La Paracha Vayéra commence juste après qu’Avraham a accompli la Mitsva de Brit Mila (l’alliance de la circoncision). Ce moment marque un tournant dans le parcours d’Avraham et ses Nissyonot (épreuves).
Rav Chalom Noa’h Bérézovski (Netivot Chalom, p.100) introduit la Paracha Vayéra en la définissant comme la continuation de la Paracha de la Mila (17, 1-27).
Dans la Paracha de la Mila, Hachem dit à Avraham en introduction : « …marche devant Moi, et sois intègre ! » (17, 1).
Rav Bérézovski explique que par la Mila Avraham atteindra son accomplissement. La Mitsva de la Brit Mila amène à l’intégrité, et, bien qu’Avraham avait déjà atteint les plus hauts niveaux de Kedoucha (« sainteté ») et de Tahara (pureté), il lui restait à accomplir concrètement cette Mitsva qui scellera le sommet de réalisation auquel un être humain peut accéder.
Le Netivot Chalom rapporte que le Maharal (Dérekh ‘Haïm sur Avot, chap.1) développe que cette perfection se décline en trois volets : être entier avec son Créateur, être entier avec ses vis-à-vis, être entier avec soi-même, c’est-à-dire maîtriser ses pulsions et neutraliser tous les conflits entre les élans internes.
Comparons maintenant les Nissyonot d’Avraham cités dans la Paracha Vayéra à ceux de la Paracha Lekh Lekha, après avoir défini toutefois la notion de « Nissayone ».
Le Nissayone peut nous sembler à l’image d’une « épreuve sportive », où l’homme doit se « surpasser ». Mais il n’en est rien. Le Nissayone ne vient pas créer une nouvelle réalité.
Nos ‘Hakhamim (Beréchit Rabah, 55, 1-2) définissent le Nissayone comme une occasion d’élévation et de grandeur. Ils donnent trois illustrations de cette notion :
– le producteur de lin frappe le lin après trempage pour l’assouplir. Il ne frappe abondamment que le lin de qualité qui ne cassera pas.
– le potier vérifie la production de son four en frappant les poteries. Il ne frappe pas les poteries fragiles, mais seulement celles qui sont d’emblée solides.
– l’agriculteur qui possède deux vaches, l’une forte et l’autre faible. Il ne met le joug pour tirer la charrue que sur la vache forte.
Ainsi, les Nissyonot viennent confirmer la grandeur du Tsadik, l’affermir, et lui faire « porter le joug » pour le bien public. C’est dans ce sens que nous devons considérer les Nissyonot d’Avraham Avinou qui mettent en évidence sa réelle dimension, et lui apportent une « souplesse » supplémentaire, à l’instar du lin. Le but des Nissyonot est de nous « léguer » ses les qualités des Avot, (tel l’exemple de la vache dans le Midrach ci-dessus) comme l’explique Rav ‘Haïm MiVolozin dans son commentaire sur les Pirké Avot (5, 3). (Cité dans notre Dvar Torah de la Paracha précédente).
Rav Arié Zeèv Gouréwitz z »al (Roch Yechiva de Gateshead) (Meoré Chearim, p.91) demande pour quelle raison la Torah s’étend abondamment sur le Nissayone de la Akéda (la « ligature » de Its’hak sur le Mizbéa’h-autel) (Beréchit, 22, 1-19), alors qu’elle ne fait aucune mention du premier Nissayone d’Avraham, celui de « Our Kasdim », la fournaise dans laquelle Nimrod l’a jeté pour avoir rejeté le culte idolâtre officiel ?
Il répond que le premier Nissayone a mis en évidence chez Avraham son degré de perception de la Présence du Créateur, et Avraham surmonta cette épreuve en suivant son intellect et sa conscience.
Par contre, le Nissayone de la Akéda allait à l’encontre de sa compréhension profonde de la Volonté de Hachem, et de plus, il remettait en cause, sa lutte de toute une vie contre les sacrifices humains en vigueur chez les idolâtres.
En soumettant totalement sa volonté et son intellect à la Volonté Divine, sans-même poser la moindre question, Avraham montra son attachement inconditionnel à Hachem.
C’est cette perfection qu’Avraham Avinou a atteint que la Torah décrit dans notre Paracha !
Le troisième jour après la Mila, accablé par les souffrances, Avraham court et s’empresse pour accomplir une « Hakhnassat Or’him » (hospitalité) incomparable.
Qui plus est, juste pour accueillir de « vulgaires passants » probablement idolâtres (Rachi 18,4), il renonce à un contact prophétique avec Hachem (Rachi, 18,3).
Encore plus grand est notre étonnement devant la grandeur d’Avraham qui plaide avec fougue pour que Hachem épargne les villes de Sedom et Amora, représentantes de l’opposition la plus âpre aux valeurs de ‘Héssed défendues par Avraham (18, 23-33). Non seulement Avraham ne se réjouit pas de leur destruction, mais il « lutte » de toutes ses forces pour obtenir de Hachem l’annulation du décret.
Le renvoi de sa deuxième épouse Hagar (fille de Par’o, donnée en servante à Sarah par son père) et leur fils Yichmaël est une manifestation supplémentaire du dévouement absolu d’Avraham à la Volonté Divine (21, 9-14).
Lorsque Sarah Iménou qui a constaté des signes de déchéance spirituelle chez Yichmaël, demande à Avraham de chasser Hagar (qui est à l’originedes sentiments dégradés de son fils Yichmaël) et Yichmaël (21, 9. Rachi), Hachem confirme à Avraham la justesse de cette décision.
Avraham surmonte ses sentiments et accomplit immédiatement et sans faiblesse cette action.
Rav David Powarski (Yichmerou Daat, p. 43) souligne la difficulté profonde d’une telle action pour Avraham Avinou, le « représentant » par excellence du ‘Héssed (la bonté gratuite).
Ces faits, tellement opposés entre eux, montrent sans équivoque qu’Avraham a dépassé ici la démarche à « motif unique », la « marche pour le ‘Héssed » !
La confrontation d’Avraham et Avimélekh, le Roi de Guerar, est encore une illustration du changement profond dans les Nissyonot d’Avraham (20, 1-18). A première vue, il semblerait qu’il s’agisse d’une répétition de l’épisode qui s’est produit avec Par’o au début de la Paracha précédente, Lekh Lekha (12,11-20). Dans les deux cas, un roi se permet d’accaparer Sarah, qui leur a été présentée comme la sœur d’Avraham. Dans les deux cas, à défaut d’un crime d’adultère qu’ils affirment avoir ignoré, ils sont à tout le moins coupables d’enlèvement (« rapt » d’une personne, qui est punissable au titre de « vol » selon les lois Noa’hides de la peine de mort …).
Toutefois, ces deux Nissyonot sont très différents. Dans le cas de Par’o, il s’agit d’un pays, si « développé » économiquement qu’il soit, où la population n’a pas de frein à ses pulsions. Dans le verset Par’o dit à Avraham : « …et maintenant, voici ta femme, prends-la et va-t’en ! » (12, 19). Rachi explique qu’à la différence d’Avimélekh, qui dit à Avraham (20,15) ; « Voici mon pays est devant toi. Installe-toi où bon te semble ! », Par’o dit à Avraham de partir car il sait qu’il ne pourra pas assurer la sécurité d’Avraham et Sarah sur son territoire. Par contre Avimélekh a le contrôle total de la situation dans son pays.
De plus, à la suite de l’incident, Avimélekh reproche à Avraham de lui avoir dissimulé la nature de son lien avec Sarah : « …Qu’as-tu vu pour avoir fait pareille chose (cacher que Sarah est sa femme) ?! (20,10).
Et Avraham lui répond : » Car je me suis dit : seulement il n’y a pas de crainte de Dieu dans cet endroit, et ils me tueront au sujet de ma femme ! » (20, 11) (Rachi explique que la constatation d’Avraham se basait sur les simples propos d’accueil dans l’endroit …).
Guerar était manifestement un endroit beaucoup plus « convenable » que l’Egypte. Avraham et Sarah pouvaient s’y installer en toute sécurité sous l’autorité d’Avimélekh, sans crainte d’une quelconque agression.
Avimélekh était un « philosophe », un homme courtois et pétri de « bonnes manières ». Le Nissayone consiste ici à ne pas s’en tenir aux valeurs humaines, et à considérer le monde avec la lucidité totale d’Avraham, seul homme à savoir dépasser les limites du comportement humain le plus raffiné soit-il pour guider chaque pas selon la Volonté Divine.
Cette confrontation s’apparente ainsi aux épreuves de soumission de sa raison à l’Absolu Divin.
Cette épreuve n’est donc pas la simple répétition de la précédente. Elle se situe un degré plus haut, mettant en évidence le regard sûr d’Avraham sur son parcours dans la « jungle » d’une humanité pétrie de « valeurs humaines », mais sans reconnaissance des lois du Créateur.
Nos Avot (Patriarches) ont enraciné leurs acquisitions en nous, leurs descendants…
Notre lien avec Hachem, construit par Avraham sur les bases de la « raison », de la prise de conscience de la présence du Maître du Monde, a reçu dans un deuxième temps le renfort de l’alliance de la Mila. Cette alliance nous attache à Hachem au-delà des contraintes de la raison, même lorsque, comme pour la Akédat Its’hak, elles paraissent contredire toutes les bases de la confiance en Hachem.
Forts de notre héritage, de tous temps, nous, Juifs, « grands » et « petits » avons toujours fondé notre vie sur notre fidélité indéfectible à Hachem, sans faiblir face aux épreuves.
Les générations récentes ont été ébranlées dans leur attachement à la Torah, et il nous semble difficile d’imaginer que juste maintenant Hachem voudrait nous amener la Gueoula (Délivrance ultime).
Sachons dépasser les limites étroites de la raison, et nous confier à Hachem avec intégrité, comme Avraham Avinou, pour accéder enfin à un monde « simple » où la « puissance » de l’homme laisse place à la véritable Présence de Hachem à chaque pas.
Rav Eliezer RISSMAK Yechiva OHALE YAACOV
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