Le “Mot du Jour” 4 Av 5779 – 5 août 2019

Plaidoyer contre la crémation des morts

Jos, Dan, Se, Sy, et Fra, mes chers cousins, recevez ici toutes nos condoléances.

Après trois jours d’absence, nous découvrons votre message.

Tout d’abord, soyez assurés que nous partageons votre peine. Le départ de ce monde de votre mère tant aimée, ma tante, la sœur de mon père, de mémoire bénie, nous attriste beaucoup. À l’annonce de la trop triste nouvelle, mon épouse n’a pas pu retenir ses larmes.

C’était toujours avec beaucoup de joie que nous la voyions et D.ieu merci, nous avons gardé le contact, malgré la géographie et notre difficulté à nous absenter de chez-nous, parce que la présence de la maman de mon épouse l’exigeait. Et votre maman le comprenait bien. Nos contacts nous réjouissaient. Il nous semblait qu’ainsi nous rétablissions un tout petit peu le lien avec son passé, sa famille, sa maison, son enfance et son adolescence qui, hélas, a été littéralement fauchée par l’arrestation de ses parents, puis leur déportation et leur extermination à Aushwicz en 1942.

Votre mère nous rappelait notre propre famille. Je me souviens de visites que nous faisions de part et d’autre, notamment à Compiègne où votre père était proviseur de lycée. Je me souviens que vos parents avaient une Taunus, voiture assez rare à l’époque. Je me souviens que Se… était appelé Gi… et des liens qui unissaient nos familles. Dan s’appelle aussi, comme moi, du nom de notre grand-père, brûlé à Aushwicz.

À travers nos contacts, votre mère chantait parfois des mélodies de la maison, rappelant les fêtes de Pourim, Pessa’h ou ‘Hanouka, des beignets ou du gefiltefish que sa maman préparait. Elle était profondément juive.

Ses parents avaient réussi à sauver le Séfer Torah, les rouleaux de la Torah, de leur synagogue de Sarreguemines, qu’ils avaient dû quitter précipitamment lors de la débâcle suite à l’invasion allemande, lors de la dernière guerre. C’est bien qu’ils accordaient la plus grande importance à ce que les rouleaux de la Torah signifiaient et représentaient.

Or cette même Torah nous interdit expressément de disposer de notre corps, parce qu’il ne nous appartient pas. Il nous a seulement été confié. Ma mère, de mémoire bénie, disait : “autant que D.ieu nous prête vie”. Le corps d’un mort est saint et doit être entouré du plus grand respect. Il en est d’ailleurs de même des rouleaux de la Torah. Cette même Torah qui exige de l’enterrer -tant le mort que le Séfer Torah qui n’est pas pas réparable- en lui conférant tous les honneurs. 

Au nom de la Torah que ses propres parents vénéraient au péril de leur vie, je vous demande de tout mon cœur et de toute ma conscience de ne pas procéder à la crémation de votre mère tant aimée. 

L’aurait-elle décidée et vous tenez à respecter sa volonté ? Mais cela ne pouvait être sa volonté profonde et vraie. Sa vraie et profonde volonté ne demande qu’à être en accord avec Ceux par qui elle a vu le jour et est venue au monde, en l’occurrence son père, sa mère et Celui en qui ils croyaient profondément et qui animait leur vie.

Le corps qui a abrité l’âme ne veut absolument pas être brûlé. Ce serait une bien trop grande souffrance pour lui. Ne lui faites pas subir une meurtrissure si cruelle qui pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l’âme qui a habité et accompagné les pas de votre mère bien aimée, ma tante, durant toute sa vie. Elle n’a pu avoir conscience de ces implications du fait qu’elle a été privée de la source de son héritage juif bien trop tôt et durant trop longtemps. Autrement, il ne pourrait absolument pas être question pour elle de crémation. Au contraire, elle mérite une vraie sépulture, et même dans un carré juif. Et je peux demander à ce qu’elle puisse être enterrée, peut-être même dans la ville la plus proche. 

La chose est grave et demande beaucoup de courage. En l’enterrant comme il convient, vous n’enfreignez pas la dernière volonté de votre mère, puisque sa vraie et profonde volonté est d’être enterrée selon les exigences de la Torah.

D’aucuns ne croient pas en l’existence d’un au-delà, du monde futur ou à venir. Mais dans ce cas la volonté exprimée lors du vivant ne représente plus rien puisque après la mort il n’y aurait rien. Et le défunt n’aurait que faire que l’on suive sa volonté puisqu’il n’y aurait rien, selon lui, après sa mort. 

Or la vie, d’un autre genre, certes, continue après la mort, notamment à travers l’âme du défunt, qui a encore un rôle tout à fait déterminant à jouer. 

Et puis, ne serait-ce pas en définitive une sorte d’injure que votre mère tant aimée, ma tante, soit brûlée comme ses propres parents, mes grands-parents paternels et vos grands-parents maternels, ont été brûlés, eux à Aushwics par les Nazis ?

De la maison qu’ils occupaient à Angoulême avant d’être arrêtés puis transférés à Drancy et à Aushwicz, votre mère a pu sauver deux choses, l’album de photos de la famille et une ‘Hanoukia, chandelier que l’on allume à ‘Hanouka. Signe qu’elle tenait profondément à sa famille et à ses racines juives. Faites, je vous en supplie, que sa fin sur terre soit en accord avec ses valeurs profondes ! Des valeurs qui n’ont aucun rapport avec des effets de mode qui engagent certains, hélas, à incinérer les corps des défunts.

Au contraire, les valeurs profondes, transmises par les Parents de votre chère mère, nos grands-parents, qu’Hashem venge leur sang, puisent dans notre Torah. Il y est rapporté que peu de temps après la fin du déluge, Noa’h, Noé, s’est dénudé dans sa tente après s’être enivré. Alertés par ‘Ham, Shem saisit un drap et ensemble avec Yaphet, ils avancèrent pudiquement à reculons pour couvrir la nudité de leur père. L’Éternel récompensa alors Yaphet et, à travers lui, sa descendance, du mérite de recevoir une sépulture et d’enterrer leurs morts. Shem reçut la même récompense en plus de celle de pouvoir porter des Tsitsit, des franges aux quatre coins de leurs vêtements, pour rappeler, entre autres, l’importance de préserver leurs yeux de toute vue indécente. On retrouve le même souci d’enterrer les morts en de nombreux endroits, notamment après le massacre des centaines de milliers d’habitants de la ville de Bétar par les Romains qui interdirent leur mise en terre. Il fallut attendre trois années pour pouvoir leur donner une sépulture. Par miracle, tous les corps restèrent intacts jusqu’alors. De même, la Mitzvah d’étudier la Torah prévaut sur tous les préceptes de la Torah. Cependant si sur le chemin pour se rendre à l’étude on rencontre un mort étendu à terre, et qu’il n’y a personne d’autre pour s’en occuper, on a l’obligation de laisser de côté son étude et de se charger d’enterrer le mort. L’obligation de donner une sépulture prime sur tout. Elle est à la fois une sanctification du Nom d’Hashem, la préservation de la sainteté de la terre et sa non profanation, un acte de bonté gratuite envers le mort, et un grand mérite pour celui dont le corps est mis en terre.

Aucune intention de vous heurter ne m’anime, soyez en certains, mais bien tout le contraire. Et uniquement d’apporter le meilleur de ce que je sais comme étant la stricte vérité, pour le bien de votre mère, ma chère tante.

Je voudrais tant que vous en saisissiez le bien fondé ainsi que l’urgence d’agir en accord avec les valeurs profondes, qui sont celles de tout juif.

Votre mère mérite d’être enterrée dignement, et surtout pas de voir son corps profané !

Merci de me prévenir au plus tôt pour que je puisse intervenir. L’urgence de son état l’exige. Elle n’a que trop attendu. Et que je puisse aussi très vite vous apporter du réconfort et vous dire quelle immense bénédiction vous avez eu d’avoir une telle maman.

Bien à vous, avec toute notre affection.