Parasha – 204 – Bamidbar – 5785

בס »דב

Ce Chabat, nous entamons la lecture hebdomadaire du Sefer Bamidbar qui est consacré au séjour des Bené Israël dans le désert. Le Ramban souligne dans son introduction que ce Sefer ne comporte que peu de Mitsvot concernant les générations à venir, essentiellement des Mitsvot relatives aux Korbanot (Offrandes) traitées dans le Sefer Vayikra, et dont le développement n’y a pas été complété.

Quelle est la place de tout ce Sefer dans la Torah qui est le « Livre » qui nous montre le chemin de la vie dans un lien permanent avec Hachem ?

La Paracha Bamidbar, en particulier, qui est essentiellement dédiée au décompte des Bené Israël et à l’installation des Degalim (les campements des Bené Israël) autour du Michkan dans le désert, semble totalement « déconnectée » de l’avenir du Peuple Juif. Quel impact doit-elle avoir dans notre existence ?! Nous la lisons chaque année, comme tout le reste de la Torah, et sommes appelés à en retirer des enseignements concrets pour notre quotidien … De quels enseignements s’agit-il ?

Le compte est décrit ainsi : « …Et ils se définirent selon leur famille, selon la maison de leur père, dans le décompte des noms, de l’âge de vingt ans et plus, selon leur tête » (Bamidbar 1, 18). Rachi explique : « Et ils se définirent selon leur famille » comme signifiant qu’ils apportèrent les « livres d’ascendance », et les témoins de notoriété de leur naissance, chacun, pour se référer au Chévet (Tribu).

Cette insistance sur les preuves de généalogie peut nous surprendre, dans la mesure où nous vivons plongés dans un monde qui rejette totalement une telle notion. Le monde qui prétend se définir par la « méritocratie », le règne de la « réussite personnelle », qui ne reconnait qu’une « aristocratie » dont les racines plongent dans un passé trouble, de « hauts-faits » d’armes. Des « meneurs de bandes » sont devenus petit à petit des potentats locaux, puis se sont inféodés à des meneurs plus puissants qui se sont un jour définis comme souverains. Au fil du temps, les « mérites » très discutables des ancêtres s’affranchissent des souvenirs de leur origine, jusqu’à devenir une « noblesse » reconnue socialement. Même si aujourd’hui ce style de progression vers la notoriété n’a plus cours, des équivalents modernes se font jour, que ce soit dans le domaine de la finance, de la culture et des sciences, ou encore de la politique …

Par contre, une réelle continuité depuis la Création, et même, pour les héritiers possibles d’Avraham et Its’hak qui ont renié leurs valeurs, est inconcevable. Au-delà des écarts de morale qui sont le lot commun des peuples qui ont refusé la Torah et le respect des Lois de Hachem, même ceux qui prétendront à une dignité individuelle de comportement ne songeront jamais à se référer à des racines plongeant dans les débuts de la Création. Le fait-même de tourner le dos à la reconnaissance de la Présence de Hachem dans le fonctionnement du Monde implique de considérer l’existence sans « suivi » au fil de l’Histoire.

La « solidarité » nationale n’est finalement qu’une forme de « mutualisation » de la vie. Le fondement de chaque nation est basé sur « l’intérêt » commun face à la concurrence extérieure. L’illustration antique la plus marquante est la destruction de Sedom (Beréchit 18, 20-19, 26). C’est ce que souligne le Navi (Prophète) Ye’hezkel dans ses reproches à Israël, en comparant ses contemporains à Sedom (16, 46-50).

La faute essentielle reprochée à Sedom, de laquelle découlent ensuite les pires débordements de mœurs, est définie comme étant :  » l’orgueil de la satiété de pain, et la sécurité était sa part et celle de ses vassales, et elle ne soutenait pas la main du pauvre et de l’indigent ! » (Ye’hezkel 16, 49).

Il n’y a que dans la reconnaissance de la continuité de l’Histoire de la Création que peut se faire jour une responsabilité réelle pour les actions individuelles et collectives. Telle nation qui fustige les excès des autres aujourd’hui oublie délibérément les bases de sa prospérité actuelle. La morale n’est qu’un outil culturel pour valoriser ses acquis, et les laver de toute trace de son propre passé …

Dans de telles démarches il est impossible de revendiquer le moindre contact avec Hachem !

Rav Sim’ha Zissel Broydé (Sam Derekh, p. 181) développe que la généalogie est la condition de la réception de la Torah. Il rapporte à ce sujet le Midrach (Yalkout Chimoni 684) : « Au moment où les Bené Israël reçurent la Torah, les peuples du monde les jalousèrent … Hachem ferma leur bouche, Il leur dit : « Amenez les livres de votre généalogie …c’est pourquoi Il les compta au début de ce Sefer, après les Mitsvot » : « Voici les Mitsvot que Hachem ordonna à Moché pour les Bené Israël au Mont Sinaï » (Dernier verset du Sefer Vayikra), puis « Hachem parla à Moché dans le désert du Sinaï … » (premier verset du Sefer Bamidbar). Les Bené Israël n’eurent accès à la Torah que grâce à leur généalogie ».

Rav Broydé explique qu’il est impossible que la Torah avec toute sa profondeur soit donnée à un homme unique ou à une génération précise. Seul un Peuple qui se réfère aux racines de ses ancêtres, et qui a une continuité des générations depuis le début du Monde, et un lien à la suite des générations, de telle sorte qu’ils forment un bloc de passé, présent et avenir, peut recevoir la Torah de par la force de son éternité et de la globalité du Peuple d’Israël pour ses générations !

Rav Broydé ajoute que l’importance de la généalogie s’étend aux Chevatim (Tribus), et de la famille dans Israël. Chaque Chevet (Tribu) possède sa particularité et son importance. Il cite comme illustration le verset (Chemot 15, 27) qui rapporte qu’à une des étapes des Bené Israël dans le désert, il y avait 12 sources et 70 palmiers correspondant aux 12 Chevatim et aux 70 Anciens. Le Ramban rapporte là-bas le Midrach (Mekhilta sur ce verset) qui dit que ces sources et palmiers avaient été créés dans ce but depuis la Création du Monde.

Rav Moché Ye’hiel Epstein (Beér Moché, p. 19) souligne que la grandeur d’Israël réside dans le lien à la Kedoucha des Avot (Patriarches). C’est ce qui enracine au fond de chaque Juif la volonté d’accomplir les Mitsvot, même si parfois le Yetser Hara (le Penchant du mal) occulte cette identité profonde, comme le développe le Rambam (Hilkhot Guirouchin 2, 20), au point de nécessiter une intervention énergique du Beth Din (le Tribunal) pour vaincre sa réticence superficielle. C’est ce qui répond à la réclamation des nations (Guemara Avoda Zara 2b) sur le fait que Hachem a contraint les Bené Israël à accepter la Torah (Rachi Chemot 19, 17), et qu’Il n’en a pas fait autant pour les autres peuples. C’est cette Kedoucha transmise au fil des génération qui constitue l’identité profonde d’Israël.

Rav Chimchon Raphaël Hirsch (Bamidbar 1, 2) souligne la particularité de la « nationalité » Juive. L’ensemble du Peuple est considéré comme une vaste famille définie comme la « Maison d’Israël », les « fils d’un seul homme », les « fils d’Israël » (Yaacov). Tout en étant unis dans cette entité, les unités qui la constituent, les Chevatim (Tribus) et les familles gardent leur importance, dans leur diversité. Rav Hirsch aborde déjà cette notion fondamentale au seuil de la Sortie d’Egypte (Chemot 12, 3-6) lorsque la Mitsva préalable à la Sortie d’Egypte, le Korban (Offrande) Pessa’h devait souder les individus en familles, qui à leur tour constitueraient la Nation d’Israël. C’est le moment fondateur du Peuple de Hachem dans sa structure.

Rabbi Yerou’ham prolonge l’analyse du décompte des Bené Israël par Chevet (Tribu) et souligne que l’attribution des Degalim (Campements) des Chevatim selon un ordre particulier n’est pas fortuit, mais correspond aux caractéristiques spécifiques des Chevatim. Au-delà de notre référence aux Avot, les Chevatim ont également une place fondatrice dans notre identité.

Nous abordons ainsi avec cette Paracha non pas des « souvenirs historiques émouvants », mais le fondement même de toute notre identité. Le Sefer Bamidbar qui commence avec cette Paracha vient nous communiquer les éléments profonds de notre Histoire de Peuple de Hachem à travers les générations, jusqu’à la Gueoula ultime, bientôt de nos jours.