leçon de la Guemara est évidemment extrêmement profonde et dépasse notre compréhension. Cependant, nous pouvons retenir de cette leçon que notre perception de ce qu’on appelle communément la “Midat Hadin” (la qualité de justice) qui caractérise essentiellement Its’hak Avinou, et que nous confondons “rapidement” avec l’intransigeance, est une dimension beaucoup plus profonde et complexe qu’il n’y parait.

Rav Yaacov Kamenetski (Emet LeYaacov, p. 154) s’attarde sur les Nissyonot (épreuves) des Avot, en particulier sur la démarche que Rivka a dictée à Yaacov afin de recevoir la Berakha de Its’hak à la place d’Essav (27,6-27).

Yaacov, dont toute la Avoda était mue par la Mida de Emet (vérité) dut se contraindre à “biaiser” face à Its’hak pour entretenir l’équivoque sur son identité, afin de recevoir la Berakha de Its’hak initialement destinée à Essav.  

Rav Kamenetski souligne que chacun des Avot a été mis à l’épreuve dans “sa” propre Mida.

Avraham dut dépasser sa “nature” de ‘Héssed, en chassant Hagar et Yichmaël (21, 9-14), puis en accomplissant la Akéda (la ligature de Its’hak sur l’autel), soumettant ainsi le ‘Héssed à l’épreuve de la Yir’a.

Yaacov dut surmonter le Emet, pour obéir à la Nevoua (prophétie) transmise par sa mère Rivka.

Ainsi, Avraham et Yaacov manifestent que leurs Midot ne sont pas l’expression de leur nature, mais des chemins de Avoda totalement soumise à Hachem.

Rav Kamenetski explique que le Nissayone (l’épreuve) de Its’hak sur “sa” Mida de Din (justice) s’exprime à travers cette Guemara qui montre qu’au plus profond du Din réside chez Its’hak la soumission à Hachem Qui cherche à mettre en évidence les mérites des Bené Israël.

Rav Chimchon Pinkus (Si’hot, Soucot, p.124-128) se réfère, lui aussi, à la Guemara (Chabat 89b) qui annonce que dans le futur, nos mérites seront “défendus” par Its’hak plutôt que par Avraham et Yaacov.

Il s’interroge donc sur la qualité spécifique de Its’hak qui nous échappe de prime abord.

Il souligne la réserve de Its’hak en toutes circonstances : que ce soit avant la naissance d’Essav et Yaacov, lorsque Rivka s’inquiète et interroge Hachem sur le sens des manifestations particulières de sa grossesse (25,22).  Puis, lorsqu’Avimélekh le “chasse” de son territoire car Its’hak est devenu trop puissant (26,16-17). Rav Pinkus s’étonne : si Its’hak parait trop puissant à Avimélekh, alors pourquoi est-ce Its’hak qui doit céder du terrain plutôt qu’Avimélekh ?!

Les bergers d’Avimélekh comblent les puits (26, 15), Its’hak les creuse à nouveau sans manifester la moindre réaction hostile (26,18). Ses bergers creusent successivement des puits qui lui seront contestés par les bergers d’Avimélekh.

Its’hak cède à chaque fois le terrain (26,19-21), jusqu’à ce que le troisième puit, enfin, lui soit reconnu (22).

A la différence d’Avraham qui fait des remontrances à Avimélekh (21,25), Its’hak reste “de marbre” devant toutes ces agressions.

Attention ! les épisodes des puits des Avot ne sont pas de simples problèmes d’alimentation en eau !

Le Ramban explique (26,20) que les trois puits de Its’hak représentent les trois Beth HaMikdach (Temple). Les deux premiers Beth HaMikdach ont été victimes d’une animosité croissante de la part des nations, jusqu’à être détruits.

Seul le troisième Beth HaMikdach que nous attendons depuis si longtemps sera accueilli favorablement par une humanité enfin consciente de la Présence de Hachem.

Rav Pinkus nous explique que les puits d’Avraham représentent son enseignement de la Parole Divine, auquel s’opposent violemment les serviteurs d’Avimélekh.

Avraham “réagit” car c’est sa mission de transmettre la conscience de la Création.

Its’hak fait, quant à lui, preuve de retenue de manière surprenante. Selon notre conception de la Guevoura (force) qui est la Mida de Its’hak, nous nous attendrions à des “hauts faits” de “bravoure” !

Il n’en est rien !

La véritable Guevoura réside dans la manifestation de la Toute Puissance Divine. Seul Hachem doit se manifester. Intervenir vigoureusement constituerait de la part de Its’hak un voile sur cette Présence de Hachem. Toute la Avoda des puits de Its’hak, que ce soit la restauration de ceux d’Avraham ou le creusage de nouveaux puits, ne peut pas venir occulter la Présence de Hachem.

Toute la Guevoura (force) de Its’hak réside dans sa capacité à s’effacer pour montrer la Grandeur de Hachem, et là réside en réalité la véritable puissance que notre Peuple a héritée de Its’hak.  

C’est dans ce sens également que se comprend l’attitude de Its’hak face à Essav.  C’est cette qualité profonde d’effacement face à la Volonté de Hachem, et de trouver un plaidoyer efficace, qui mène au mérite exclusif de Its’hak de nous sauver de la punition dans le futur.

Notons que même Avraham et Yaacov, nos Avot qui ont eu un rôle plus “actif”, n’ont toutefois pas abondé en hauts faits historiques, comme les nations se plaisent à en trouver chez leurs “grands-hommes”.

L’essentiel de la vie des Avot se déroule dans le cadre de l’étude et de la transmission de la Parole Divine. Même leur progéniture n’arrive que tardivement dans leur existence : Avraham à cent ans, Its’hak à soixante ans, et Yaacov à quatre-vingt-quatre ans.

Et bien que leur dimension soit définie par le titre “Avot” (Pères), ce n’est qu’après que leur dimension personnelle se soit affirmée qu’ils peuvent donner naissance au futur Peuple de Hachem.

Its’hak et Yaacov, les “héros” de notre Paracha, nous apprennent ainsi que la plus grande réalisation de l’homme réside, non dans les actions spectaculaires, mais dans l’intimité du Beth HaMidrach (la Maison d’étude de la Torah) et dans la soumission totale de nos élans à la Volonté de Hachem. Tel est le message principal que nous transmet notre Paracha.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
Tel  France : 01 77 47 24 71   Israel : 05 33 12 24 36