Parasha – 229 – Vayéra – 5786

בס »ד

Paracha Vayéra

Trois Parachiot, Lekh Lekha, Vayéra et ‘Hayé Sarah sont consacrées à nous faire connaitre Avraham Avinou, les 175 années de sa vie… 

L’objectif de la Torah n’est évidemment pas de nature anecdotique. Tous les faits et épisodes rapportés constituent des enseignements extrêmement fondateurs et profonds dont le but est d’établir les bases du Peuple de Hachem et nous former personnellement pour notre propre existence.

Parmi les épisodes relatés par la Torah figurent les deux épreuves que vécurent Avraham et Sarah face à des tentatives d’abus. 

La première épreuve provenait de Par’o, le Roi d’Egypte (Beréchit 12, 14-20) qui voulut s’emparer de Sarah comme épouse. Lorsque Hachem intervint, frappant Par’o et son entourage de plaies évocatrices qui lui firent comprendre son erreur, il appela Avram, et lui reprocha de ne pas avoir présenté Sarah comme son épouse, lui causant ainsi une embuche. L’incident se termina par le fait que Par’o donna une escorte pour accompagner Avram et ses proches jusqu’à la frontière.

La seconde tentative, mentionnée dans notre Paracha (20, 1-18) émana d’Avimélekh, Roi de Guérar. 

Là également, Sarah fut prise au palais royal en vue d’en faire l’épouse d’Avimélekh.

Ici aussi, Hachem intervint, mais à la différence de Par’o, Avimélekh eut droit à un « dialogue » avec Hachem, dans son sommeil. Face à la menace d’être puni de mort, Avimélekh se justifia en disant : « Est-ce que Tu tueras même un peuple Tsadik ?! » (20, 4). Hachem lui répondit de façon nuancée, ne contestant pas sa « bonne foi », mais soulignant que seule l’aide de Hachem l’avait empêché de fauter. 

Par la suite, Avimélekh convoqua Avraham et lui reprocha sa méfiance qui l’avait amené à cacher que Sarah était son épouse. « Qu’as-tu vu pour que tu ais fait cette chose ?! » (20, 10). 

Avraham lui répondit : « car je (me) suis dit : seulement il n’y a pas de Yir’at Chamaïm (« Crainte » du Ciel) dans cet endroit, et ils me tueront au sujet de ma femme ! » (20, 11). 

Par la suite, Avimélekh invita Avraham à s’installer dans son pays, là où cela lui conviendrait. 

Ces épisodes ne sont certainement pas écrits dans la Torah à titre d’ »échantillons historiques ». Ils viennent évidemment construire notre connaissance de l’existence tout comme le reste des versets de la Torah. 

Alors quelle leçon devons-nous tirer de ces récits ?

Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat Torah p. 131) souligne le contraste entre la vision du monde contemporain et la vie des époques anciennes. Du « haut » des « valeurs de la civilisation » nous sommes habitués à considérer les générations anciennes comme « primitives », « incultes », loin des progrès du monde actuel ! 

Mais, alors que l’ensemble de la population du globe aujourd’hui vit dans un « négationnisme » généralisé, ne reconnaissant pas le Créateur, et ne valorisant que le résultat de l’action de l’Homme, le roi Avimélekh, un simple idolâtre de « l’antiquité », que nos contemporains regarderaient de haut, se défend de toute accusation d’indélicatesse envers Avraham et Sarah. 

Face à Hachem, Avimélekh se justifie en rejetant la faute sur Avraham qui l’a induit en erreur par l’affirmation que Sarah était sa sœur. 

Ce dialogue à lui seul est révélateur du niveau spirituel d’un « roi parmi tant d’autres » qui reçoit la Parole Divine, ne serait-ce que dans son sommeil ! 

Face à ses prétentions de « Tsadik », Hachem lui répond que c’est Lui qui l’a protégé de la faute, ce qui implique un haut niveau de Présence de Hachem dans son existence ! Son entourage réagit avec crainte à cette information : « les hommes eurent très peur ! » (20, 8), loin de l’attitude sceptique qui caractériserait nos contemporains !

Avimélekh convoque Avraham et l’accuse, lui demandant fermement qu’est-ce qui a justifié une telle méfiance de sa part ?! Manifestement, le monde de l’époque était à ce point « sécurisé » qu’Avimélekh s’indigne d’une telle réticence de la part d’Avraham ! C’est comme s’il lui disait : « Mais enfin ! Tu n’es pas ici chez les « sauvages » ! ». A la différence de Par’o qui doit faire accompagner Avraham et Sarah par une escorte jusqu’à la frontière, pour assurer leur sécurité dans son royaume livré à la luxure (Rachi 12, 19), Avimélekh ouvre son territoire à Avraham sans restriction, comme à la génération suivante face à Its’hak : « Quiconque touchera cet homme et sa femme sera mis à mort ! » (26, 11). 

Comme si Avimélekh avait accueilli Avraham dans une Yechiva, emplie de valeurs morales !

Avraham répond : « Seulement il n’y a pas de Yir’at Chamaïm (« Crainte » du Ciel) dans cet endroit, et ils me tueront au sujet de (pour s’emparer de) ma femme ! ». 

Le Rav de Brisk cite le Haamek Davar et le Malbim qui expliquent que tel était l’argument d’Avimélekh : il est compréhensible que chez Par’o, roi d’un peuple plongé dans l’immoralité, tu aies eu à te protéger. Mais dans notre royaume qu’est-ce qui t’a amené à cela ?! A quoi Avraham répond que la « moralité » de cet endroit n’est due qu’à la raison humaine, et non à la Yir’at Chamaïm (« Crainte » du Ciel). Aussi dans un tel contexte tout peut arriver …

Rachi explique sur quelle base Avraham fondait son affirmation : Un hôte arrive dans une ville. L’interroge-t-on relativement aux questions de manger et boire ou s’il est accompagné d’une femme, lui demande-t-on s’il s’agit de son épouse ou de sa sœur ? » ?! 

Avraham explique ainsi qu’en l’absence de ce qu’il définit comme « Yir’at Chamaïm » (la « Crainte » du Ciel »), aucune valeur morale ne constituera un frein aux dérapages de comportement les plus extrêmes, jusqu’au meurtre ! 

Et encore, la réaction de l’entourage d’Avimélekh montre un certain degré de  » Yir’at Chamaïm ».

Rav Chalom Chapira (HaMaor ChèbaTorah, p.11) cite le Midrach (Beréchit Rabah 52, 9) qui explique la crainte de l’entourage d’Avimélekh par la destruction récente de Sedom ; ils craignaient que les mêmes Mal’akhim (les « Anges ») qui avaient détruit Sedom viennent les châtier …

Rav Chapira cite le ‘Hizkouni (commentaire sur la Torah d’un contemporain des Tossafot) qui souligne la répétition dans les paroles d’Avraham : « Rak eyn » – « seulement » –  » il n’y a pas » (20, 11). Toute double négation amène une affirmation. Aussi le ‘Hizkouni explique que le verset vient dire qu’il y avait toutefois chez eux une « certaine dose » de Yir’at Chamaïm (« Crainte » du Ciel). 

Rav Chapira conclut qu’ils « eurent très peur », soit, mais pas « très, très peur » … 

Et face à cette accusation d’Avraham sur un manque « infime » (à nos yeux !) de Yir’at Chamaïm (« Crainte » du Ciel), Avimélekh garde le silence, contraint d’acquiescer …

Rav Chlomo Wolbé (Alé Chour, I, p95) développe que la Yir’at Chamaïm est une exigence  » basique » dans la Création, au point que même Amalek, exemple de la bassesse par excellence, est critiqué par la Torah pour son absence totale de Yir’at Chamaïm (Devarim 25, 18). La Yir’at Chamaïm est une « échelle » allant du niveau le plus bas, et montant jusqu’aux sommets. 

Même au niveau inférieur, seule la Yir’at Chamaïm peut servir de frein aux pulsions de l’Homme. Lorsqu’Avraham reproche à Avimélekh le défaut de « correction » de ses sujets qui se préoccupaient du statut marital de Sarah plutôt que des besoins éventuels de provisions des « nouveaux-venus », il explique cette constatation par l’absence de Yir’at Chamaïm ! Ce qui nous semblerait n’être qu’un simple manque de « courtoisie » est souligné ici par Avraham comme un manque plus profond de Yir’at Chamaïm, ce qu’Avimélekh ne dément pas. 

Rav Eliachiv (Divré Aggadah, p.48) remarque comment Avimélekh se défend face à Hachem en s’appuyant sur les confirmations d’Avraham et de tout son entourage sur l’absence de statut marital de Sarah. Même confondu par Hachem, un tel homme se justifie, et est manifestement prêt à persister dans son forfait, en prenant appui sur une « légitimité » plus que contestable de sa position … Rav Eliachiv souligne le contraste avec la réaction de David Hamélekh lorsque le Navi (Prophète) Nathan vient lui reprocher une faute dont la Guemara (Chabat 56b) souligne la plus que faible consistance …

Du « Haut de notre « Grandeur », que ce soit de l’illusion de la civilisation, ou même pour nous, Juifs attachés au respect de la Torah, recevons cette leçon « d’humilité », ou plutôt de « réalisme » de l’exemple d’un « vulgaire idolâtre » de l’antiquité …

La Torah que Hachem nous a donnée est éternelle, et les valeurs qu’elle vise à nous faire acquérir traversent les générations !

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