Parasha – 214 – Devarim – 9 Av – 5785

בס »ד

Le Séfer Devarim est consacré aux recommandations que Moché Rabénou a adressé aux Bené Israël avant qu’ils entrent enfin en Erets Israël. Le début de la Paracha rappelle abondamment les principales fautes commises par les Bené Israël de la génération du désert.

Dans la première Paracha, Devarim, Moché Rabénou rapporte la faute des Meraglim (Explorateurs). La Paracha Chela’h Lekha (Bamidbar 13,1-14,45) raconte en détail l’envoi des Meraglim par Moché, et les conséquences tragiques de leur mission. Parmi les douze Meraglim qui furent envoyés, dix d’entre eux pourtant dotés d’un très haut niveau spirituel et Tsadikim exceptionnels, firent à leur retour un rapport négatif sur Erets Israël.

Suite à leurs paroles, les Bené Israël furent pris de panique devant les difficultés de la conquête, et en arrivèrent à pleurer de désespoir.

C’est pour cette raison que Hachem décréta que les Bené Israël n’entreraient pas immédiatement en Erets Israël, mais resteraient à errer dans le désert jusqu’à 40 ans après la sortie d’Egypte.

La génération suivante, leurs enfants, auront enfin accès au merveilleux cadeau d’Erets Israël. 

De plus Hachem décrète que cette nuit qui a été marquée par des pleurs vains, deviendra une date de pleurs au long de l’Histoire de notre Peuple (Guemara Taanit 29a). C’est ainsi que la date du 9 Av est pour nous l’empreinte de nombreux évènements dramatiques, depuis la destruction des deux Beth HaMikdach (Temples), le premier par Nevou’hadnétsar, roi de Bavel, et le second par les Romains, les renvois des Juifs d’Angleterre, de France, d’Espagne ; le début de la première guerre mondiale, et divers évènements tragiques pendant la Choa etc…

La Torah n’est pas un livre d’histoire, comme l’avons déjà souligné au long des Parachiot de « récits » du Séfer Bamidbar. Les « remontrances » de Moché Rabénou ne s’adressaient pas exclusivement à sa génération.

Les paroles de Moché retentissent à travers les siècles pour nous rappeler que le Beth HaMikdach n’est toujours pas reconstruit !

Nos ‘Hakhamim disent : « Chaque génération où le Beth HaMikdach n’est pas reconstruit de ses jours, est considérée comme si elle l’avait détruit ! » (Guemara Yerouchalmi Youma 1,1).

Il est donc essentiel pour nous d’analyser les causes de la destruction du Beth HaMikdach, qui, comme la Guemara le dit, remonte à la faute des Meraglim (Taanit 29a).

Dans la Paracha Chela’h nous trouvons diverses indications sur les détails de ces évènements :

– Rachi (Bamidbar 13, 26) souligne le lien que fait le verset entre le départ des Meraglim et leur retour (« Ils allèrent, et ils vinrent vers Moché … ») : « de même que leur retour était avec un projet négatif, de même leur départ était avec un projet négatif ». (Basé sur la Guemara Sotah 35a). Il faut comprendre comment une telle critique s’applique aux Meraglim qui étaient parmi les plus grands Tsadikim de leur génération ; Yehochou’a, le futur successeur de Moché Rabénou, n’est mentionné dans leur liste qu’en cinquième position …

– La Guemara citée plus haut rapporte que Hachem reprocha aux Bené Israël leur « pleur pour rien » !

Dans la Paracha Devarim, lorsque Moché Rabénou rappelle ces évènements, il dit : « Vous vous êtes approchés de moi vous tous … » (1, 22). Rachi explique (basé sur le Midrach Sifri) que Moché Rabénou souligne ici le contraste avec le verset décrivant « l’approche » des Bené Israël lors de Matane Torah, lorsqu’ils demandèrent à Moché Rabénou de leur transmettre les paroles de Hachem qu’ils ne se sentaient pas à même de recevoir directement (5, 20). Là-bas il est dit : « Vous vous êtes approchés de moi, tous les Chefs de vos tribus et vos Anciens… « . Dans cette seconde circonstance les Bené Israël se sont présentés « en ordre » avec mesure, tandis que pour envoyer les Meraglim, ils se sont « précipités » en cohue !

Ces diverses indications doivent être scrutées avec soin car ce sont des outils   précieux que la Torah nous donne pour comprendre la faute et la réparer à notre niveau.

D’une part nous voyons les défauts imputés à l’ensemble des Bené Israël, la précipitation précédant l’envoi des Meraglim, et les pleurs en réponse à leur rapport négatif. D’autre part les Meraglim eux-mêmes sont critiqués non seulement pour le rapport négatif qu’ils émirent, mais encore pour l’intention négative qu’ils avaient dès le départ. Comment comprendre une telle chose de la part d’hommes d’un tel niveau spirituel ?!

Pour ce qui est du « désordre » qui a présidé à l’initiative d’envoyer les Meraglim réclamée par les Bené Israël, mis en contraste avec leur « calme » et leur respect des Anciens pour demander que Moché Rabénou leur serve d’intermédiaire face à Hachem, nous trouvons diverses approches.

Le Keli Yakar explique que Moché Rabénou ne vient pas ici « louer » le calme de la seconde démarche. Moché Rabénou souligne aux Bené Israël le contraste entre leurs réactions. Lorsqu’il s’agit de recevoir la Torah, les jeunes mettent facilement les Anciens en avant, tandis que pour ce qui est de prendre possession de la terre, alors les jeunes revendiquent la priorité … « A chacun son domaine d’intérêt ! ». Tel est le problème initial selon le Kli Yakar.

Rav Its’hak MiVolozin (cité par le Haamek Davar (1, 22) demande comment Moché Rabénou mêle-t-il un reproche de manque de « Derekh Erets » à une faute gravissime comme l’envoi des Meraglim ?! Il répond qu’une démarche véritablement bonne se réalise avec mesure, tandis que pour une chose qui porte un défaut profond, les « pieds se précipitent » pour l’accomplir. Moché Rabénou fait ainsi remarquer aux Bené Israël qu’ils auraient dû comprendre de leur empressement que cette initiative était fondamentalement négative et l’interrompre d’eux-mêmes.

Rav Sim’ha Zissel, le Saba MiKelm (‘Hokhma OuMoussar, I, p.259; cité dans Daat Torah) explique que la cohue manifestait leur peur face aux Cananéens. Si tout le but de cette démarche n’avait été que l’obligation de respecter l’aspect de fonctionnement « naturel » conformément à la Volonté Divine, rien n’aurait justifié cette « panique ». Il ajoute que « l’échauffement » de l’action accomplie dans ces conditions accentue l’impact de la faute. De même les pleurs expriment un « échauffement » comparable qui aggrave la faute.

Rav Chlomo Wolbé (Alé Chour II, p.407) souligne que toute la démarche des Bené Israël ainsi que des Meraglim témoignait d’une aspiration (légère, à la mesure de leur niveau élevé …) à un fonctionnement naturel, en rupture avec la conduite totalement « supranaturelle » qui caractérisait l’époque de Moché Rabénou. Même leur tentative de réparation (Bamidbar 14, 40) en voulant aller « à l’assaut » de la conquête, après le décret de Hachem qu’ils resteraient jusqu’à 40 ans dans le désert, était encore l’expression d’un élan d’action personnelle indépendamment d’un ordre Divin. C’est pourquoi ce n’était pas du tout une Techouva que Hachem aurait prise en compte et qui aurait éventuellement changé Sa sentence.

Pour ce qui est des Meraglim eux-mêmes, Rav Ye’hezkel Sarna (Dalyot Ye’hezkel I, p.296) compare leur démarche à celle des Meraglim envoyés plus tard par Yehochou’a pour explorer la ville de Yeri’ho, « porte d’entrée » de la conquête d’Erets Israël. Alors que les Meraglim de Moché Rabénou ont bénéficié d’un parcours paisible accompagné de l’aide manifeste de Hachem, les Meraglim de Yehochou’a ont été rapidement repérés, ont dû se cacher et subir les affres de la poursuite (Yehochou’a 2). Or leurs rapports ont été à l’inverse des circonstances : les Meraglim de Moché Rabénou ont interprété toutes leurs péripéties sous un jour négatif, tandis que les Meraglim de Yehochou’a ont conclu de leur mission : « Car Hachem a livré entre nos mains toute la terre » (Yehochou’a 2, 24) en résonnance avec les paroles de Ra’hav qui les avait cachés aux yeux des soldats (2, 9), proclamant sa certitude que les Bené Israël conquerraient le pays avec l’aide de Hachem.

Rav Sarna déduit de là que ce ne sont pas les circonstances qui façonnent notre regard, mais au contraire notre regard préalable qui oriente notre vision des éléments. Les Meraglim de Moché Rabénou sont partis avec appréhension et ont vu tout « en noir » ! Les Meraglim de Yehochou’a, par contre, sont partis avec un regard confiant en Hachem, et ont perçu les paroles de Ra’hav (Yehochou’a 2, 9) comme une forme de Nevoua (Prophétie) que leur adressait Hachem.

Rav Sarna explique ainsi le lien entre l’épisode des Meraglim et la fin de la Paracha Chela’h dédiée à la Mitsva des Tsitsit sur lesquels la Torah dit que leur rôle est de nous préserver de l’influence de notre cœur que le Midrach (Sifri) qualifie « d’explorateur ». Notre cœur dirige notre regard !

Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat ‘Hokhma OuMoussar, p.216) compare le regard des Meraglim de Moché Rabénou, qui se « flétrit »  malgré leur niveau spirituel encore considérable, et le regard vivant de Ra’hav, alors encore au bas de l’échelle spirituelle. Un écart infime précipite les Meraglim dans l’abime, tandis qu’un regard sûr et ferme propulsera Ra’hav aux plus hauts sommets de l’intégration dans le Peuple de Hachem.

Pour ce qui est des pleurs des Bené Israël que Hachem a sanctionnés par des pleurs au long de l’Histoire, Rav Dessler (Mikhtav MeEliahou, II, p.46) explique que les pleurs sur le Beth HaMikdach ne peuvent pas être purement « mécaniques ». Les Mitsvot peuvent être actives en vue d’influer sur notre intériorité, mais les pleurs sont le reflet d’un sentiment intérieur. Les pleurs vains suite au rapport des Meraglim exprimaient un manque de Bita’hon (Confiance en Hachem). Ils ne peuvent êtres guéris que par la restauration de ce lien, au moyen des épreuves de l’Histoire qui nous ramènent progressivement à la juste conscience des faits, qui restaurera notre proximité avec Hachem. La coïncidence des évènements tragiques à la date de Tich’a BeAv au fil des générations doit nous rappeler la Présence de Hachem à nos côtés.

Rav Ye’hezkel Sarna (p.299) explique que c’est la différence entre un simple « Eved Hachem » (Serviteur de Hachem », et un « Eved Nééman » (Serviteur Fidèle). Moché Rabénou est appelé « Eved Nééman ». Un « Eved Nééman » ne se pose pas de questions. Il part avec la conviction qu’il ne verra rien de différent de ce que Hachem lui a annoncé. Il ne part pas pour « vérifier », mais pour constater avec ses yeux ce qu’il sait déjà par ce que Hachem lui a dit …

Rav Its’hak Ayzik Scherr (Leket Si’hot Moussar, II, p.264) explique que notre manque se situe dans la « Connaissance » profonde. Nous ne percevons pas la réalité de la Création et la Présence permanente de Hachem. C’est de ce manque profond que nous sommes en deuil à Tich’a BeAv.

Rav Chalom Schwadron a rapporté l’anecdote suivante (Le Maguid De Jérusalem, couverture) : lors de la libération du Kotel Maaravi dans la « Guerre des six Jours », deux jeunes Kibboutsnikim se tenaient à l’écart de la foule qui se pressait vers le Mur.

Soudain, un d’eux éclata en sanglots. Son ami lui demanda : pour pleures-tu ? il répondit : « Je pleure parce que je ne pleure pas ! ».

Telle pourrait être notre guérison à Tich’a BeAv ! Réaliser le drame de notre inconscience de ce qui nous manque si profondément !