Parasha – 188 – Bechala’h 5785

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La Paracha Bechala’h abonde en évènements, des épreuves destinées à nous enseigner comment affronter l’Histoire, que ce soit au niveau collectif ou même dans notre existence au quotidien.

La Paracha s’achève avec la dernière épreuve avant la Paracha Yitro, la Paracha de Matane Torah (Le Don de la Torah).

Chaque élément de cette Paracha nécessite une étude approfondie, et il faudrait pour cela des bibliothèques entières de livres !

Parmi les épisodes de cette Paracha figure le passage relatif à la Manne. Les Bené Israël reçurent la « Manne » après un mois dans le désert (Chemot 16, 1-36).

Dès le premier verset, Rachi nous explique la date indiquée par la Torah, le quinzième jour du deuxième mois de leur sortie d’Egypte : ce jour-là les Bené Israël terminèrent de consommer la galette qu’ils avaient emportée lors de la sortie d’Egypte, et ils eurent donc besoin de recevoir de Hachem leur subsistance. Hachem leur envoya alors pour la première fois la Manne. Rachi déduit de là qu’ils ont mangé les restes de la pâte ou des Matsot, soit 61 repas !

Ce fait en lui-même était un Ness (Miracle) extraordinaire : Hachem a fait que le « sandwich » de « provisions pour la route » dure pendant un mois entier. D’ores et déjà, dès qu’ils quittèrent l’Egypte, les Bené Israël vivaient une existence permanente de Ness. Toutefois, un parcours de quarante ans dans le désert va commencer avec la Manne qui « pleut du Ciel » quotidiennement !

Hachem annonce à Moché Rabénou la Manne par le verset (16, 4) : « Je vous ferai pleuvoir du pain des Cieux ; et le peuple sortira, et ils récolteront la chose du jour son jour, afin que Je le mette à l’épreuve, s’il ira dans Ma Torah ou non ».

Ce verset décrit tout le programme des quarante ans que les Bené Israël vont vivre dans le désert. Cette période ne représente t’elle pour nous qu’un fait « historique » ?! La Torah se contente-t-elle de rapporter des faits passés ?!

Il est clair que ce passage, comme chaque lettre, chaque mot, chaque verset de notre sainte Torah, avec tous les détails des versets doit être pour nous une source inépuisable d’enseignements pour toute notre existence collective et individuelle, !

Le caractère éternel de la leçon de la Manne s’exprime dans le verset (16, 32) « Moché dit : ceci est la chose que Hachem a ordonnée : un plein Omer (la mesure de Manne que chacun recevait chaque jour) d’elle en garde pour vos générations, afin qu’ils voient le « pain » dont Je vous ai nourris dans le désert, lorsque Je vous ai sortis du pays d’Egypte ».

Les enseignements sur la Manne sont très abondants. Glanons quelques éléments pour structurer notre approche de la vie !

Examinons certaines questions que soulève ce passage de la Torah.

Rav Chalom Noa’h Bérézovski dédie un chapitre à ce sujet. Il soulève 2 questions (Netivot Chalom, p. 126) :

–  Quelle est la spécificité de cette Mitsva pour que lui soit associé particulièrement la notion de Nissayon (épreuve) ?!

– Hachem a accompli de nombreux Nissim (Miracles) pour Israël, et pour aucun il n’y a eu une Mitsva de garder un « souvenir en dépôt » pour les générations ! Qu’y a-t-il de spécial dans la Manne pour que Hachem ait ordonné d’en mettre en dépôt pour les générations ?!

Rav Bérézovski répond à l’aide du principe fondamental que la Torah est éternelle, et vient nous enseigner le chemin de la vie. Tout ce qui est mentionné dans la Torah ne peut en aucun cas être compris comme lié à un moment passé, mais concerne chaque Juif pour toujours.

Il cite diverses leçons qu’ont mises en évidence des Talmidim (Disciples) du Baal Chem Tov HaKadoch.

Le Noam Elimélekh souligne le terme « faire pleuvoir » du verset 4. C’est un fait éternel !

Tout comme Hachem fait pleuvoir la pluie du ciel, ainsi Il fait « pleuvoir » le pain des Cieux, et Il donne en permanence la Parnassa (les besoins vitaux) des Cieux. Chaque Juif doit préparer le récipient pour cet apport Céleste, à savoir, la Mida de Bita’hon (la qualité intérieure de confiance en Hachem).

Par la conscience que c’est la Emouna claire que Hachem prodigue la Parnassa des Cieux comme Il fait pleuvoir la pluie, l’homme prépare cet apport ! Mais si « le peuple sort », lorsqu’on sort de la Mida de Bita’hon, alors « ils récolteront la chose du jour son jour », il faut alors travailler chaque jour pour recevoir la Parnassa.

Il cite encore le Beér Mayim ‘Haïm qui souligne le verset (16, 18) : « Ils mesurèrent avec le Omer (la mesure fixée par Hachem dans le verset 16), et celui qui avait abondé n’avait pas plus, et celui qui avait diminué n’avait pas moins. Chaque homme selon sa consommation, ils avaient récolté ».

Tel était le rôle de le Manne : enseigner la Emouna, que celui qui abondaitdans sa collecte n’avait pas plus lorsqu’il mesurait à son retour, et celui qui diminuait n’avait pas moins.

L’Homme n’a pas le pouvoir d’augmenter ou de diminuer ses ressources. Il est vrai qu’à la suite de la faute d’Adam Harichone, nous devons agir pour la Parnassa, mais il n’y a aucune nécessité à accomplir cette Kelala (malédiction) avec tous les embellissements dus aux Mitsvot …

Rav Bérézovski rapporte encore les paroles du Déguel Ma’hané Ephraïm au nom de son grand-père le Baal Chem Tov.  Il y a deux « crans » dans le Bita’hon : Il y a l’homme qui a Emouna que Hachem lui donne sa Parnassa, mais il pense qu’il doit préparer les « causes » sur lesquelles s’appliquera l’apport de Hachem des Cieux. Cet homme n’a pas encore accédé à la Emouna et au Bita’hon essentiels.

L’essentiel de la Emouna est d’être conscient que Hachem est « la cause de toutes les causes », et qu’Il n’a pas besoin des causes préparées par l’homme.

Dans notre Dvar Torah sur la Paracha Vayéchev 5785, nous avons vu diverses explications sur la « faute » de Yossef lorsqu’il est intervenu auprès du Chef échanson de Par’o pour qu’il le fasse libérer de son emprisonnement abusif. (Beréchit 40, 14-15). Une des explications, (Rabénou Be’hayé et le Keli Yakar) est que Yossef a commis une erreur en « proposant » à Hachem une manière de le sauver, par son intervention auprès du Chef échanson. C’est une illustration de l’exigence d’un Bita’hon total, sans recherche d’une démarche initiée par l’Homme. Une telle dimension n’est pas du niveau de chacun, mais seulement de ceux qui atteignent le sommet de la confiance absolue en Hachem.

Rabbi Mordekhaï Miller, (Talmid de Rav Dessler et Directeur du Séminaire de Gateshead) développe les deux aspects apparemment opposés de l’épreuve de la Manne (Olat Chabat BeChabato). D’un côté le Ramban explique que la difficulté consistait à vivre dans une insécurité permanente, n’ayant jamais de provisions pour le lendemain. Les Bené Israël devaient garder leur lien avec Hachem entier au-delà de leur préoccupation quotidienne pour leur subsistance. D’un autre point de vue, Sforno considère que l’épreuve était de conserver l’attachement à Hachem intact, même lorsque les besoins quotidiens sont assurés, et que la tentation est là de se relâcher.

Rabbi Miller souligne que ces deux approches se retrouvent dans deux Midrachim, tous deux au nom de Rabbi Chimon Ben Yo’haï. Rabbi Miller compare les deux facettes de l’existence des Bené Israël à deux enseignements de nos ‘Hakhamim. Pour expliquer un des ouvrages interdits Chabat, « démolir », la Guemara (Chabat 31b) dit que ce n’est un ouvrage interdit que dans la mesure où il est dirigé vers une construction « au même endroit ». Les ouvrages de Chabat étant reliés au Michkan (Tabernacle), la question se pose que puisque le Michkan était démonté à une étape et remonté à la suivante, donc à un endroit différent, comment cela concorde-t-il avec cette exigence ? La Guemara répond que puisque les déplacements des Bené Israël étaient réglés par Hachem, chaque endroit est considéré comme « Son Endroit ».

Rabbi Miller explique que les Bené Israël dans le désert étaient comme un enfant porté par sa mère. La mère se déplace, mais l’enfant reste en permanence à sa place, dans les bras de sa mère !

A propos du verset de la Tokha’ha (la Remontrance) dans la Paracha Ki Tavo : « Ta vie sera suspendue pour toi en face, et tu craindras jour et nuit, et tu n’auras pas confiance dans ton existence » (Devarim 28, 65), Rachi explique que ce sont divers degrés d’insécurité matérielle : devoir acheter du blé (ne pas être « auto-suffisant »), dépendre du boulanger. Mais ailleurs on voit dans la Mekhilta sur Vayakhel relativement au Chabat (Chemot 35, 2) que le fait que notre ouvrage soit accompli par autrui est considéré comme une Berakha qui nous laisse le loisir de nous consacrer au Service de Hachem.

Rabbi Miller répond que tout dépend des sentiments de l’homme. Si on a une confiance sans réserve en Hachem, alors la dépendance à autrui n’est plus significative, car on vit dans « le Monde de Hachem » en toute sérénité. Cependant, tant qu’on n’a pas atteint ce niveau supérieur, la dépendance est cause d’insécurité et représente une Kelala !

L’explication du Ramban s’appliquera donc dans le désert à ceux qui n’avaient pas accédé à ce sommet de Bita’hon. Ceux-là affrontaient par la Manne un Nissayon (épreuve) d’insécurité, en revanche ceux qui avaient acquis cette grandeur du Bita’hon absolu devaient lutter pour garder la même « fraicheur » de sentiments envers Hachem malgré l’abondance, génératrice de suffisance et d’orgueil. Cela correspond à l’explication de Sforno.

Nous comprenons ainsi que ces deux Nissyonot (épreuves) décrits par Rabbi Miller correspondent aux deux niveaux du Bita’hon développés plus haut.

Pour illustrer ce que peuvent être les sommets du Bita’hon, citons cette anecdote relative au Rav de Brisk, Rav Its’hak Zeev Soloveitchik pendant la Choa (Ouvedot vehanhagot le Beth Brisk, p.9). Pendant une certaine période, il résidait à Varsovie, avec un de ses fils. Celui-ci gardait toujours une partie de son pain pour le lendemain, tandis que le Rav consommait soigneusement tout, jour par jour, pour concrétiser son Bita’hon que Hachem pourvoirait à ses besoins du lendemain en son temps. Il fit toutefois une exception l’avant-veille de Yom Kippour, et garda du pain, considérant que là il ne s’agissait pas de simple alimentation, mais de l’accomplissement de la Mitsva de manger la veille de Yom Kippour. Il pensait qu’il y avait place au Bita’hon seulement pour ses besoins alimentaires, mais pas pour une Mitsva. Le lendemain, veille de Yom Kippour, un monsieur vint le voir, et lui raconta qu’il avait préparé pour lui du pain et des aliments pour le repas de la veille de Yom Kippour, mais en route les victuailles étaient tombées. Le Rav conclut que son calcul pour la Mitsva s’était avéré erroné, et que s’il n’avait pas gardé du pain de la veille, le repas serait arrivé en bon état … Un tel niveau n’est évidemment pas fréquent !

Rav Chimchon Pinkus (Tiférèt Chimchon, p.156) s’étonne que nous placions sur la table de Chabat deux pains pour rappeler la double part de Manne que les Bené Israël recevaient le vendredi pour préparer Chabat où la Manne ne tombait pas. Or la double part n’était pas réservée au Chabat, mais correspondait à la part du vendredi et à celle du Chabat. Rav Pinkus répond que le fait que la part du Chabat venait avec celle du vendredi amène à une sorte d’association, d’osmose, où le vendredi, représentant les jours d’activité profane, et le Chabat, dédié à la dimension spirituelle, partagent en quelque sorte les deux parts. Ainsi l’activité profane reçoit une dimension spirituelle du Chabat qui imprègne la semaine de son influence.

Cette Paracha nous enseigne le rapport étroit entre la Manne et le Chabat, tous deux garants de notre lien profond avec Hachem.