Le “Mot du Jour” 25 Sivane 5778 – 8 juin 2018

En s’appuyant sur la Parasha Shela’h Lekha.

« Ein Moukdam OuMeou’har BaTorah » Il n’y a pas d’avant et d’après dans la Torah. Ce qui signifie ici que la Torah n’a pas la vocation d’être le récit d’une suite chronologique stricte d’événements. Les quatre Parashioth qui se suivent -Nasso, Beha’alothekha, Shela’h Lekha et Kora’h- nous en offrent ici une illustration parfaite.

C’est un fait, nous ne l’avions pas précisé la semaine dernière : la chronologie de l’inauguration du Mishkane, le Tabernacle, a été inversée. En effet, la Parasha Beha’alothekha a été placée après celle de Nasso. Comment le savons-nous ? Parce que les offrandes des Nessiim, des Princes, qui y sont décrites dans le détail, ont été amenées après que l’ordre fut donné à Aharon HaKohen d’allumer la Menora, le candélabre. Le sentiment d’amertume qu’a éprouvé Aharon HaKohen, dont nous avions parlé, était dès lors bien plus compréhensible.

De même, la Parasha Shela’h Lekha est placée juste après celle de Beha’alothekha pour mettre en évidence que la leçon du parler vrai et juste n’a pas été apprise. C’était lorsque Miriam et Aharon ont mal parlé à propos de leur frère Moshé Rabbénou.

Rashi nous rapporte -dans Beha’alothekha- la complainte de Tsippora sur les épouses des prophètes. Miriam comprit que Moshé Rabbénou s’était séparé de sa femme Tsippora. Elle en parla à son frère Aharon, certes, avec une intention louable puisqu’elle souhaitait que Moshé Rabbénou se rapproche à nouveau de Tsippora. Miriam et Aharon n’étaient-ils pas eux aussi des Prophètes ? Cette fonction ne justifiait pas de se séparer de son conjoint !…

Seulement voilà, ils n’avaient pas réalisé que le degré de prophétie et d’élévation spirituelle de Moshé était différent du leur. La prophétie de Miriam et de Aharon s’exerçait la nuit, dans un songe. Celle de Moshé Rabbénou pouvait intervenir à tout moment du jour et de la nuit et toujours dans une communication claire et directe, par l’audition même des paroles d’Hashem. Pour parler avec la She’hina, la Présence Divine, il devait être constamment en état de totale pureté. Moshé Rabbénou était dès lors obligé de se séparer de sa femme. Or parler ainsi sur Moshé Rabbénou, même en étant animé des meilleures intentions, n’en était pas moins dénigrant et dégradant. Hashem leur en fit le dur reproche. Il sanctionna Miriam de la Tsara’ath, une forme de lèpre, qui recouvrit tout son corps. « Kel Na Refa Na La » Moshé Rabbénou pria Hashem pour la totale guérison de Miriam. Elle guérit effectivement immédiatement, mais elle dû rester retranchée hors du camp d’Israël durant sept jours, le temps nécessaire pour se purifier. C’est durant l’isolement de Miriam qu’eut lieu la révolte de Kora’h.

Or dans la Parasha Shela’h Lekha, suite à la demande pressante du Peuple, Moshé Rabbénou accepta l’idée d’envoyer des Explorateurs en Eretz Israël. Le Peuple d’Israël était alors sur le point de s’y diriger pour hériter du pays et s’y installer. Hashem accèda à la demande de Moshé Rabbénou en lui précisant et en lui donnant l’ordre « Shela’h Lekha » = envoie pour toi, selon ton entendement !

Dans quasiment tous les cas c’est Hashem qui ordonne sans qu’Il soit sollicité. Ici, ce n’est pas le cas puisque la demande émane de Moshé Rabbénou, suite à la pression du Peuple. Nous assistons-là à une situation qui est très exceptionnelle.

Dans la Torah, il y a les Mitzvoth Assé et les Mitzvoth LoTaassé, les préceptes positifs qui commandent de faire, et les préceptes négatifs qui commandent de ne pas faire, (ou si l’on préfère qui interdisent de faire). S’ils sont accomplis comme il se doit ils induisent des conséquences positives. Dans le cas contraire il ne peut en découler que des répercussions négatives. La marge entre ce qui est permis et ce qui est interdit est très ténue. C’est une sorte de « no man’s land » quelque peu imprécis et flou, un peu bancal, qui est juste toléré. Ce n’est ni tranché, ni très clair, ni très net. C’est un peu la position dans laquelle se situe la demande de Moshé Rabbénou. « Shela’h Lekha », envoie pour toi, selon ton entendement, qui peut aussi se comprendre : pour ton bien ! lui dit Hashem. Hashem n’avait pas besoin que l’on explore le pays pour savoir qui le peuple, comment ses habitants se protègent, quelles en sont les richesses et quel est le chemin le plus propice pour y accéder et en prendre possession? N’était-ce pas faire preuve d’un manque de Emouna, de confiance envers Hashem, comme s’Il ne savait décider, ou bien encore que Son choix pouvait ne pas être le meilleur ? Cela apparaissait comme si les hommes étaient eux en mesure et capables d’apprécier le choix d’Hashem et, partant de le réprouver. C’était comme s’ils voulaient donner leur avis propre, en se positionnant d’une manière indépendante vis-à-vis d’Hashem, comme s’Il n’avait pas de place dans leur jugement. Un jugement qui s’appuie sur leur perception du Monde qui fonctionne selon les règles de la nature, en oubliant que c’est Hashem qui l’a créé et qui le met en œuvre à chaque instant.  Et puis, ne les avait-Il pas miraculeusement sauvés des Egyptiens, lors de la traversée de la Mer Rouge ? Ne leur avait-Il pas donné la Manne qui tombait chaque jour sauf Shabbath ? Le puits de Miriam ne les abreuvait-il pas en les suivant dans leurs pérégrinations ? Les Anané Kavod, les nuées de gloire, qui entouraient tout le Camp d’Israël, mais aussi qui dégageaient le chemin de tout obstacle, qui éliminaient scorpions, serpents ou bêtes sauvages et qui faisaient office de bouclier tout autant que de buanderie ? La colonne de feu ne les guidait-elle pas lorsqu’ils avançaient la nuit ?

Moshé Rabbénou a acquiescé à leur demande, l’a transmise à Hashem qui l’a avalisée en ordonnant toutefois à Moshé de choisir un représentant de chaque tribu parmi les plus valeureux et les plus dignes.

Si Moshé Rabbénou avait pu s’opposer à la demande du Peuple d’explorer le Pays avant d’y rentrer, Israël ne serait pas resté quarante ans dans le désert. Israël se trouvait, avant cet épisode des Meraglim, des explorateurs, dans les derniers préparatifs avant l’entrée en Eretz Israël. Leur périple a bouleversé un cheminement rectiligne et lisse, sans accroc. Tout était prévu par le Ciel pour que tout se déroule le plus facilement. Quarante jours plus tard, au retour des explorateurs, tout a été remis en cause. Pourquoi ? Parce que dix d’entre eux ont mal parlé de la Terre d’Israël. Seuls Kaleb et Yehoshoua ont plaidé en sa faveur. Tous les autres l’ont dénigrée. Comment ? En remettant en cause la capacité qu’avait Hashem de les y conduire et de leur donner les moyens et les conditions d’en hériter et de s’y installer. Hashem en avait fait la promesse aux Patriarches Avraham, Yits’hak et Yaakov. Malheureusement la majorité du Peuple se rallia à la conclusion des dix Explorateurs, selon laquelle il fallait renoncer à se rendre en Eretz Israël. Toute la génération du désert, âgée de plus de vingt ans, fut du coup interdite d’entrée en Eretz Israël et condamnée à mourir dans le désert, au fur et à mesure, chaque année le 9 Av, date anniversaire de la médisance des Explorateurs. À l’exception toutefois de Kaleb et Yehoshoua qui eux avaient combattu le dénigrement des autres Explorateurs.

Une parole et une appréciation inconvenantes et tout est bouleversé, remis en cause. Penser qu’Hashem puisse vouloir quoi que ce soit qui puisse ne pas être le meilleur possible pour l’homme est déjà déplacé, inconvenant, à la limite du blasphème. La leçon de Miriam parlant de Moshé Rabbénou à Aharon, à propos de Tzippora, dans la Parasha Beha’alothekha, n’avait pas été apprise.

Hashem qui voit tout, également à travers le temps, savait ce qu’il adviendrait. Il dit à Moshé Rabbénou : « Shela’h Lekha » = envoie pour toi, selon ton entendement et pour ton bien ! Hashem savait que Moshé Rabbénou allait mourir avant d’entrer en Eretz Israël. Moshé Rabbénou était tenu dorénavant de guider le Peuple durant les quarante années dans le désert. Cependant, en accédant à la demande du Peuple d’envoyer les Explorateurs, il allait en définitive résulter un bien pour Moshé Rabbénou. Il put ainsi vivre encore plus de trente huit ans de plus. Mais connaissant l’amour que portait Moshé Rabbénou pour tout Israël, qui pourrait penser qu’il n’aurait pas préféré mourir pour éviter toutes les souffrances qu’Israël a enduré et qu’il continue encore à subir de nos jours du fait de ces paroles déplacées, inconsidérées, qui apparaissent comme un blasphème ?