Parasha – 206 – Nasso – 5785

בס »ד

La seconde partie de la Paracha Nasso est consacrée à la description de l’inauguration du Michkan (Tabernacle) par les Nessiim (Princes des Tribus). Un long passage de 88 versets détaille cet évènement. De même de longs paragraphes du Midrach le développent, accordant à ce sujet un volume plus important qu’à tout autre dans la Torah.

Les offrandes des Nessiim sont composées de deux parties distinctes :

– 6 charrettes et 12 taureaux pour le transport des éléments du Michkan (Bamidbar 7, 2-9).

– Des offrandes variées destinées à être apportées dans le Michkan.

Ces offrandes qui étaient identiques pour chacun des Nessiim, comportaient des éléments surprenants comme un encens, alors qu’il n’y a pas place à une offrande d’encens autre que collective, ou encore un Korban (Offrande) ‘Hatat, défini dans la Torah comme venant réparer une catégorie de faute particulière, et en aucun cas par initiative spontanée.

Chacune de ces deux catégories soulève des questions spécifiques :

– Rav Chimchon Raphaël Hirsch fait remarquer (7, 3) que le terme « Korban » (offrande) est surprenant relativement aux charrettes et aux taureaux de trait qui ne sont pas destinés à être apportés sur le Mizbéa’h (l’Autel). Il explique que l’étymologie du terme Korban est le verbe « Karev » (approcher), et que toute chose par laquelle l’homme veut se rapprocher de Hachem est appelée « Korban ». C’est le cas des charrettes et des taureaux destinés à participer au lien d’Israël avec Hachem dans le Michkan.

Par ailleurs, le Midrach (Bamidbar Raba 12, 22) demande pourquoi les Nessiim se sont associés dans les charrettes, au lieu qu’un Nassi amène une charrette, et un autre deux taureaux.

Nos ‘Hakhamim répondent que c’était par souci que les taureaux de l’un ne meurent, ou la charrette de l’autre ne se casse, et qu’un d’entre eux n’ait plus part au Michkan !

Les Nessiim manifestaient ainsi leur préoccupation profonde l’un pour l’autre.

Rav ‘Haïm Zaytchik (Or ‘Hadach, p.757) rapporte les paroles de Sforno qui voit là le signe de l’unité entre les Nessiim ce qui est une condition préalable à la manifestation de la Royauté Divine. Les cadeaux offerts par les Nessiim étaient identiques jusque dans leurs moindres mesures, ce qui leur a donné le mérite que Hachem « offre » le Chabat pour s’associer à eux en disant que les jours de cette « inauguration » se suivraient sans interruption pour le Chabat.

– Au-delà des questions spécifiques sur certains éléments des Korbanot (Offrandes) destinés au Mizbéa’h, se pose la question de la longueur du texte qui est dédié à leur Avoda (Service). La Torah répète douze fois, un passage pour chaque Nassi, la composition de leurs Korbanot, du verset 12 au verset 83, suivi d’un « récapitulatif » apparemment superflu après la description individuelle, du verset 84 au verset 88.

Comment comprendre toute cette insistance dans la Torah qui est par ailleurs tellement sobre, au point que des détails essentiels de certaines Mitsvot ne sont déduits que d’une seule lettre ou de la tournure inhabituelle d’un mot de la Torah ?

Au-delà de ces questions particulières, la présence même de ce passage nécessite une explication dans la mesure où ces évènements ne semblent concerner que la génération du désert. Nous affrontons ainsi à nouveau la question de l’utilité des récits de la Torah sur les péripéties de cette époque ?!

Rav Chalom Noa’h Bérézovski (Netivot Chalom p.37) répond à cette question qu’en vérité la Torah n’est constituée que de secrets qui échappent totalement à notre perception. Comme il est mentionné dans les Livres, il y a 600 000 accès à la Torah, qui correspondent aux 600 000 Nechamot (âmes) d’Israël. Toutefois, pour rapprocher ces notions de notre compréhension, Rav Bérézovski explique que la Torah exprime ici, comme dans le décompte des Chevatim (Tribus) dans la Paracha précédente, Bamidbar, la grandeur de la Kedoucha (« Sainteté ») du Peuple d’Israël.

Le partage d’Israël en douze Chevatim n’est pas fortuit. Hachem Qui nous a donné la Torah seulement après que nous ayons atteint le niveau de « Vayi’han cham Israël » (Israël campa là-bas) (Chemot 19, 2) « comme un seul homme, d’un seul cœur » (Rachi), ne nous a pas « divisés » en douze Chevatim sans objectif. Chaque Chévet possède sa Kedoucha spécifique et sa Avoda (Service de Hachem) particulière.

C’est ce que souligne le Midrach qui développe les sens particuliers des Korbanot des Nessiim, qui ont su exprimer leur diversité dans ces Korbanot apparemment identiques. Le Midrach rapporte que les références aux destinées spécifiques des Chevatim étaient parvenues aux Nessiim par une tradition des ‘Hakhamim depuis Yaacov Avinou. Rav Bérézovski comprend de ce Midrach que chaque Chévet puise sa force et la source de sa Kedoucha individuelle dans le passage du Korban de son Nassi.

Dans le même esprit, le Maguen Avraham (Commentaire sur le Choul’han Aroukh) rapporte (Ora’h ‘Haïm, 68) au nom du Ari Zal que chaque Noussa’h (Version) de la Tefila, du Minhag (coutume) d’une communauté correspond à une « porte » distincte dans le Ciel, spécifique à chaque Chévet ! Il dit que, tout en préservant le respect des détails mentionnés explicitement dans la Guemara, il n’y a donc pas lieu pour chacun de changer de Minhag et de Noussa’h !

Rav Chimchon Pinkus (Tiférèt Chimchon, p.47) ajoute qu’en plus de la différence des Cavanot (les intentions) dans les Korbanot des Nessiim, il y avait (probablement) des différences de formes dans les objets (Kearot -les bols pour la farine, Mizrakim – les coupelles destinées à recueillir le sang des Korbanot pour l’appliquer sur le Mizbéa’h). Tout en étant d’un poids totalement identique, ces récipients pouvaient avoir des formes variées selon les usages particuliers de chaque Chévet.

Il remarque encore que la répétition finale des offrandes des Nessiim souligne qu’au-delà de la diversité, l’unité s’est manifestée par l’acceptation par chacun de l’authenticité de la démarche des autres, dans la mesure où elle s’exprimait dans le respect des principes de la Torah. Il dit qu’il doit évidemment en être de même relativement aux diverses démarches dans le Peuple Juif. Il prend l’exemple du Chévet Zevouloun qui se consacrait au commerce pour subvenir aux besoins du Chévet Issakhar qui se vouait intégralement à l’étude de la Torah. Chacun de ces Chevatim aurait pu valoriser exclusivement son effort, en dénigrant celui de l’autre. Les membres de la tribu de Zevouloun auraient pu se prévaloir de leur « Messirout Néfech » (l’abnégation) de parcourir les mers au risque de leur vie, afin d’assurer la subsistance de Issakhar en comparaison de ceux de la tribu de Issakhar qui restaient « à l’abri » au Beth HaMidrach (Maison d’étude). A l’opposé, Issakhar aurait pu être tenté de minimiser l’effort de Zevouloun qui était accompagné du confort matériel auquel Issakhar lui-même renonçait. Pour contredire de telles pensées, la Torah valorise distinctement le Korban de chaque Chévet.

Rav Moché Ye’hiel Epstein (Beér Moché, p.107) souligne que la Torah a mentionné le Nassi du Chévet Yehouda, Na’hchon, qui était issu du Chévet destiné à la royauté de la dynastie de David, différemment des autres : il n’est pas présenté par le terme « Nassi » (Prince). La Torah souligne ainsi que telle doit être la qualité fondamentale d’un « Prince d’Israël », de pouvoir alterner les prises de position « musclées » comme lorsque Na’hchon a « plongé » dans la mer en avant des Bené Israël par souci de responsabilité face à Hachem, et la « simplicité » profonde qui fait qu’en dehors des circonstances qui l’obligent à s’imposer, il reste en lui-même un « simple Juif » !

Rav Zaydel Epstein (Héarot, p.28) également souligne cette qualité fondamentale du Nassi. Il cite de plus les paroles de Rav Chlomo Harkavi (Machguia’h de la Yechiva de Grodna, qui fut assassiné par les nazis) qui commente la Guemara (Taanit 31a) qui décrit la « ronde » des Tsadikim que Hachem formera autour de Lui.

Pourquoi une ronde plutôt que toute autre danse ? Rav Harkavi répond parce que dans une ronde, il n’y a ni « début » ni « fin ». Ainsi, chacun met son ami devant lui.

Pareillement, les Korbanot des Nessiim commencent par celui de Na’hchon qui est introduit par « VeKorbano » (Et son offrande) qui semble suivre un précédent.

Rav Yaacov Neyman (Darké Moussar, p.182) cite au nom de Rav Sim’ha Zissel Ziv, le Saba MiKelm, que la Torah s’étend sur les Korbanot des Nessiim pour nous enseigner que si de nombreux hommes accomplissent une même Mitsva, Hachem ne la considère pas comme un fait collectif, mais valorise chacun de ces hommes pour son action.

Rav Neyman rapporte que Rav Isser Zalman Meltzer écrit dans l’introduction à son commentaire du Rambam qu’il ne s’est pas privé d’insérer les explications qu’il a perçues dans son étude par son effort, même lorsqu’il les a découvertes ensuite dans d’autres ouvrages. Ce fait ne diminuait en rien le mérite de son propre effort, et ses commentaires avait de droit leur place dans son ouvrage.

Voilà pourquoi, loin de ne rapporter « que des faits historiques », ce passage est fondamental pour toutes les générations. Toute notre identité profonde y est concentrée !