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Paracha ‘Hayé Sarah
La Paracha ‘Hayé Sarah s’ouvre sur le verset : « Et elle fut l’existence de Sara cent ans, et vingt ans, et sept ans, les années de la vie de Sarah » (Beréchit 23, 1).
Rachi explique la conclusion du verset qui semble superflue « les années de la vie de Sarah » : « Toutes (les années)étaient égales en bien ».
De nombreux Commentateurs s’étonnent sur cette affirmation ?!
La vie de Sarah, aux côtés d’Avraham, parsemée d’épreuves comme le départ vers Canaan, la famine, les rapts chez Par’o en Egypte, puis chez Avimelekh Roi des Philistins, et au-delà de tout, sa douloureuse stérilité jusqu’à l’âge de 90 ans, au point d’avoir choisi délibérément de proposer à Avraham d’épouser Hagar, sa servante, fille de Par’o pour qu’au moins Avraham ait une descendance pour perpétuer sa mission « d’ambassadeur » de Hachem dans le monde … et ces années d’épreuves et de souffrances seraient qualifiées par la Torah de : « Toutes (ses années) étaient égales en bien » ?!
Le Midrach (Beréchit Raba, 58, 1) introduit la Paracha par le verset : « Hachem « connait » les jours des (hommes) intègres, et leur possession sera éternelle ! (Tehilim 37, 18) « .
Le terme « connait » ne signifie évidemment pas « être au courant » comme nous pourrions le comprendre, car ça n’a pas de sens concernant Hachem. Il s’agit ici de l’attachement, comme dans les versets (Beréchit 4, 1 ; 18, 19) où il s’agit d’un lien, et d’une proximité. Hachem « valorise » l’existence des « Temimim », les gens intègres.
Ce Midrach confirme l’explication de Rachi dans la valorisation de l’existence de Sarah Iménou (notre Mère), comme représentative des « Temimim« .
Comment comprendre ce message de nos ‘Hakhamim qui voient là une réalité qui nous échappe ?!
Rav Chalom Schwadron (Lev Chalom, p.181) souligne qu’on ne dit pas que les années d’épreuves étaient bonnes aussi, mais que « toutes étaient égales en bien » !
Pour comprendre ce fait, Rav Schwadron explique que la valorisation des situations chez les Tsadikim est fondée sur la Volonté de Hachem exclusivement. Seul leur importe ce qui correspond au Projet Divin. Si Sarah était restée stérile jusqu’alors, c’est que c’est ainsi que Hachem l’avait faite et que telle était Sa Volonté. De ce fait, cela c’est bon aux yeux de Sarah, et elle se réjouit de sa situation, car que lui manque-t-il puisque son Créateur l’a voulue ainsi !
Dans le même sens, la joie de Sarah lors de la naissance de Its’hak n’est pas la simple réjouissance de la satisfaction d’une aspiration naturelle.
Telles étaient nos Imahot (Mères) Sarah, Rivka, Ra’hel et Léa : leurs sentiments étaient totalement centrés sur ce que Hachem décidait pour elles instant par instant. Toutefois, Rav Schwadron ajoute qu’il ne faut pas croire que par nature les Imahot ne désiraient pas avoir des enfants. Au contraire, nous voyons tous les efforts que Sarah a fait dans ce sens, allant jusqu’à introduire une « rivale » dans son foyer, pour augmenter ses mérites, qui peut-être lui vaudraient d’accéder à cette plénitude (Rachi 16, 2).
De même Rivka et Ra’hel prièrent et sollicitèrent abondamment Hachem pour cela.
Rav Schwadron souligne ici une nuance très fine : d’une part nos Imahot souhaitaient profondément avoir des enfants, car telle est la mission de l’Homme et son accomplissement. Mais si après tous ces efforts, la situation restait identique, elles n’étaient pas brisées si peu que ce soit, car elles ressentaient pleinement que telle était la Décision de Hachem.
Rav Schwadron nous décrit ici une grandeur extraordinaire, où dans le même cœur peuvent cohabiter les aspirations naturelles communes à tous, sans que le manque de réalisation de ces souhaits n’altère en rien l’harmonie de l’existence.
Ainsi, Sarah Iménou, représentative des « Temimim », est décrite comme ayant vécu une existence égale en bien tout au long de sa vie.
Le même principe s’applique au niveau « supérieur », dans l’accomplissement des Mitsvot, et dans l’épanouissement dans l’étude de la Torah. Hachem n’attend pas de nous que nous fassions de Sa Torah une « affaire personnelle » ! Bien sûr, la vie de Torah doit nous tenir à cœur, mais pas au point que ça s’inscrive dans une « crispation » sur ce qui deviendrait intérêt personnel plutôt que l’accomplissement de la Volonté de Hachem.
Une anecdote rapportée par Rav Chlomo Lorenz, personnage marquant des premières années de la vie publique en Erets Israël, illustre bien cette notion.
Rav Lorenz était proche d’un nombre considérable des Grands de la Torah et du monde de la ‘Hassidout, tout en ayant des responsabilités de représentation du Monde Juif authentique face aux pouvoir politique.
Dans sa proximité avec le Rav de Brisk, Rav Its’hak Zeev Soloveitchik, celui-ci lui demanda à l’approche de Soucot 5718 (1957), de l’aider grâce à ses contacts, à libérer un Etrog qui lui avait été envoyé du Maroc. (Le Rav tenait particulièrement à cette provenance, d’arbres sauvages, où le risque de « croisement » du Etrog avec une autre espèce, ce qui serait un problème pour la Mitsva, était écarté). La veille de Soucot, le Etrog était toujours bloqué en douane, au titre des règlementations sanitaires.
Rav Chlomo Lorentz partit spécialement à l’aéroport, pensant pouvoir régler le problème avant l’entrée de la fête. Le temps passait, et l’inquiétude profonde du Rav pour son accomplissement de la Mitsva au niveau le plus précis était plus que perceptible. Finalement, Rav Lorentz ne réussit pas accomplir sa mission, et la fête entra sans que le Etrog ait été « libéré ». La souffrance du Rav était extrême. Toutefois, il dit à Rav Lorentz qu’à défaut de pouvoir accomplir la Mitsva au mieux le premier jour de Soucot, il souhaitait cependant pouvoir l’obtenir pendant les jours suivant de ‘Hol HaMoèd. La fête s’écoula ainsi dans une attente tendue, et tous les efforts « titanesques » de Rav Lorentz n’aboutirent pas à ébranler la « lourdeur administrative », malgré les espoirs qui semblaient s’ouvrir à chaque étape. Finalement, la dernière journée de Soucot, Hochana Raba s’acheva sans qu’il ait réussi à obtenir le Etrog. Il revint tremblant d’inquiétude devant la réaction probable du Rav, et à sa grande surprise, le Rav accueillit cette nouvelle avec un sourire paisible du Rav, malgré l’absence du Etrog. Il ne comprenait pas !
Le Rav de Brisk lui expliqua alors : « Lorsqu’il n’y a pas (de Etrog), alors on est quitte de l’obligation ! » Ce n’est pas un « caprice » personnel à satisfaire que de chercher à accomplir la Mitsva « au mieux » ! C’est faire ce que Hachem attend de nous.
Telle était la vie de nos Avot (Patriarches) et Imahot (Mères) !
Dans le même esprit, Rav ‘Haïm Zaïtchik (Or HaNéfech, p.159) explique que la vie consiste dans la joie de la réalisation de notre but sur Terre. Et si ce sentiment cesse, ne serait-ce qu’un instant, ce moment est « mort » ! Là réside la différence fondamentale entre le « commun des mortels » et les « Temimim » !
Dans un autre recueil de ses enseignements (Or ‘Hadach, p.169), Rav Zaïtchik développe que ceux qui vivent plongés dans les futilités de ce monde, et sont éloignés d’une vie de Torah, ne peuvent pas vivre une existence « suivie ». Il n’y a pas pour eux de continuité, car chaque « satisfaction » est éphémère, et n’a pas de lien avec la suivante. Et ainsi d’heure en heure, de jour en jour, d’année en année, leur vie est morcelée. C’est le contraste que Hachem souligne avec la vie des « Temimim », qui, seuls, jouissent d’une existence continue. Eux seuls peuvent « savourer » à chaque moment réellement les satisfactions passées, comme des réalités actuelles, et non comme des moments de « nostalgie » du passé disparu.
Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat Torah, p.150) nous définit un autre aspect, complémentaire, de la dimension des « Temimim ». Il explique que leur « plénitude » s’exprime dans la « perfection » de l’ensemble de l’action. C’est ce qui les définit comme « Temimim » « entiers ». Lorsqu’Avraham, par exemple, reçoit les visiteurs (Beréchit 18, 1-8), il y a une complémentarité et une harmonie parfaites entre les moindres détails. C’est ce que la Torah, qui est par ailleurs si concise, nous enseigne en décrivant cet épisode dans tous ses détails Pareillement, Eliezer, le serviteur d’Avraham, dans sa mission pour amener une épouse pour Its’hak (24, 1-61), chacun de ses actes est pesé avec précision, et s’inscrit dans un ensemble d’une harmonie parfaite. Là encore, et combien plus, la Torah sort de sa sobriété habituelle pour rapporter chaque instant de la mission d’Eliezer ! C’est cette plénitude que la Torah souligne ici chez Sarah Iménou. Cette grandeur ne peut pas être morcelée d’évènement en évènement. Elle doit forcément englober l’existence entière dans une démarche unique sans « à coups ».
Telle est la grandeur à laquelle nos Avot et Imahot, et au fil des générations nombre de leurs descendants, ont su atteindre.
Hachem ne dénigre bien sûr aucun de nos efforts, et à chaque action son mérite, même si nous sommes loin d’une telle perfection. Toutefois, tel est l’objectif que la Torah (Tana DevéElia’hou Raba, chapitre 25) trace devant chacun de nous : « Quand mes actions atteindront-elles les actions de mes ancêtres, Avraham, Its’hak et Yaacov ?! « .