Parasha – 04 NOAH 5782

La Paracha Noa’h, seconde Paracha de la Torah, poursuit le récit de la dérive de l’humanité naissante, avec le Maboul (le Déluge) envoyé par Hachem comme sanction des fautes collectives mentionnées dans la Paracha Beréchit.  

Puis vient l’épisode de la “Tour de Bavel” qui survint 310 ans après le Maboul (Rachi Beréchit 10,25).

L’épisode de la “Tour de Bavel” (Beréchit 11, 1-9) est particulièrement énigmatique.

Depuis les commentateurs les plus anciens (Ramban, Beréchit 11,2 ; Ran, Drachot, 1) jusqu’aux plus récents, la faute et sa sanction n’ont pas manqué d’appeler des explications. Les analyses du Haamèk Davar et de Rav Chimchon Raphaël Hirsch sont citées dans notre Dvar Torah 5778 (disponible par mail à kvlhm.ezr@gmail.com).

Considérons ici la conséquence la plus marquante de cet évènement : la diversification des langues et la dispersion de l’humanité qui était unie jusque-là.

Avant l’épisode de la “Tour de Bavel”, la langue commune à l’humanité était le “Lachone Hakodèch” (la Langue Sainte) comme le rapporte Rachi (11,1). C’est la langue dans laquelle Adam Harichone a nommé chaque créature (2, 19-20). Le Ramban (Chemot 30,13) explique que c’est la langue dans laquelle Hachem S’adresse aux Neviim (les Prophètes), et à tout Son peuple (les Asséret HaDibrot- Dix Commandements) et autres messages.

C’est la langue dans laquelle sont exprimés les Noms qui définissent les interventions Divines dans la Création et son développement (que nous mentionnons dans la Tefila et les textes de la Torah).

C’est le langage de la Création, et des termes définissant chaque créature ; c’est la langue dans laquelle Hachem a nommé les grands personnages de l’Histoire : Avraham, Its’hak, Yaacov, Chlomo et autres.

Toutefois nous pourrions encore considérer ces faits comme accessoires, sans en percevoir l’importance fondamentale.

Pour comprendre la signification profonde de cette notion, voyons le verset relatif à la création de Adam Harichon (Beréchit 2,7) : “Hachem forma l’Homme de la poussière de la terre, et lui insuffla une Nechama (âme) de vie ; et l’Homme devint une âme vivante”.

Le Targoum Onkelos (traduction/explication de la Torah en araméen) “traduit” les derniers mots par : “ce fut en l’Homme un souffle parlant”. Il apparaît d’ici que la caractéristique essentielle de l’Homme, le distinguant de toutes les créatures, est la parole. C’est donc dans ce qui est le plus significatif de la dimension humaine que se situe l’aventure et l’échec de la génération de la “Tour de Bavel”.

Considérons tout d’abord le commentaire du Malbim sur le passage concernant la “Tour de Bavel” (11,1-9). Le Malbim remarque que ces versets sont immédiatement suivis par l’énumération des descendants de Chem, le fils de Noa’h, jusqu’à la naissance des trois fils de Téra’h : Avraham, Na’hor et Haran.

Le Malbim remarque que les “spécialistes” sont partagés sur l’origine des langues : sont-elles “innées”, ou issues d’un consensus interne à chaque peuple ?

Dans les versets qui décrivent la descendance de Chem, la Torah souligne l’âge auquel chacuna donnénaissance àson descendant principal, par lequel s’est transmis l’héritage de Chem.

Un calcul aisé, à partir des années des générations successives :

-à partir de la naissance d’Arpakhchad, fils de Chem, deux ans après le Maboul, jusqu’à la naissance d’Avraham, il y a eu 292 ans ; (Beréchit 11,10-26).

-Avraham était âgé de 48 ans au moment de l’épisode de la “Tour de Bavel (Rachi Beréchit 10,25).

-Avraham était âgé de cent ans lors de la naissance d’Its’hak (Beréchit 21,5). 

Le Malbim, précise que Moché Rabénou a parlé en l’an 2448 de la Création, à la sortie d’Egypte, 400 ans après la naissance d’Its’hak (Beréchit 15,13 ; Rachi), soit à peine plus de quatre siècles après les évènements de la “Tour de Bavel”, et moins de huit siècles après le Maboul (Déluge), en l’an 1656 de la Création (décompte des générations jusqu’au Maboul, Beréchit 5, 3-32 ; 7,11).

Il ressort des calculs ci-dessus que lorsque Moché Rabénou écrit dans la Torah l’Histoire du Monde, il y rapporte qu’il y a moins de huit siècles n’existaientsur Terre que quatre hommes, Noa’h et ses fils. Il précise que toute l’humanité parlait la langue des “Hébreux”, et qu’il y a à peine plus de quatre siècles, suite aux évènements de la “Tour de Bavel”, sont apparues soudainement soixante-dix langues parmi les hommes, par intervention de Hachem.

Si aujourd’hui un homme venait témoigner de tels faits sur les siècles récents, on le contredirait immédiatement en lui montrant les vestiges des générations antérieures.

Le fait que le monde entier soit resté silencieux face à la révélation de la Torah et ses éléments historiques, alors que l’Egypte, pour ne citer qu’elle, était une grande puissance pleine de personnalités culturelles, démontre sans la moindre contestation possible la précision des informations publiées par Moché Rabénou.

Le Malbim ajoute à sa démonstration le fait qu’Avraham était âgé de 58 ans à la mort de Noa’h, et qu’il a connu Chem et Ever (le petit-fils de Chem) qui lui ont apporté le témoignage de tous ces évènements. Yaacov lui-même a côtoyé Chem et Ever. Noa’h lui-même avait connu Adam Harichone (voir décompte des générations Beréchit 5,3-32). 

Le Malbim conclut que la Torah nous apporte ainsi un témoignage précieux sur l’Histoire du Monde. Ce n’est pas, selon lui, la faute même de la Tour de Bavel (qui n’est pas clairement expliquée dans la Torah …) qui est l’objectif principal de notre Paracha, mais la construction du monde et des nations, tels que nous les connaissons, avec les péripéties fondamentales des interventions de Hachem.

Il nous reste à comprendre l’importance de la langue unique initiale, et des langues diverses après la “Tour de Bavel”.

Rav Chimchon Raphaël Hirsch (Beréchit 11,7) analyse cet épisode et la notion générale des langues. Il commence par remarquer qu’il y a deux sortes de langages : le langage “objectif” qui décrit les choses comme elles sont réellement, et le langage “subjectif” qui exprime l’approche spécifique de ceux qui le développent.   Il souligne avec abondance d’exemples l’esprit qui préside aux termes différents pour des réalités comparables, selon les langues. En confrontant l’allemand et les langues d’origine latine, relativement aux notions fondamentales de droit, de comportement convenable, de pouvoir et de peuple, il démontre la conception de la société et de ses règles selon les nations.

Chez les allemands, le juge dirige, tranche, alors qu’en Lachone Hakodèch, le “Chofèt” (le Juge) réunit et harmonise.

Les bonnes manières en allemand coïncident avec “l’efficacité” quel qu’en soit le prix dans la droiture.

La notion de “religion”, présente dans toutes les langues, témoigne d’une partition de l’existence, le lien au “divin” étant limité à un domaine d’activité restreint.

Dans la vie Juive, la Torah est présente à tous les niveaux depuis la naissance jusqu’à la mort, et ne justifie donc pas d’un terme spécifique.

En allemand, les racines de “ist” (être) et “isst” (manger) sont proches, tandis qu’en Lachone Hakodèch, les racines de “Hagua”, “Hava”, et “‘Haya” (penser, être et vivre) sont apparentées.

Le “maître” en allemand domine, alors qu’en Lachone Hakodèch le “Adone” est comme le “Aden”, (base), le support de ses administrés.

La liste serait longue, mais ces exemples suffisent à illustrer le gouffre qui sépare les cultures.

Rav Hirsch explique que la langue unique “objective” donnée à l’Homme par Hachem, le Lachon Hakodech, était exploitée par les initiateurs de la Tour de Bavel pour asservir l’individu à la collectivité. Hachem intervint donc pour exacerber les sentiments de révolte naturels des individus, jusqu’à s’inventer leur propre langage en rupture avec la collectivité. Bien que l’individualisme lui-même, aboutissant à l’égoïsme effréné soit une dérive grave, Hachem choisit cette voie pour contrebalancer les conséquences irréparables de l’aliénation de l’individu à la collectivité.

Le retour à une langue commune, “objective”, c’est-à-dire affranchie des avatars de la subjectivité des civilisations n’est possible que dans la reconnaissance de l’Autorité absolue du Créateur dont la Loi et la langue seules sont garantes de l’intégrité de chaque créature. Retenons les enseignements de cet épisode, tournons le dos aux fantasmes d’un monde prétendument en évolution et en progrès (dont nous constatons en vérité chaque jour les dérives destructrices …), et, loin des errances du collectivisme ou de l’individualisme, revenons aux valeurs éternelles de la Torah, et à ses définitions objectives de la réalité.

Rav Eliezer RISSMAK     Yechiva OHALE YAACOV    
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