בס »ד
La Paracha Vayigach est marquée par les « retrouvailles » de Yossef avec ses frères (Beréchit 44, 18-45, 8). Yossef, que ses frères avaient vendu à des nomades Yichmeélites qui l’emmèneraient loin, en Egypte, pour mettre fin à ses « rêves de pouvoir » que manifestaient les rêves qu’il leur racontait (37, 5-11), apparait soudainement à leurs yeux en la personne du Vice-Roi d’Egypte !
Cet homme auquel ils se mesurent depuis leur premier voyage pour acheter les provisions indispensables en période de famine (42, 1-20), n’est autre que Yossef.
Yossef, leur frère dont ils avaient cru que ses rêves témoignaient d’une ambition qui mettait en danger tout l’avenir du Peuple de Hachem s’avère être arrivé effectivement à une situation qui manifeste que ses « rêves » étaient réellement des Nevouot (Prophéties), et non le résultat de ses aspirations spontanées.
En un instant, lorsque Yossef décide finalement de se révéler comme leur frère, les Chevatim (les Fils de Yaacov, ancêtres des Tribus) voient toute leur conception des évènements s’effondrer face à la réalité ! Leur jugement initial qui a mené à l’éloignement de Yossef était totalement erroné. Et de plus, c’est leur propre entreprise qui aura mené à la réalisation de ce qu’ils croyaient être des désirs malsains.
La Torah résume cet instant décisif de l’Histoire par un verset : « Yossef dit à ses frères : « Je suis Yossef », mon père est-il encore en vie ?! Et ses frères ne pouvaient pas lui répondre car ils étaient saisis devant lui ». (45, 3)
Il ne s’agissait pas d’une « panique » due à la crainte de « représailles » de la part de Yossef pour leur comportement à son encontre ! Rachi explique qu’ils étaient saisis devant lui « par la honte ».
La traduction du terme « boucha », employé par Rachi pour définir le sentiment des frères face à la révélation de Yossef, oscille entre « honte », « gêne », « réserve », et à l’extrême « timidité ». Il nous reste à définir avec précision le sens réel ici et ailleurs lorsqu’il doit caractériser une attitude fondamentale de notre Peuple face à toutes les situations. Une perception erronée mènerait non seulement à un « faux-sens », mais jusqu’à un « contre-sens » déplorable dans notre approche de la vie comme nous allons le voir !
Ce terme de « honte », synonyme de « gêne », est cité par la Guemara (Yevamot 79a) comme un des signes distinctifs du Peuple d’Israël » : « Ra’hmanim (miséricordieux), Baïchanim (« réservés »), et Gomlé ‘Hassadim (prodiguant le ‘Hessed) ».
La « timidité », un état qui est généralement perçu comme le signe d’une « délicatesse » extrême qui peut être considérée comme positive, mérite une analyse plus approfondie.
Le Noam Elimelekh, Rabbi Elimelekh de Lizensk écrit dans son « Tsètel Katane » (Paragraphe 5) qu’il faut éloigner les mauvais élans tels l’entêtement, la « boucha de gaava » (la gêne issue de l’orgueil), la paresse etc.
Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat Torah, Chemot 20, 17) commente le verset où Moché Rabénou explique aux Bené Israël l’objectif de la « Révélation » au Sinaï « et afin que soit Sa « crainte » sur votre face pour que vous ne fautiez pas ».
Nos ‘Hakhamim (Guemara Nedarim 20a) expliquent cette « crainte » par le terme « Boucha », que nous comprenons généralement comme « gêne ». Rabbi Yerou’ham s’étend abondamment dans l’analyse de la « Boucha », et de son rapport avec la « Yir’a », la « Crainte respectueuse » de Hachem. Il explique que cette qualité, perdue par l’ensemble des descendants d’Adam Harichone à la suite de la « faute », nous est revenue lors de la révélation de Hachem au Har Sinaï, au point que les ‘Hakhamim (ibid.) dénient à celui qui est dépourvu de la « bochet panim » (« gêne sur le visage ») le moindre rapport avec une ascendance présente au Har Sinaï. Toutefois, après ses développements étendus sur la grandeur de la « boucha« , Rabbi Yerou’ham évoque la « boucha » qui a cours dans notre existence, pour la distinguer de la « Boucha » extraordinaire qui mène aux plus hauts sommets de comportement.
La « boucha » que nous connaissons n’est pas tournée vers Hachem, mais vers les hommes. Elle n’est pas issue de la reconnaissance de nos faiblesses et infériorités, mais du regard d’autrui.
Cette « boucha » est l’expression de la « gaava » (l’orgueil) qui nous pousse à éviter tout ce qui mènerait à une diminution de notre « honneur » aux yeux des autres. Cette timidité que nous valorisons n’est rien d’autre que le résultat d’une « gaava » effrénée !
La vraie « Boucha » qui est assimilée à la Yir’a, est, elle, un sentiment de Kedoucha (« Sainteté ») venant de la conscience de nos manques dans nos devoirs face à Hachem. C’est là le « synonyme » de la « Yir’a » (la « Crainte » de Hachem).
Ces précisions indispensables nous permettent enfin l’analyse des véritables sentiments des Chevatim lors de la révélation de leur frère Yossef.
Le Midrach (Beréchit Rabah, 93, 10) déduit de la réaction des Chevatim un enseignement général pour chacun de nous : « Malheur à nous du jour du jugement, malheur à nous du jour de la remontrance… Yossef était le plus petit des Chevatim, et ils ne purent pas faire face à sa remontrance …lorsque Hachem viendra faire remontrance à chacun selon ce qu’il est … a fortiori ! ».
De prime abord, nous ne voyons pas où se situe la « remontrance » que Yossef a adressée à ses frères dans cette première phrase « Je suis Yossef ! » ?!
Cette analyse semblerait plus justifiée sur le verset suivant (45, 4), lorsque Yossef mentionne le fait que ses frères l’ont vendu.
Rav ‘Haïm Chmoulewitz (Si’hot Moussar, 732, 13) explique qu’alors qu’ils pensaient écarter le danger de ses rêves de royautéen l’éloignant, c’est précisément cette vente qui a amené la réalisation du rêve et l’a élevé jusqu’au Trône Royal.
De « rêveur » ambitieux, Yossef s’avère soudain être un Navi (Prophète) qui leur transmettait la Parole de Hachem. Quelle plus grande remontrance, quelle plus grande honte imaginer ?! Et c’est cela même qui les a bouleversés.
Rav Chmoulewitz souligne qu’il ne s’agit pas d’une simple erreur d’analyse, mais d’un chemin complet tout au long des années qui se révèle brusquement faux. Et c’est là la remontrance à venir lorsque Hachem montre à chaque homme que ses actions et ses projets étaient vides de sens.
Le ‘Hafets ‘Haïm (‘Hafets ‘Haïm al HaTorah) explique que les frères s’étonnaient, au fil des difficultés accumulées sur leur chemin, sur le but des épreuves que Hachem leur amenait par l’intermédiaire du « Vice-Roi d’Egypte » (42, 28) ?
En entendant ces deux mots de la bouche de Yossef : « Ani Yossef ! » (Je suis Yossef), tout devint clair instantanément.
De même, lorsque Hachem se révèlera à la fin des temps, et nous dira « Je suis Hachem », toutes les questions et les étonnements sur le fonctionnement du Monde trouveront leur réponse, et tous verront que la Main de Hachem a tout mené pour notre bien.
Le Beth HaLévi explique en profondeur ce Midrach, dans une analyse fondamentale du comportement humain que nombre de nos Grands des générations suivantes ont reprise et développée pour nous faire sortir de l’autosatisfaction chronique dont nous sommes atteints.
Pour commencer, il s’étonne de la question de Yossef : « Mon père est-il en vie ? » ?!
A plus d’une occasion, les frères ont mentionné leur père Yaacov.
Yehouda vient de justifier sa plaidoirie pour Binyamin par la souffrance que son absence causerait à Yaacov, si le « Vice-Roi » le retenait pour son accusation de vol (44, 14-17).
C’est là la remontrance que nous enseigne le Midrach !
Yossef dit à ses frères : « Aujourd’hui vous vous préoccupez de la souffrance de mon père Yaacov ?! Où était votre souci de la même souffrance lorsque vous m’avez éloigné de mon père ?! « Mon père est-il en vie ? » n’est pas une question, mais une exclamation d’indignation !
Le Beth HaLévi poursuit son analyse du Midrach en soulignant le verset des Tehilim : « Je te ferai remontrance et Je développerai à tes yeux ! » (50, 21). Ce verset fait suite à une énumération de comportements contradictoires entre eux. Hachem annonce dans ce passage des Tehilim qu’Il montrera à chaque homme l’incohérence de ses actes au long de l’existence.
Le Beth HaLévi illustre par des exemples de la vie courante : le même homme qui « n’a pas » de quoi donner la Tsedaka, dépense abondamment pour ses caprices (comme l’équipement de sa maison ou ses loisirs… dans notre monde …).
Dans les versets de Tehilim, un homme vit en harmonie avec les Rechaïm de la pire espèce, soi-disant parce qu’il est incapable de se quereller avec quiconque ; mais le même homme n’hésite pas à chercher les moindres défauts chez ceux qui vivent selon la volonté de Hachem (exemple malheureusement fréquent à notre époque …). Toutes les « justifications » sont bonnes pour chacun de nous pour défendre notre comportement. Mais que répondrons-nous lorsque Hachem nous montrera l’incohérence de toute une vie ?! Tel est l’exemple souligné par le Midrach dans la confrontation des frères face à Yossef.
Rav Chlomo Wolbé (Alé Chour, II, p. 550) pousse l’analyse un cran plus loin, en soulignant que le Midrach dit « Lorsque Hachem fera remontrance à chacun selon ce qu’il est … ». Il ne s’agit pas là seulement des actions, mais de ce que l’Homme est destiné à être en venant au monde. Chacun vient au monde avec un « capital » de départ destiné à épanouir sa mission spécifique sur Terre, à nulle autre pareille. Cette mission est gravée dans la racine de son être. S’il ne concrétise pas cette « attente » que Hachem a placée en lui, l’homme a failli à son objectif.
C’est ce que Hachem lui montre à la fin de son existence en lui faisant remontrance selon ce qu’il est ! Essentiellement, chacun porte en lui la possibilité de comprendre « sa fonction spécifique » dans la Création en se scrutant lui-même. Toutefois, la quasi-totalité des hommes faillissent à la découvrir.
Rav Wolbe cite le Gaon de Vilna qui explique qu’à l’époque où Israël avait des Neviim (Prophètes), c’était le rôle des Neviim d’expliquer à chacun quelle était sa mission sur Terre. Plus tard, c’était la responsabilité de chacun avec « Roua’h HaKodech » (Inspiration Divine) de se scruter. Toutefois le Roua’h HaKodech nécessite une dimension de vérité intérieure qui va en diminuant au fil des générations.
A notre époque, Il ne nous reste, dit Rav Wolbé, qu’à nous appliquer de notre mieux à respecter les Mitsvot avec précision, et à étudier la Torah en vue d’atteindre à la Volonté de Hachem dans chaque passage étudié, sans chercher à se mettre soi-même en valeur par des prouesses d’explications.
Voici un aperçu léger de ce que la lecture d’un verset de la Torah apportait à nos ‘Hakhamim.
Essayons à notre faible niveau d’apprendre à découvrir ces trésors.
חנוכה שמח !
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