Parasha – 175 – Noa’h 5785


בס »ד

La Paracha Noa’h est essentiellement marquée par deux évènements :

– Le Maboul (Déluge) qui vint sanctionner les générations qui avaient développé une approche individualiste et égoïste de l’existence, au point que le vol et autres exactions étaient devenues la « norme » (Beréchit 6, 11) : « la Terre s’était remplie d’iniquité ! »

– La dispersion de la génération de la Tour de Bavel par Hachem (11, 8) : « Et Hachem les dispersa de là-bas à la surface de toute la Terre ! », qui vint sanctionner un projet collectif que Hachem jugea nuisible à l’avenir de la Création : « … et maintenant ne sera pas retenu d’eux tout ce qu’ils ont projeté de faire … » (11, 6).

Alors que la nocivité des mœurs qui précédèrent le Maboul est évidente, un comportement hostile à la vie collective, le défaut du projet de la Tour de Bavel (11, 1-4) est particulièrement obscur.

A tel point que les commentaires abondants de nos ‘Hakhamim de toutes les époques ne suffisent pas à nous rendre cet épisode complètement intelligible !

De plus, alors que l’extinction entière de l’Humanité antérieure au Maboul est manifestement la « punition » de leurs fautes, la « réaction » de Hachem à la « faute » des constructeurs de la Tour de Bavel ne nous est pas clairement compréhensible, pour que nous la percevions comme une sanction.

Nous vivons dans un monde où la multiplicité des langues et dialectes est un fait avéré depuis si longtemps qu’il nous est impossible d’imaginer une situation différente. De plus, en quoi cette diversité constitue-t-elle un inconvénient, pour que nous la percevions comme une « punition » ?!

Le verset dit (11,1) : » Toute la Terre était une seule langue, et des paroles uniques. »

C’est le « coup d’envoi » du projet d’ »une ville, dotée d’une Tour dont le sommet atteindrait les Cieux, afin de se « faire un nom », pour éviter d’être dispersés à la surface de tout le globe ! »

De prime abord, il semblerait que les promoteurs de la Tour de Bavel s’inscrivaient en opposition à la mentalité des générations condamnées par le Maboul. Là où ces derniers pratiquaient un individualisme poussé à l’extrême, au point de justifier toutes les exactions, la génération de la Tour de Bavel prônait l’unité la plus poussée. En rejet de l’égoïsme idéalisé, une forme de « communisme » comme il était idéalisé il y a moins d’un siècle …

Rabbi Mordekhaï Miller (Chiour LeYom HaChabat) analyse le Midrach (Beréchit Rabah, 38, 6) qui explique « des paroles uniques » : « ce qui est dans la main de celui-ci dans la main de celui-là, et ce qui est dans la main de celui-là dans la main de celui-ci ». Unis avec une « bourse » unique pour tous ! Or le Midrach (ibid., 4) leur reproche de ne pas avoir appris de l’histoire des premiers !

Rabbi Miller soulève encore une autre question : pourquoi la Torah s’étend-elle sur la confection des briques qui semble a priori un détail secondaire sans importance dans cet épisode (11, 3). Il cite le Akédat Its’hak qui explique que les gens la génération de la Tour de Bavel ont remplacé le projet supérieur spirituel fondamental de la Création par le but inférieur de la réussite sociale. L’opulence matérielle a pris le pas sur tout autre objectif, les rendant comparables aux générations précédant le Maboul. Seuls les moyens d’arriver à leurs fins avaient changé … Ils expliquaient de même les évènements miraculeux comme le Maboul par des causes naturelles pour éviter d’y reconnaître l’Intervention Divine … (Rachi 11, 1).

Rav Eliahou Dessler (Mikhtav MeEliahou, III, p. 96) explique que leur unité ne provenait pas d’un élan envers l’autre, d’un amour véritable, profond. Chacun voyait dans cette unité la possibilité d’atteindre ses objectifs matériels.

Rav ‘Haïm Friedlander (Sifté ‘Haïm Beréchit, p. 56) met en opposition l’unité « d’association » et l’unité « d’abnégation ». L’unité d’association menait les promoteurs de la Tour à mettre en commun leurs capacités afin que chacun en retire le maximum d’avantages, comme dans les « philosophies » modernes de « générosité » universelle. Rav Friedlander souligne qu’une telle démarche fait abstraction des tendances profondes de chacun qui ne peuvent qu’aboutir fatalement au conflit d’intérêt entre les individus.

Rachi (11, 7) basé sur le Midrach (38, 10) rapporte que lorsque Hachem eut troublé leurs langues de telle sorte qu’ils ne se comprenaient plus, l’un demandait à l’autre une brique, et l’autre lui apportait du mortier, et en réaction, le premier fracassait le crâne de l’autre. 

Rav Aharon Yehouda Leib Steinmann (Ayélet Hacha’har, p. 83) cite ce Midrach, et s’étonne « est-ce parce qu’il croit que l’autre s’est moqué de lui, en lui apportant autre chose que ce qu’il a demandé, qu’il doit « lui fracasser le crâne » ?! Mais où est leur fameuse unité ?! Rav Steinmann en conclut que l’unité basée sur la rébellion contre Hachem finit par aboutir à la haine, et aboutir jusqu’au meurtre …

Rabbi Yerou’ham Levovitz (Daat Torah, p.69) remarque comment les efforts redoublés de créer une langue internationale n’ont jamais abouti. De même une unification de tous les Etats du monde est tout aussi irréalisable (les tentatives comme la « Société des Nations  » après la première guerre mondiale, puis l’ONU après la seconde, ont abondamment montré leurs échecs …). Rabbi Yerou’ham souligne qu’aucune entreprise de ce genre ne pourra jamais aboutir, face à la décision de Hachem irrévocable de l’empêcher.

La « compréhension » universelle est donc impossible dans un monde qui poursuit les mêmes objectifs « d’unité utilitariste » que les promoteurs de la Tour de Bavel !

Mais quelle est la part de la langue dans ce phénomène d’incompréhension générale ?!

Pourquoi de nos jours, avec les outils informatiques de traduction instantanée, la diversité des langues serait-elle un obstacle ?! En quoi une langue commune serait-elle un danger tel que Hachem a jugé indispensable d’accompagner la dispersion des constructeurs de la Tour de Bavel d’une diversification des langues ?!

Rav Chimchon Raphaël Hirsch (Beréchit 11, 7) explique qu’il y a deux sortes de bases aux langues : soit une langue est de conception objective, soit de conception subjective. La langue définit les divers « articles », objets, actions ou notions de toutes sortes. Soit cette définition exprime la réalité véritable de la chose, et est donc « objective », soit elle exprime la perception personnelle de l’homme de la chose, et elle est alors « subjective ».

Il ne peut ainsi exister qu’une seule « langue objective », et c’est celle que pratiquait l’humanité jusqu’à la Tour de Bavel. Rachi (11, 1) explique « une seule langue : (c’est) le « Lachone HaKodech » (la « Langue Sainte »). C’est-à-dire, comme l’explique le Ramban (Chemot 30, 13), la Langue dans laquelle Hachem a créé le Monde, dans laquelle Il a nommé les Mal’akhim (les « Anges »), dans laquelle Il s’adresse aux Neviim (les Prophètes), dans laquelle Il a nommé Avraham, Its’hak, Yaacov, Chlomo et d’autres, et dans laquelle Il nous a révélé Ses « Attributs » et Ses « Noms ».

Rav Hirsch explique ainsi que tant que le dialogue est soumis à une autorité supérieure, et que la langue est donc objective et non subjective, elle n’exprime pas l’approche personnelle de chacun, mais la nature invariable des choses. Une telle langue conservera l’unité des conceptions individuelles.

Mais à partir du moment où les intérêts particuliers l’ont emporté sur la véritable unité « fusionnelle » des descendants de Noa’h, la langue a dépéri, au profit de la multiplicité des regards sur l’existence.

Rav Hirsch choisit divers exemples de notions dans des langues variées pour souligner l’opposition entre la communication objective et l’échange subjectif. Il souligne, entre autres, que selon la conception de la Torah, le juge « réunifie » les plaideurs que leur conflit divisait, dans les autres approches il « tranche » pour « résoudre » les conflits.

Le verbe « avoir », d’inspiration égoïste, vient remplacer le « Yech lo » (« il y a pour lui »), qui exprime le lien « légal » objectif de l’objet à son « propriétaire ». L’égalité entre les genres n’a pas besoin d’être « instrumentalisée » par des décisions socio-politiques lorsque les deux termes participent d’une même racine « Ich – Icha », ce qui n’a son équivalent dans aucune langue d’usage « humaine ». La liste serait longue, et chacun de nous peut trouver dans sa langue maternelle des illustrations des dérives de conception de l’existence (sans parler des expressions vulgaires de toutes sortes qui parsèment les langues des nations …).

Ainsi, ce qui semblerait de prime abord n’être qu’un détail secondaire s’avère être une notion de première importance.

Le ‘Hatam Sofer (annotations sur le Choul’han Aroukh Ora’h ‘Haïm 85, 2) souligne que c’est pour préserver le « Lachone HaKodech » que nos ancêtres ont pris l’habitude de s’abstenir de l’employer dans les agglomérations pleines d’idolâtrie de la Galout (Exil), et développèrent des dialectes de « remplacement » variés selon les régions.

Jusqu’à l’époque récente, les Juifs gardaient l’usage de modes de communication qui les différenciaient des peuples, même s’ils empruntaient des mots ou des structures linguistiques aux nations voisines. De plus, Là où un non-juif dira : « viens prendre quelque chose », ou « viens boire un coup », un Juif dira « Viens faire une Berakha », ou « Viens dire Le’haïm » …

En attendant la Gueoula (Délivrance) Ultime où l’Humanité entière retrouvera la conscience de la Présence de Hachem, retenons que Hachem a réservé à Son Peuple, seul,  l’accès au Lachone HaKodech, porteur du vrai regard sur le Monde.