Après un cycle complet de lecture de la Torah, qui s’est achevé avec la conclusion des fêtes de Tichri, nous reprenons à nouveau la lecture (et, bien sûr, l’étude) de la Torah chaque Chabat.
Les ‘Hakhamim de chaque génération nous ont enseigné que nous ne pouvons pas nous contenter de la compréhension légère de nos jeunes années, et que nous devons à chaque pas, et encore plus à chaque nouveau cycle, rafraichir notre approche de la Torah.
Les premières Parachiot de la Torah décrivent un monde qui nous est totalement étranger et nous ne disposons pas des outils qui nous permettent d’appréhender la réelle dimension des personnages décrits, et encore moins le sens de leurs fautes.
Avant toute considération, nous devons prendre conscience qu’il s’agit de “géants” dans leur personnalité, proches de la Création, et ayant une perception directe de cette réalité. Nous sommes, quant à nous, plongés dans un monde imprégné de plus de deux siècles de négationnisme “philosophique”, et des théories absurdes de la religion de l’évolutionnisme. (A quiconque s’étonnerait de l’épithète d'”absurde” accolé aux postulats de ces “conceptions”, il est recommandé de lire l’analyse très “professionnelle” et scientifique de Rav Avigdor Miller dans son ouvrage (traduit en français) : “Réjouis toi dès ta jeunesse”, qui met en évidence l’absence totale de “rigueur scientifique” élémentaire de ces théories …).
En ouvrant le Séfer Beréchit, nous découvrons successivement les fautes de Adam Harichon (Beréchit 2, 25-3,21), de Caïn (4, 3-12), puis celle de la génération de Enoch, le petit-fils d’Adam Harichon (4, 26 ; voir Rachi), et enfin celles de la génération qui a abouti au Maboul (Déluge) (6, 1-8). Dans la seconde Paracha, Noa’h, nous verrons encore, après le Maboul, le récit de la faute de la Tour de Bavel (11,1-9) menée par Nimrod (l’arrière-petit-fils de Noa’h, 10,6-9 ; voir Rachi, 9).
Le regard “enfantin” avec lequel ces faits nous ont été présentés dans nos jeunes années cause chez nous un certain recul. De plus nous souffrons inconsciemment d’une certaine réserve quant à leur dimension réelle, du fait de notre “ignorance” de la réalité des premières générations qui ont suivi la Création, due au moins partiellement à l’influence des idées en vigueur dans le monde qui nous entoure.
Reprenons donc les faits dans leur vraie perspective.
La faute d’Adam Harichon doit être abordée avec la plus grande prudence, en considérant qu’avant la faute, la dimension spirituelle et physique d’Adam Harichone étaient totalement différente de celle qui devint la sienne du fait même de la faute.
Avant la faute, les Mal’akhim (les “Anges”) étaient prêts à dire “Kadoch” face à Adam Harichone tellement il leur était supérieur. (Midrach Beréchit Rabah, 8,10). Même si nous ne comprenons pas pleinement comment les Mal’akhim pouvaient “envisager” spontanément quoi que ce soit en dehors d’un commandement Divin, ce Midrach témoigne de la grandeur d’Adam Harichon qui nous échappe totalement. Le Mikhtav MeEliahou de Rav Dessler (Vol II, p. 137) nous fournit une analyse profonde de la faute.
Rav Chalom Noa’h Bérézovski (Netivot Chalom, p.27) fait une étude des fautes (en laissant à l’écart celle d’Adam Harichon, dont il dit qu’elle est trop au-dessus de la perception humaine).
Même en ce qui concerne les fautes suivantes, Caïn, la génération de Enoch et la génération du Maboul, il souligne qu’elles sont de l’ordre des “secrets” de la Création qui nous échappent. Toutefois, comme elles sont rapportées dans la Torah, nous devons chercher ce que la Torah vise à nous enseigner par cela.
Rav Bérézovski explique qu’au moment de la Création le “Bien” et le “Mal” étaient clairement distincts et le “Bien” n’avait aucune difficulté à s’imposer.
Suite à la faute d’Adam Harichon, le mélange entre eux a rendu l’épreuve plus difficile.
De là découlent toutes les fautes graves des premiers temps de l’histoire du Monde.
La Torah nous enseigne toutefois à travers les sanctions des diverses fautes que l’objectif de Hachem était de rompre la force du “Mal” afin de préparer le Monde à son accomplissement.
Examinons la génération de Enoch, dont la faute d’avoir amorcé le cycle de l’idolâtrie est particulièrement surprenante. Enoch est issu de la troisième génération à partir de la Création. Ils étaient donc contemporains d’Adam Harichon qui avait été créé directement par Hachem Lui-Même. Comment comprendre alors une telle déchéance ?
Le Rambam (Hilkhot Avodat Cokhavim, 1,1) explique toute la chaîne du développement de l’idolâtrie dans le Monde. La toute première “erreur” fut celle de la génération de Enoch, et Enoch lui-même y adhéra : croire que puisque Hachem a créé les astres et autres rouages pour faire fonctionner le monde, Il leur a accordé une importance primordiale. Et qu’en tant que proches “serviteurs “, ils méritent honneur et considération. C’est la volonté de Hachem tel un roi qui veut que l’on honore ses dignitaires. Telle fut l’amorce de la faute !
Ce début déboucha sur la construction de sanctuaires où leur était dédié un culte en l’honneur de Hachem Qui les a mis en place.
Cette dérive, de prime abord insignifiante, puisque leur intention était d’honorer Hachem, est en réalité catastrophique !
Rac Moché Ye’hiel Epstein (Beèr Moché, p.178) cite le Rambam, et s’étonne : s’ils reconnaissaient en fait l’unicité de Hachem, pourquoi dédier un culte à Ses “serviteurs” ?!
Il répond que la base de leur “erreur” était de penser qu’il ne sied pas à l’honneur de Hachem de Se préoccuper des êtres inférieurs, et que les divers mécanismes Célestes ont été créés à cet effet. Il appuie cette explication sur un Midrach (Beréchit Rabah, 2,3) qui qualifie de “‘Hochèkh” (ténèbres) la génération de Enoch qui disait : “qui nous voit ?”. Telle est l’objectif de l’idolâtrie dans le monde, “obscurcir” la présence de Hachem dans le monde. Rav Epstein continue son analyse en soulignant la racine profonde de cette dérive : une “Anava” (modestie) mensongère. Le fait de se considérer “inférieurs” aux créatures Célestes, supposées plus proches de Hachem, est la négation de la fonction supérieure de l’Homme dans la Création.
Rav Guedalyahou Scherr (Or Guedalyahou, p.27) dit que leur “erreur” ne pouvait pas se situer au niveau de la perception “intellectuelle”, car tout était clair encore dans la conduite du monde par Hachem (et de plus, comme nous l’avons remarqué, cette génération avait devant les yeux l’image vivante d’Adam Harichon, le premier homme, qui avait été créé directement par Hachem, …). Leur déviation était due à la tendance “naturelle” à s’affranchir du “joug” de Hachem, comme l’homme qui lit un livre l’engageant à se rapprocher de Hachem et ferme le livre pour échapper à ses implications.
Ce n’est donc pas fortuit de lire cette Paracha juste à la sortie de la fête de Soucot, où nous avons résidé pendant sept jours, un cycle complet avec Chabat, dans la Souca, sous la protection manifeste de Hachem.
C’est ainsi que nous pouvons comprendre le Midrach (Vayikra Rabah, 14,1) qui commente le verset (Tehilim,139,5) : “…arrière et avant Tu m’as formé”. Nos ‘Hakhamim expliquent que si l’homme a le Zekhout (le “mérite” ; mais en réalité ce mot provient de la racine “zakh”, clair, limpide …) c’est-à-dire que si l’homme reste fidèle à son Créateur, il lui est dit : tu as précédé toute la Création (dans sa dimension spirituelle) ; mais sinon, il lui est dit : le moucheron t’a devancé ! Si l’homme reconnait sa place prépondérante dans le Monde de Hachem, avec la responsabilité qui l’accompagne, alors il justifie toute la considération qui s’y rapporte.
Si, par contre, il fait preuve de “fausse modestie”, en attribuant hypocritement une grandeur à des soi-disant puissances supérieures, sa “modestie” est démasquée, et il lui est rappelé son infériorité physique face à toutes les créatures qui fonctionnent sans les artifices qui lui sont nécessaires pour subsister.
Le monde actuel dans lequel nous évoluons est à ce point pétri de la valorisation fallacieuse des mécanismes de la “nature” qu’il ne réussit même pas à voir la Main de Hachem dans l’abondance des catastrophes qui l’accablent.Sachons nous libérer de l’empreinte de la civilisation qui nous pollue, et revenons vite à la conscience de notre grandeur, le lien privilégié avec Hachem, et assumons les responsabilités qui y sont associées, pour mériter enfin la Gueoula (délivrance) complète.
Rav Eliezer RISSMAK Yechiva OHALE YAACOV
Tel France : 01 77 47 24 71 Israel : 05 33 12 24 36